— Quoi et comment ? Vous en avez une idée ?
— Non. Que pourrait bien faire une équipe d’abordage ? »
Ce fut encore le major Dietz qui répondit. « La procédure standard lors d’un abordage exige d’investir au plus vite les trois centres vitaux d’un vaisseau : la passerelle, la salle des machines principale qui gouverne aussi le cœur du réacteur et le contrôle de l’armement.
— Il n’y a aucune salle des machines sur ce bâtiment, déclara Geary en s’agrippant à une autre poignée pour se hisser un peu plus loin dans la coursive. À moins que vous n’en découvriez une et me la montriez. »
Il entendit presque sourire Lagemann. « Nân. Mais il y a huit cœurs et huit stations de contrôle. Pourquoi ? Nos ingénieurs affirment que c’est inefficace. Deux gros réacteurs auraient mieux fait l’affaire. Mais c’est ainsi que les Bofs opèrent. Tous les huit sont éteints et aucun poste de contrôle n’est opérationnel. Du moins pour des humains. Qui sait ce que pourrait faire un Bof ? Et tous les systèmes de propulsion principaux ont été réduits en pièces durant la bataille d’Honneur, de sorte que, même s’il était alimenté en énergie, l’Invulnérable ne pourrait manœuvrer sérieusement de son propre chef.
— Il reste quand même deux armes opérationnelles, avança le major Dietz. Des projecteurs de rayons de particules similaires à nos propres lances de l’enfer. Mais eux aussi sont privés d’énergie. Tant que quelqu’un n’aura pas trouvé le poste de contrôle adéquat, ils resteront inutilisables.
— Tout comme la passerelle, lâcha Geary. N’est-ce pas ?
— En effet, amiral. Nous ne comprenons toujours rien à cette espèce de stade qui s’étend juste derrière, mais aucune des commandes n’est alimentée en énergie ni ne fonctionne. Tout est comme mort. » Dietz émit un bruit agacé, comme s’il s’en voulait d’avoir employé ce dernier terme alors qu’il leur semblait que les fantômes des Bofs grouillaient encore tout autour d’eux.
« Alors où est le danger ? Je ne nie pas qu’une équipe d’abordage pourrait avoir un impact considérable, mais comment pourrait-elle s’emparer de l’Invulnérable ? Il vous suffirait de tenir jusqu’à l’envoi des renforts. »
L’amiral Lagemann balaya leur environnement de la main. « Le danger a trait au plus précieux artefact de toute l’histoire de l’humanité. Comment empêcher un ennemi de s’en servir, d’en tirer un enseignement ou d’introduire à son bord des forces qui nous en contesteraient le contrôle ? »
Lorsque la réponse vint à Geary, il eut l’impression que la présence des fantômes se faisait encore plus oppressante. « En menaçant de le détruire ?
— Félicitations ! Si cet ennemi réussissait à introduire à bord des armes nucléaires et à les activer, il pourrait transformer cet inestimable artefact extraterrestre en une géante carcasse tubulaire et blindée ne contenant plus que des brumes radioactives. Que faire pour l’en empêcher ? »
Geary répugnait à envisager les compromis qu’exigerait une telle situation : jusqu’à livrer l’Invulnérable afin de le conserver intact dans l’espoir de le reprendre un jour. « Et cela devrait se produire, selon vous ?
— Nous croyons que c’est la seule méthode susceptible de mettre à mal notre contrôle de ce vaisseau, répondit Dietz. Mais il faudrait d’abord éliminer mes fusiliers, qui interdiraient à l’ennemi d’exécuter ses menaces. »
Geary haussa les épaules, irrité, comme pour chasser les fantômes dont tous ses sens lui clamaient qu’ils s’amassaient autour de lui à chacun de ses gestes. « Voulez-vous que je vous envoie des renforts tout de suite ?
— On ne saurait qu’en faire, amiral, expliqua Dietz. Le secteur sécurisé de l’Invulnérable ne peut guère héberger beaucoup d’autres hommes. Nous nous en tirerons mieux avec une force plus réduite, qui connaîtra bien le vaisseau et saura frapper des assaillants là où ils s’y attendront le moins.
— Et où serait-ce ?
— Il s’agirait nécessairement de Syndics, amiral. Ou des combattants ayant suivi leur entraînement. Autant dire qu’ils se plieront aux procédures standard. »
Geary secoua la tête. « Ils se rendront sûrement compte que les plans de ce vaisseau ne correspondent en rien à ceux des bâtiments construits par l’Alliance ou eux-mêmes.
— Certes, amiral, convint Dietz avant de poursuivre sur un ton empreint d’une grande diplomatie, du moins pour un fusilier. Ces plans compteront beaucoup pour eux. Ils n’auront pas été dressés par les forces terrestres mais par le haut commandement et les CECH les plus gradés de la hiérarchie militaire syndic.
— Autant dire que toute ressemblance entre la réalité et ces plans serait purement fortuite, ajouta l’amiral Lagemann.
— C’est effectivement la pente naturelle, admit Geary. Ces planificateurs de haut rang, très éloignés du théâtre des opérations, partiront de présupposés standard, de sorte que toute troupe d’assaut faisant irruption à bord cherchera à localiser les trois zones critiques. Mais je dois reconnaître que j’ai le plus grand mal à croire qu’ils puissent tenter une opération d’abordage sans que nous ne les repérions.
— C’est pourtant possible, amiral. » Le major Dietz s’exprimait avec autorité, mais sans l’ombre d’une rodomontade. « Comme je l’ai dit, ils pourraient rôder près de la trajectoire qu’ils s’attendent à nous voir emprunter, complètement furtifs, de sorte qu’ils n’auraient besoin que d’un minimum d’énergie pour opérer une interception. J’ai déjà fait le coup à leurs propres vaisseaux, amiral. Je fais partie des forces de reconnaissance.
— Je vois. Ce qui fait de vous un meilleur expert que moi en la matière. » Leur groupe avait atteint un autre sas provisoire qui bloquait leur progression. « Qu’est-ce ? demanda Geary.
— La fausse salle de contrôle des machines.
— Vous avez construit un simulacre ? »
Lagemann ouvrit le sas et entra.
Geary cligna des yeux : l’atmosphère était relativement impure de l’autre côté. « Ainsi qu’un sas factice ?
— Naturellement. » Lagemann indiqua d’un geste son environnement. « Ceci, selon nous, était une sorte de salle de jeu bof. En grande partie vide, à l’exception de ce qui ressemble à un équipement sportif à leurs dimensions. Le général Carabali nous a fait parvenir deux “mulets persans” à la demande du major Dietz. » Il montra un dispositif trapu installé au centre du compartiment. « En voici un. Vous êtes informé des effets des mulets, amiral ?
— Oui. Nous nous en sommes servis à Héradao. » Geary se rapprocha de l’appareil qui, au demeurant, ne ressemblait absolument pas à un mulet. « Matériel des fusiliers destiné à leurrer l’adversaire. Ils peuvent émettre des signaux et des signatures sur quasiment la totalité du spectre afin d’imiter pratiquement n’importe quoi. »
Le major Dietz opina. « Depuis le complexe d’un QG jusqu’à des forces terrestres en ordre de marche dispersé et en cuirasse de combat intégrale, précisa-t-il. Ils ne sont pas très volumineux, mais chacun est équipé de dizaines de sous-leurres qui peuvent générer et émettre toutes sortes de signatures traduisant une présence. Communications, bribes de conversations, signatures infrarouges, martèlement sismique correspondant aux bruits de pas d’une troupe ou aux déplacements d’un matériel, cliquetis d’armes ou ferraillements d’autres équipements, choisissez. Celui-ci est formaté pour transmettre des indications fallacieuses laissant entendre que ce compartiment est rempli d’équipement alimenté par le cœur du réacteur et de personnel chargé de le servir.