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— Joli, approuva Geary. Où est l’autre ?

— Dans un autre compartiment éloigné de celui-ci et qui, pour les senseurs syndics, ressemblera à une passerelle », répondit Dietz d’un air satisfait.

Geary sourit, en dépit de cette sensation qu’il éprouvait de la présence de fantômes désapprobateurs qui se pressaient tout autour de lui. « Une fausse passerelle et une fausse salle des commandes. Ces mulets attireront quiconque se glisserait à bord en tapinois là où vous ne serez pas. Pourrez-vous suivre leur progression ?

— En mode furtif complet ? s’enquit le major. Pas facilement, amiral. C’est bien pourquoi nous avons truffé les abords de ces secteurs de senseurs capables de déceler toute intrusion. Nous ne pouvons sans doute pas couvrir la totalité du bâtiment avec ceux dont nous disposons, mais au moins les deux zones leurres.

— On peut triompher des senseurs, fit remarquer Geary en se remémorant ce qu’il avait parfois vu faire aux fusiliers durant leurs opérations. Les Syndics ne pourraient-ils pas les repérer, les rendre inopérants ou les brouiller ? »

Cette fois, le major Dietz adopta un ton carrément suffisant. « Ils pourraient, amiral. Mais nous avons un sergent qui est une sorte de petit génie de la technologie. Elle passe ses moments de loisir à bidouiller. Le sergent Lamarr a mis au point des senseurs leurres.

— Des senseurs leurres ? Factices ?

— Non, amiral. Bien mieux que ça. Ils ont l’air de senseurs ordinaires d’un certain modèle. Extérieurement, si étroitement qu’on les inspecte, ils en ont l’apparence et, quand ils sont activés, ils transmettent d’ailleurs les mêmes données. Mais, intérieurement, ils n’ont pas du tout la même destination. Ils sont au contraire conçus pour détecter toutes les méthodes permettant d’outrepasser, de brouiller ou de rendre inopérants les senseurs normaux, et cela sans alerter personne. »

Geary faillit éclater de rire. « Ils ne servent donc qu’à détecter ce qui pourrait handicaper des senseurs ? Au moyen de méthodes ordinairement indétectables ?

— Exactement, amiral. Normalement, ce matériel est fixé sur les senseurs, de sorte qu’il n’a que des capacités limitées puisque c’est une fonction subsidiaire. Mais, chez les senseurs de Lamarr, c’est la seule et unique. Ils peuvent repérer pratiquement n’importe quoi, à moins que quelqu’un s’avise de les trafiquer.

— Leur emploi présente malgré tout un risque, ajouta Lagemann. Si l’on en installe un sur une écoutille et que quelqu’un ouvre celle-ci, on ne reçoit aucun avertissement. En revanche, si on le repère et qu’on tente de le leurrer avant d’ouvrir l’écoutille, ça se saura assurément. Oh, il y a même deux risques, en fait. C’est une modification illicite et désapprouvée du matériel de dotation. Le QG pourrait bien nous taper sur les doigts. »

Geary laissa échapper un soupir exaspéré. « La chaîne de commandement du sergent Lamarr n’a pas approuvé ce modèle de senseur ?

— Jusqu’à un certain point, répondit le major. Tous ses supérieurs sur le terrain ont donné leur accord, mais, quand c’est parvenu aux oreilles du QG et de la bureaucratie chargée des conception et acquisition, le projet a été descendu en flammes.

— Surprenant, n’est-ce pas ? marmotta Lagemann.

— Scandaleux ! » renchérit Geary en se rappelant les problèmes que lui avait déjà posés le QG. Autant il aspirait à rapatrier la flotte, autant il redoutait d’avoir de nouveau affaire à l’état-major. « En ma qualité de commandant de la flotte, j’autorise officiellement, dès à présent, des essais sur le terrain de ce matériel modifié en raison de circonstances exceptionnelles. J’y suis habilité, non ?

— Il me semble, mais vous n’avez nullement besoin d’attirer leur courroux, protesta Lagemann. Je prends ma retraite dès mon retour, de sorte que, pour ma part, je ne vois aucun inconvénient à ce qu’on attache mon nom à ces senseurs.

— Celui du sergent Lamarr y est déjà attaché, je crois ?

— C’est vrai. Et à juste titre. Quoi qu’il en soit, ce brave Invulnérable est prêt à repousser toute tentative pour l’empêcher d’atteindre le territoire de l’Alliance, déclara l’amiral Lagemann en tapotant affectueusement la plus proche cloison. Tenez de votre côté les vaisseaux de guerre en échec et, si jamais les Syndics se risquent à l’aborder de manière furtive, seule méthode qui pourrait réussir, nous les attendrons de pied ferme.

— Bon travail. Très bon travail. » Geary n’avait pas envisagé jusque-là l’éventualité d’un abordage de l’Invulnérable. Il n’avait eu ni le temps ni le loisir de réfléchir à cette menace, mais c’est précisément pour cette raison qu’un commandant a besoin de subordonnés efficaces. Et la besogne exigée par la réalisation de ces nodaux de commande factice, s’ajoutant aux patrouilles de routine, avait tenu les fusiliers du major Dietz occupés au lieu de les laisser dans une pénible oisiveté. Il y a deux choses qui m’ennuient au plus haut point, lui avait fait observer un jour un ancien officier supérieur. La première, ce sont les grands esprits du QG et les idées qu’ils trouvent soudain géniales. La seconde, ce sont des fusiliers qui s’ennuient et qui trouvent soudain une idée géniale.

Le retour à la nage, en gravité zéro, jusqu’au secteur de l’Invulnérable occupé par les humains lui parut beaucoup plus long que l’aller. Sans l’amiral Lagemann et le major Dietz pour lui exposer leurs projets et leurs inquiétudes, rien ne distrayait plus Geary de cette étrange impression d’une présence invisible l’environnant. Il lui fallait constamment réprimer l’envie pressante de se retourner pour regarder derrière lui, tandis que se hérissaient les poils follets de sa nuque. La sensation d’être un intrus, de n’être pas le bienvenu, semblait saturer l’atmosphère toxique où il évoluait. S’il s’agissait là d’un effet ordinaire du matériel des Bofs, ils devaient alors être plus endurants que les humains. Si, au contraire, c’était une contre-mesure destinée à interdire à leurs ennemis de jouir de leurs conquêtes, elle se révélait d’une redoutable efficacité.

L’Invulnérable n’était pas un vaisseau heureux. L’adjectif s’appliquait d’ordinaire au moral de l’équipage mais, en l’occurrence, les matelots et les fusiliers s’en sortaient plutôt bien. Non, c’était le bâtiment lui-même qui semblait acrimonieux et mal embouché.

Les pilotes de navette laissent d’habitude leurs écoutilles ouvertes à bord en attendant le retour de leurs passagers, et ils en sortent souvent pour se dégourdir les jambes et bavarder avec le personnel présent dans le sas, mais, cette fois, le pilote était resté dans sa navette et avait hermétiquement scellé les écoutilles extérieure et intérieure. Geary dut attendre un moment leur réouverture et tua le temps en discutant avec les fusiliers de l’escouade de faction. Ordinairement, on postait tout au plus un ou deux hommes pour la garder, mais, après avoir gambadé dans les coursives du supercuirassé, il ne se sentait guère d’humeur à mettre en question le nombre inhabituel de sentinelles.

« Quelque chose n’allait pas dans l’atmosphère du sas, s’excusa le pilote par l’intercom alors que Geary s’installait dans un fauteuil sur le pont réservé aux passagers.

— Vos senseurs auraient-ils détecté des éléments contaminants ? s’enquit Geary, pressentant déjà que la réponse serait négative.

— Non, amiral. Les relevés affirmaient que tout était d’équerre. Mais quelque chose n’allait pas, répéta le pilote. Je me suis dit qu’il valait mieux garder les écoutilles fermées jusqu’à votre retour.