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— Rien ne garantit notre succès, commandant. Même si nous réussissons à le localiser, il y aura peut-être tout un dispositif de mots de passe et de codes d’accès pour chaque vaisseau. Mais, si les Syndics ont expédié le boulot pour installer au plus vite cette nouvelle capacité, ils auront peut-être laissé de nombreuses portes ouvertes.

— Commandant ? intervint le lieutenant Castries. La flottille de Midway a modifié sa trajectoire. »

Geary reporta son attention sur son écran, où il vit effectivement la flottille de Midway négocier un virage beaucoup plus large, rapprochant son vecteur de l’étoile mais l’éloignant des croiseurs lourds syndics. Une explication lui vint à l’esprit pendant qu’il assistait à cette manœuvre. « Elle n’attaquait pas.

— Quoi ? demanda Desjani.

— La flottille de Midway. Elle ne s’apprêtait pas à s’en prendre à cette force de croiseurs syndics. Mais à s’en rapprocher assez pour protéger les équipages des croiseurs lourds et avisos qui décideraient de se mutiner et rebrousseraient chemin. »

Rione s’esclaffa comme un prof dont le chouchou vient de trouver la bonne réponse. « Oui, amiral. C’est très probablement ce qu’elle a fait. La présidente Iceni m’a parlé à cœur ouvert : le général Drakon et elle ont bel et bien envoyé aux vaisseaux syndics des transmissions les invitant à se mutiner.

— Mais, en voyant exploser ce croiseur léger, elle a dû comprendre que les Syndics avaient mis en place une contre-mesure interdisant à tout autre vaisseau de se rebeller pour se joindre à elle. » Il secoua la tête. « Les dirigeants syndics n’auraient-ils toujours pas compris que ces solutions à court terme ne résolvent jamais le problème réel ?

— Ils auront au moins empêché une mutinerie, déclara Desjani.

— Au prix d’un croiseur léger, fit remarquer Charban. Ils ont perdu le vaisseau malgré tout. À bord des autres, les équipages doivent déjà chercher un moyen de court-circuiter cette soupape de sûreté. Ils le trouveront certainement parce que les bidasses ont toujours réussi à contourner les plus brillantes magouilles de leurs supérieurs, et les mutineries reprendront de nouveau avec succès. À court terme, il est plus commode de briser un ustensile que de le réparer. Mais ce n’est pas une solution. Juste une manière de repousser une corvée à huitaine sans avoir réellement appris à résoudre le problème.

— Dix minutes avant d’arriver à portée de tir de la flottille syndic », prévint le lieutenant Yuon.

Geary jaugea du regard la mesure de cette distance, en espérant que Boyens ne serait pas pris à la dernière minute d’un grandiloquent accès de folie suicidaire. Les systèmes de combat de la formation de l’Alliance choisissaient déjà leurs cibles, affectaient telle ou telle arme à leur proie, se préparaient à tirer dès que les vaisseaux syndics arriveraient à leur portée et qu’on leur en donnerait l’ordre. Il décida d’envoyer un dernier message. « CECH Boyens, si une autre formation des Mondes syndiqués ou la vôtre décide de revenir dans ce système stellaire sans notre approbation, il faudra vous préparer à en subir les conséquences. Geary, terminé.

— Je n’ai rien contre des menaces faites aux Syndics, déclara Desjani, mais pourquoi voudriez-vous qu’ils prêtent attention à celle-là ?

— À cause d’un projet auquel j’avais attelé les ingénieurs du capitaine Smyth. La lumière de cet événement devait nous parvenir à peu près maintenant. J’aurais préféré le révéler un peu plus tôt, mais ça fera l’affaire. »

Les systèmes de combat de l’Indomptable déclenchèrent une sonnerie d’alarme, en même temps que, sur les écrans, de lointaines manœuvres dont l’image venait tout juste de leur parvenir s’éclairaient en surbrillance : dans son chantier spatial orbital voisin de la géante gazeuse, le nouveau cuirassé Midway semblait désormais parfaitement opérationnel et prêt à combattre.

« Ce cuirassé fonctionne ? demanda Desjani, l’air de ne pas trop savoir si elle devait s’en féliciter ou s’en inquiéter.

— Loin s’en faut. Une bonne partie de son fuselage n’est encore qu’un décor destiné à faire croire qu’il est prêt à combattre. Mais pour Boyens, autant qu’il puisse en juger, les autorités de Midway disposent à présent de leur propre cuirassé, capable d’engager le combat à la prochaine intervention des Syndics.

— Et il en apportera la nouvelle à Prime, fit remarquer Rione. Très joli, amiral.

— Mais qu’arriverait-il s’ils lançaient malgré tout une autre attaque sous peu ? s’enquit Charban.

— Je fais ce que je peux avec ce que j’ai, répondit Geary en glissant un regard vers Desjani.

— Pour affronter la réalité ? lâcha Charban. Comment êtes-vous parvenu à un grade aussi élevé en observant une telle attitude ?

— Du diable si je le sais ! » Sur l’écran de Geary, la flottille syndic s’était recomposée et chacun de ses vaisseaux piquait sur le portail, à moins d’une minute du moment où il pourrait ordonner d’ouvrir le feu.

Desjani le guettait du regard ; sa main planait déjà au-dessus des commandes. Tout le monde le fixait sur la passerelle, chacun dans la flotte attendait ses prochaines paroles.

La flottille syndic s’engouffra dans le portail et disparut.

Il souffla longuement puis : « À toutes les unités de la formation Alpha, réduisez la vélocité à 0,02 c et virez de cent quatre-vingt-dix sur bâbord à T 30. Toutes les unités reviennent à la condition d’alerte normale. »

Desjani semblait ailleurs lorsqu’elle transmit les ordres, de sorte qu’il lui sourit. « Vous regrettez que ça ait marché ? »

Elle ne lui retourna pas son sourire. « On aurait dû le faire exploser. Nous aurons encore affaire à Boyens et à ce cuirassé.

— Vous avez sans doute raison, concéda-t-il. Mais je ne tenais pas à déclencher la guerre ici et maintenant.

— Ce qui signifie que vous vous attendez à la déclencher ailleurs et plus tard ? »

Geary avait bien un démenti tout prêt à fuser, mais, devant son manque de conviction, il préféra ravaler ses paroles.

Ne retenaient plus désormais la flotte à Midway que quelques ultimes réparations et un transfert de personnel. Ce transfert de personnel n’avait rien d’impromptu, évidemment. Certains des captifs retenus naguère par les Énigmas seraient remis aux autorités de Midway. Ces gens provenaient de ce système ou de systèmes stellaires voisins, et ils rêvaient à présent de rentrer chez eux. Ni le docteur Nasr ni Geary lui-même ne croyaient que ce rêve serait exaucé, du moins comme ces ex-prisonniers le souhaitaient et l’espéraient, mais ils avaient le droit de choisir leur sort.

Quant aux réparations, elles ne méritaient le qualificatif d’ultimes que parce qu’elles seraient les dernières réalisées sur place. Seuls quelques vaisseaux de Geary n’avaient pas besoin de révisions supplémentaires, et les systèmes principaux continuaient de flancher sur les bâtiments à des intervalles aléatoires qui, d’une certaine façon, semblaient se déclencher en série dès qu’il commençait à se sentir un peu rassuré sur leur état.

« Nous pourrions passer ici les six prochains mois sans que j’en voie le bout du tunnel, expliqua le capitaine Smyth, dont l’image se tenait dans la cabine de Geary sur l’Indomptable, alors qu’il se trouvait encore à bord du Tanuki. Avec seulement huit auxiliaires et tant de bâtiments vétustes sur les bras. »

Vétustes. Soit vieux d’un peu plus de deux ou trois ans depuis le jour de leur armement et de leur envoi au casse-pipe, alors qu’on s’attendait plus ou moins à ce qu’ils fussent détruits dans l’intervalle. « Vous avez fait des merveilles, vos ingénieurs et vous, affirma Geary. Je ne m’attendais pas à ce que certains cuirassés tiennent le coup si longtemps.