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— Il faut mettre le paquet pour achever un cuirassé de classe Gardien, amiral, lui rappela Smyth. Tout ce blindage maintient leur cohésion, alors qu’on pourrait se dire à bon droit qu’ils devraient partir en quenouille, et, dans l’espace, ce n’est pas comme si les vaisseaux pouvaient couler à cause de trous trop nombreux dans leur coque.

— Couler ?

— Vous savez bien, expliqua Smyth. Quand, sur une mer ou un océan, un vaisseau ou un bateau planétaire perd sa flottabilité et embarque trop d’eau, il coule. Il s’enfonce sous la surface. Certains sont conçus pour le faire. Mais ceux-là peuvent remonter. Un bateau destiné à sillonner la surface est fichu s’il sombre. C’est ainsi qu’étaient détruits en mer cuirassés et croiseurs de combat. Trop de trous dans le bide pour ne pas couler. Quelques-uns au moins ont dû aussi exploser, j’imagine, mais, la plupart du temps, ils sombraient. »

Geary fixa Smyth en plissant le front d’étonnement. « Pourquoi leur équipage ne pouvait-il continuer à les manœuvrer ? En quoi le fait d’être sous l’eau était-il si grave ?

— Ils n’avaient pas de combinaisons de survie, amiral. Ils ne pouvaient pas respirer. Et le matériel ne fonctionnait pas dans l’eau. Les moteurs se servaient de… combustion interne et de… vapeur… et d’autres méthodes encore exigeant de l’oxygène, des flammes… et d’autres trucs.

— Des trucs ? fit Geary en souriant. C’est le terme technique ? »

Smyth lui rendit son sourire. « Trucs, machins, bidules. Autant d’imparables termes techniques. Mais, pour rester sérieux, quand un bateau destiné à naviguer en surface coulait, c’était, dans une certaine mesure, comme si un vaisseau conçu pour croiser dans l’espace faisait une entrée catastrophique dans l’atmosphère. Ils n’étaient pas destinés à y survivre.

— D’accord. Je peux comprendre cette comparaison. Avez-vous eu le temps de consulter les données sur l’Invulnérable ? Cette conversation m’incite à me demander si les Bofs ne l’auraient pas conçu pour des destinations étrangères à nos propres vaisseaux.

— C’est possible. » Smyth montra ses paumes en signe d’impuissance. « Il y a tant de choses à bord de ce vaisseau qui nous paraissent familières mais ne le sont absolument pas. Pour un ingénieur, c’est une énigme aussi fascinante que frustrante. Évidemment, pouvoir alimenter en énergie un de ses composants au moins nous avancerait beaucoup.

— Non.

— Quelque chose de tout petit ? D’inoffensif ?

— Comment pourriez-vous en être certain ?

— Ah… » Smyth réitéra son geste. « Là, amiral, vous me possédez. Mais si nous pouvions trouver comment fonctionne au moins une petite pièce d’équipement, nous battrions en brèche les superstitions qu’engendre ce vaisseau bof.

— Les superstitions ?

— Les fantômes, précisa Smyth, l’air de s’excuser.

— Êtes-vous monté à bord de l’Invulnérable, capitaine ?

— Physiquement, voulez-vous dire ? En personne ? Non. » Smyth dévisagea Geary. « Et vous ?

— Oui. » Geary réprima un brusque frisson et dut déglutir avant de réussir à reprendre la parole. « J’ignore ce que sont ces fantômes, mais la sensation est bien réelle, et très forte. Existe-t-il un dispositif capable de créer l’impression de morts intangibles s’amassant tout autour de vous ?

— S’ils sont intangibles, ils ne peuvent pas s’amasser », fit remarquer Smyth avec la précision d’un ingénieur. Il gonfla les lèvres, méditatif. « Il faudrait que j’en discute avec des professionnels de la santé. Peut-être au moyen de vibrations ultrasoniques, mais nous n’avons rien embarqué de tel.

— Ce pourrait être tout à fait nouveau pour nous.

— Raison de plus pour étudier le matériel de ce vaisseau, triompha Smyth.

— Mais l’énergie a été coupée à son bord et toutes les batteries où elle aurait pu être emmagasinée ont été déconnectées. Comment quelque chose pourrait-il encore fonctionner et flanquer la frousse à tous les occupants ? »

Smyth se rejeta en arrière, porta la main à sa bouche et réfléchit. « Peut-être… non… ou bien… Euuuuh… S’il s’agissait d’une sorte de vibration ou d’harmonique au seuil si bas que nous ne pourrions pas la détecter tout en ressentant ses effets sur nous, on pourrait construire une structure, telle qu’un vaisseau, en faisant en sorte qu’elle engendre naturellement cette harmonique, au moins en théorie. » Il hocha la tête en souriant. « Ce pourrait être l’explication. Pure supputation jusque-là, mais, si la structure de ce bâtiment a été conçue pour engendrer cette harmonique et s’il a été équipé d’un dispositif destiné à créer une contre-harmonique pour tempérer l’effet de la première, tout couper à bord aurait dû aussi couper l’équipement protecteur.

— Sérieusement ? s’étonna Geary.

— En théorie, insista Smyth. Je ne saurais vous jurer que c’est la vérité, ni même vous dire comment il faudrait s’y prendre en pratique. Mais je ne suis pas non plus un Bof.

— Bon, c’est peut-être une hypothèse à l’emporte-pièce, mais c’est la seule explication logique de ce qu’on ressent à l’intérieur de l’Invulnérable que j’aie entendue jusque-là.

— Amiral, je suis un ingénieur expérimenté, lâcha Smyth avec une dignité outrée. Je ne fais pas d’hypothèses à l’emporte-pièce, mais des hypothèses scientifiques à l’emporte-pièce.

— Je vois. » Geary éclata de rire, accueillant avec plaisir cette diversion à de trop nombreux problèmes aux trop rares solutions. « Le lieutenant Jamenson aurait-elle avancé d’autres hypothèses scientifiques à l’emporte-pièce ?

— Non, amiral. Elle a exploré tout ce que nous détenions en quête de nouvelles trouvailles. Une fois de retour chez nous et à la tête de davantage de ressources, je suis sûr qu’elle trouvera exactement ce que nous cherchons.

— Merci, capitaine. » Un clignotement attira l’attention de Geary et il mit fin à la communication avec Smyth pour accepter ce nouvel appel, passé depuis la passerelle de l’Indomptable.

Tanya Desjani lui décocha un de ses regards, façon « je supporte mais je suis très loin d’apprécier ». « Le cargo que les locaux nous ont envoyé pour recueillir les ex-prisonniers des Énigmas vient d’épouser le mouvement du Haboob. »

Les ex-prisonniers des Énigmas. Des humains que ces extraterrestres avaient tenus en captivité pendant plusieurs décennies, provenant tantôt de vaisseaux syndics mystérieusement disparus, tantôt de planètes d’un système stellaire qu’ils avaient repris. Ils étaient plus de trois cents à bord du Haboob. Trois cent trente-trois pour être exact, chiffre qui, selon les prisonniers eux-mêmes, était toujours resté constant et devait donc avoir un sens précis pour les Énigmas. Décider ce qu’on devait faire de ces gens était une source inépuisable de migraines, mais dix-huit d’entre eux avaient demandé qu’on les laisse à Midway, parce qu’ils avaient vécu dans le système ou dans celui, voisin, de Taroa.

Y consentir n’avait pas été non plus une décision facile. Les nouveaux dirigeants de Midway prétendaient sans doute n’être plus des Syndics despotiques, mais ils pouvaient tout aussi bien donner le change dans leur propre intérêt. « Où est le docteur Nasr ?

— Physiquement ? Sur site, à bord du Haboob, répondit-elle.