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Les officiers de l’Alliance échangèrent des regards. « Vous avez parlé de serpents ? demanda un autre. Vous en avez tué, disiez-vous ?

— Les agents du Service de sécurité interne. Le SSI. La police secrète syndic », expliqua-t-elle. Elle donna l’impression qu’elle allait se mettre à cracher mais elle se réprima. « Ils régentaient tout. Toujours en train de nous surveiller, de regarder par-dessus notre épaule, d’embarquer des gens dans leurs camps de travail au premier faux pas, rien que parce qu’ils vous soupçonnaient ou parce que ça les démangeait. On les a balayés de notre système stellaire. » Elle se redressa, le regard à présent farouche. « Nous nous en sommes libérés. Nous préférerions mourir que leur laisser en reprendre le contrôle. Nous n’appartenons plus à personne. Ni aux compagnies, ni aux CECH. C’est terminé.

— Vous n’êtes pas des Syndics ? s’étonna un des officiers, manifestement sceptique.

— Des Syndics ? Non ! Plus jamais ça ! Nous sommes libres ! Nous mourrons plutôt que de redevenir les esclaves du Syndicat. » Elle tourna les talons, prête à partir, puis adressa un dernier regard aux officiers de l’Alliance, l’air de nouveau indécise. « Vous… avez mes remerciements.

— Navré de n’avoir rien pu vous apprendre sur le décès de votre frère.

— Vous m’avez dit ce que vous saviez, et c’est déjà beaucoup plus que ce que j’en savais moi-même. » Elle marqua une pause puis se mit au garde-à-vous et salua à la mode syndic, le bras droit en travers de la poitrine avant de se frapper le sein gauche du poing. Elle se retourna de nouveau avant qu’ils n’eussent décidé s’ils devaient lui rendre la politesse et alla retrouver ses trois collègues.

« Hé ! » l’interpella sèchement un des officiers.

La fille sursauta comme si elle s’était attendue à une balle plutôt qu’à un cri puis refit volte-face.

« Dites-moi une chose. » La voix de l’officier de l’Alliance, si ouvertement hostile et furieuse qu’elle fût, était aussi intriguée. « Un truc que j’ai jamais compris. Pourquoi, par l’enfer, avez-vous agressé l’Alliance ?

— Nous ? Agressé ? Nous n’avons pas…

— Pas aujourd’hui. Il y a un siècle. Pourquoi les Mondes syndiqués ont-ils déclenché cette foutue guerre ? »

Cette fois, la pilote se contenta de le fixer longuement, le visage animé. Quand sa voix se fit de nouveau entendre, elle était comme étranglée d’émotion. « On nous a dit que c’était vous qui aviez commencé. Les Syndics. Ils nous ont affirmé qu’on nous avait attaqués.

— Nous n’avons jamais… commença fiévreusement l’officier de l’Alliance.

— Je sais ! Je vous crois ! Notre gouvernement nous a menti à peu près sur tout ! Pourquoi ne nous aurait-il pas menti aussi à ce propos ? »

Elle fit demi-tour et rejoignit son collègue d’un pas chancelant.

Geary coula un regard vers Desjani pour tenter de discerner sa réaction, mais Tanya ne laissait strictement rien voir cette fois. « Votre impression ? » demanda-t-il.

Elle haussa les épaules. « Si elle simulait les émotions que lui inspirent les Syndics, c’est une grande actrice.

— J’ai remarqué. Et, quand elle parlait des… euh… serpents, c’était à croire qu’elle avait elle-même tranché quelques gorges.

— Pourquoi se sont-ils battus ? s’étonna Desjani d’une voix sourde et rageuse. Ils haïssaient les Mondes syndiqués, ils détestaient ces serpents. Alors pourquoi se battaient-ils ? Pourquoi ont-ils massacré tant de gens pour un gouvernement honni ?

— Je n’en sais rien. » Ou bien le savait-il ? « Nous savons seulement qu’ils croyaient défendre les leurs.

— En nous attaquant ? demanda Desjani sur un ton désormais féroce.

— On leur avait certifié que nous étions les agresseurs. Je ne suis pas en train de les justifier, Tanya. Ni de prétendre qu’ils avaient raison de se battre. Leurs efforts ont contribué à la survie de ces Mondes syndiqués qu’ils exécraient tant. C’était stupide. Mais ils devaient se dire qu’ils faisaient leur devoir.

— Tant que vous ne les excusez pas, marmonna-t-elle.

— J’ai moi aussi beaucoup perdu, Tanya. »

Elle garda le silence une minute puis opina. « C’est vrai. Eh bien, si je dois choisir entre d’ex-Syndics qui haïssent à présent les Mondes syndiqués et d’autres, comme les Syndics eux-mêmes, les Énigmas ou les Bofs, je crois pouvoir accorder une petite chance aux ex-Syndics. »

Sur l’aire d’embarquement du Haboob, le processus de transbordement devait arriver à son terme. Le petit groupe restreint des dix-huit ex-prisonniers qui le quittaient se dirigeait lentement vers les écoutilles menant aux navettes.

Sur ce, les trois cent quinze personnes qui devaient censément rester à bord se lancèrent à leurs trousses comme un seul homme, en vociférant et bafouillant un galimatias de cris et de suppliques. Pris complètement de court, les fusiliers de l’Alliance s’ébranlèrent ensemble et tentèrent d’arrêter cette ruée aveugle par des hurlements et des menaces. Médecins et techniciens des deux bords, tout aussi sidérés que les fusiliers, tournaient en rond sur place et ne faisaient qu’ajouter à la confusion.

« Mais que diable se passe-t-il ? » s’écria Geary.

Quatre

Il fallut deux bonnes minutes aux fusiliers, avec l’assistance du personnel d’appoint prévu en cas de besoin, pour cornaquer les ex-prisonniers perturbés et les rassembler à grands cris en un petit troupeau resserré, encore frissonnant et maugréant mais relativement tranquille. Le calme suffisamment revenu, le docteur Nasr s’adressa à Geary par-dessus le brouhaha qui régnait sur l’aire d’embarquement. « On a un problème, amiral.

— J’ai remarqué ! aboya Geary en s’efforçant de ne pas trop laisser percer son irritation. Quel est-il, ce problème ? Nos dix-huit volontaires refusent de résider à Midway ?

— Non, amiral. Au contraire. On fait encore le tri, mais, à ce que j’ai pu comprendre jusque-là, tous veulent maintenant quitter la flotte pour Midway !

— Tous ? répéta Geary.

— Oui. Les trois cent trente-trois. »

Geary perçut un claquement sourd et se tourna vers Tanya : celle-ci venait de se gifler le front, l’air atterrée.

Il était à peu près dans le même état d’esprit. « Combien de fois leur avons-nous demandé s’ils voulaient y rester ? »

Le docteur Nasr fut à deux doigts de ribouler des yeux, du moins autant que ça l’était permis à un cadre honorable du personnel médical. « Avec refus officiels, dûment enregistrés ? Vingt fois, amiral. Mais ils ont changé d’avis en voyant partir leurs camarades. Ils veulent rester ensemble. Rentrer chez eux. Midway n’est sans doute pas la mère patrie de ces trois cent et quelques ex-prisonniers, amiral, mais il ressemble beaucoup plus à leur système stellaire natal que Varandal ou toute autre étoile de l’Alliance. Et nous sommes l’Alliance. Nous leur faisons peur.

— Ils ont peur de nous ? s’exclama Desjani, incrédule. Trouvent-ils les CECH syndics sympathiques et rassurants ? N’ont-ils pas entendu cette pilote de navette parler des serpents ?

— Les CECH et tout le système syndic sont le diable qu’ils connaissent. Et ils ont appris par la pilote que les serpents avaient quitté Midway. Cette fille est une des leurs. Ils la croient là où ils ne nous croient pas, nous. Au pied du mur, confrontés à la séparation d’avec tous ceux dont ils ont partagé l’existence durant des décennies, ils préfèrent rester soudés plutôt qu’affronter l’inconnu et l’Alliance.