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— Ou bien que vous apprécieriez une opportunité de la détruire si vous vous y sentez enclin, ajouta le colonel Morgan, cette fois avec un léger sourire, comme s’ils partageaient une plaisanterie récurrente.

— Quelle est-elle, cette “opportunité” ? » s’enquit Geary en évitant de répondre directement à Morgan. Plus il la côtoyait, plus elle le mettait mal à l’aise. Ce n’était pas seulement qu’elle fût séduisante, mais en raison de la féline et mortelle nonchalance, évoquant une panthère, qui s’ajoutait à cette séduction. C’était une femme très dangereuse, à l’instar de Tanya, mais de manière très différente, et qu’il trouvât quelque part ce danger fascinant ne laissait pas de l’agacer.

Difficile de dire si Tanya en était également consciente. Elle ne quittait pas Malin des yeux, en évitant soigneusement, en apparence, de regarder Morgan, mais Geary l’avait déjà vue adopter ce comportement trompeur. Morgan n’en était certainement pas dupe non plus, et elle y réagissait par une sorte d’amusement soigneusement voilé, lequel devait sans doute sembler encore plus provocant à Desjani.

Puis Geary nota que Tanya se détendait de façon manifeste, tandis qu’un petit sourire tranquille naissait sur ses lèvres. Purement tactique au demeurant : elle avait cerné le comportement de Morgan et modifié sa propre approche en conséquence.

Feignant comme Geary de ne pas remarquer le petit jeu auquel se prêtaient les deux femmes, Malin poursuivit : « L’opportunité en question réside dans l’arrivée récente de ce croiseur lourd dans notre système stellaire. Le C-712 a décliné notre proposition l’invitant à y rester. Nous lui avons offert un de nos propres croiseurs lourds pour l’escorter afin qu’il puisse regagner son étoile d’origine en toute sécurité.

— Bien aimable à vous, persifla Desjani.

— Rendre un si grand service est aussi un moyen de se faire des amis, et Midway a besoin d’autant d’amis que possible. Et particulièrement, après votre départ, d’amis disposant de croiseurs lourds. Ces mêmes amis sont peut-être d’ailleurs en train de nous faire une fleur sans s’en rendre compte en ce moment même. Le général Drakon et la présidente Iceni proposent une ligne d’action, impliquant notre escorteur, qui servirait autant vos intérêts que les nôtres, amiral. En travaillant de conserve, nous pourrions nous débarrasser de Boyens, pourvu que nous fassions tout ce qui est en notre pouvoir pour l’empêcher de seulement soupçonner le piège que nous lui tendons. »

Geary n’eut aucun mal à interpréter la réaction muette de Desjani : Non. Pas de pacte avec des Syndics. Pas question de « travailler de conserve » avec eux. Cela dit, apprendre ce qu’ils proposaient exactement ne saurait nuire. « Exposez-moi votre proposition », ordonna-t-il à Malin.

Ils avaient escorté les deux colonels jusqu’à leur navette et assisté à son départ quand Geary interrogea Desjani du regard.

« Non.

— Parce que… ?

— On ne peut pas leur faire confiance. » Elle montra l’emplacement où s’était garée la navette. « Quel esprit tordu et malade pourrait bien concocter un tel plan ?

— Mais il pourrait parfaitement opérer et résoudre notre problème avec Boyens. »

Desjani fronça les sourcils. « Pourrait. Que comptes-tu faire ?

— Il faut qu’un des émissaires au moins du gouvernement de l’Alliance contresigne ce projet ou ça ne marchera pas. Je leur présenterai le laïus de Malin et nous verrons bien ce qu’ils en diront.

— Ce devrait être intéressant. Je tiens à savoir comment ils réagiront à la suggestion que tu t’es servi de ce plan comme d’un prétexte à la destruction du cuirassé de Boyens. » Desjani lui décocha un regard cauteleux. « À ce propos, tu n’avais pas l’air d’apprécier l’attention que te prodiguait le colonel Morgan.

— Elle n’a…

— Ah non ? Absolument pas. Hep, môssieu l’amiral ! Vous aimeriez croquer dans la pomme ? Vous n’avez qu’à cligner de l’œil.

— Je n’ai pas…

— Oh que non. Tu es plus futé que ça.

— Elle ne savait certainement pas que nous sommes mariés, Tanya.

— Nos ancêtres nous préservent ! Tu crois vraiment que ça l’aurait arrêtée ? » Desjani marqua une pause comme si elle s’apprêtait à regagner la passerelle, l’air, en même temps, de livrer un combat intérieur. « Avant de prendre une décision, accompagne-moi. » Elle ne souffla plus un mot tandis qu’il lui emboîtait le pas, intrigué, jusqu’à ce qu’ils atteignent sa cabine. « Nous allons prendre le risque de quelques commérages pour ces brèves minutes d’intimité, parce que nous en avons bien besoin.

— Pourquoi ? » Geary n’était que très rarement entré dans la cabine de Tanya. Il gardait ses distances au nom de la discipline.

« Dedans. » Elle attendit qu’il fût entré, referma et verrouilla l’écoutille, puis resta un instant plantée devant lui à se passer les doigts dans les cheveux avant de reprendre la parole : « Écoute, je sais que beaucoup de choses que nous avons faites – et par ce “nous” j’entends mes contemporains – froissent ton sens de l’honneur.

— Tu as cessé de…

— Attends ! » Elle laissa retomber sa main et le fixa avec sincérité. « Si tu veux te débarrasser de ce cuirassé, il y a un moyen d’y parvenir sans laisser nos empreintes digitales ni collaborer avec des gens qui prétendent n’être plus des Syndics mais raisonnent encore en Syndics.

— Et, par “me débarrasser”, tu veux dire… ?

— Le détruire. » Tanya s’éloigna de quelques pas, fit demi-tour et revint vers lui. « Tu sais comme c’est. Il faut parfois prendre des mesures. Des mesures contraires aux ordres que tu as reçus. Et l’on doit alors savoir s’en dépatouiller sans laisser de traces. »

Geary la dévisagea, mystifié. « Serais-tu en train de m’affirmer qu’en dépit de tous les enregistrements déclenchés automatiquement et de la conservation dans les archives du moindre détail des activités de chaque vaisseau de la flotte de l’Alliance durant toute son existence, il existerait un moyen de mener à bien une opération aussi importante que la destruction d’un cuirassé syndic sans en laisser aucune indication ? »

Elle s’excusa d’un haussement d’épaules. « Oui.

— Mais, même si tu étais capable de trafiquer les systèmes de la flotte, il y aurait tellement de témoins que…

— Personne ne parlera. Personne. » Tanya le mettait au défi du regard. « Ça n’arrive pas fréquemment. Mais on y est parfois forcé. Et, dans la mesure où nous y sommes contraints, nous avons appris à le faire. Si tu y tiens absolument, nous pouvons recommencer, et il n’y aura aucune preuve.

— Les systèmes qui appartiennent aux ressortissants de Midway assisteront à tout ! protesta-t-il, n’y croyant lui-même qu’à moitié.

— Oh, s’il vous plaît, amiral. Si les archives officielles des vaisseaux de l’Alliance affirment quelque chose et que celles de gens qui étaient encore récemment des Syndics prétendent le contraire, qui croira-t-on ? »

Geary se détourna de Tanya pour s’efforcer de réfléchir. Si les spatiaux de la flotte ont pu commettre des actes aussi atroces que le bombardement orbital de populations civiles sans s’émouvoir, quels agissements pourraient bien exiger qu’on les dissimulât entièrement aux archives officielles ? Je n’arrive même pas à imaginer…