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Fécamp réfléchit quelques secondes, avant de lui sourire brièvement. Ses dents étaient particulièrement blanches et larges.

— Bon, vous avez raison, autant en profiter. Ce n’est pas tous les jours que l’on se retrouve face à des individus vieux de trente mille ans.

Ils bifurquèrent dans un vestiaire où étaient empilées, par dizaines, des tenues emballées. Le chercheur tendit un paquetage à Lucie.

— Enfilez cela, la taille doit correspondre. Nous allons pénétrer dans un rectangle blanc et vitré de plus de cent mètres carrés où l’air est filtré à cinq reprises, la température toujours maintenue à 22 °C, et dont les salles sont nettoyées plusieurs fois par jour à l’eau de Javel.

Lucie obtempéra. Pour impressionner et parfaire son rôle de flic, elle sortit son pistolet de son blouson.

— Je peux l’embarquer ? Pas de détecteur de métaux ou de trucs du genre ?

Fécamp déglutit, fixant l’arme compacte.

— Non, allez-y. Il est chargé ?

— À votre avis ?

Lucie fourra le semi-automatique de petite taille dans la poche arrière de son jean, ainsi que son téléphone portable.

— Le matériel idéal du policier, soupira Fécamp. Pistolet, téléphone. Je déteste les téléphones portables. À force de trop prendre d’avance sur la nature et de changer nos comportements à cause de ces fichus engins, nous allons finir par en payer les pots cassés.

Le genre à donner des leçons de vie, songea Lucie. Sans relever, elle enfila surchemise, surpantalon et surchaussures en papier, gants en latex, masque et charlotte chirurgicaux.

— En quoi consiste précisément la paléogénétique ?

Fécamp semblait enfiler ses vêtements avec lassitude. Des gestes précis, millimétrés, qu’il avait dû répéter à l’infini, jour après jour.

— Nous analysons les génomes de la biodiversité passée, c’est-à-dire la cartographie des gènes issus de l’ADN ancien provenant des fossiles qui, parfois, datent de plusieurs centaines de millions d’années. Grâce aux parties organiques des os et des dents qui résistent aux siècles, nous pouvons remonter le temps et comprendre l’origine des différentes espèces, leurs liens de filiation. Un exemple concret ? Grâce à la paléogénétique, nous savons désormais qu’il y a plus de trois mille ans, Toutankhamon est mort du paludisme combiné à une maladie osseuse. Son ADN nous a révélé qu’il n’est pas le fils de Néfertiti mais de la sœur d’Akhenaton, son père. Toutankhamon est purement et simplement le fruit d’un inceste.

— Ça aurait plu à Voici. Et avec toutes vos techniques, on n’est pas loin de faire renaître des dinosaures, si j’ai bien compris ? On récupère ce fameux ADN dans des ossements ou des coquilles d’œufs fossilisés, on clone et c’est parti ?

— Nous en sommes encore à des années-lumière, car l’ADN fossile est souvent en très mauvais état et disponible en toute petite quantité. Que faire avec un puzzle de mille pièces, dont il en manque neuf cent quatre-vingt-dix ? C’est donc un véritable parcours du combattant qui nous attend face à chaque nouvelle découverte. Cependant, avec les hommes des glaces, nous avons été incroyablement gâtés, car ils étaient dans un excellent état, bien meilleur que les momies égyptiennes ou Ötzi, le célèbre sapiens sapiens retrouvé dans les glaces à proximité des Dolomites italiennes, en 1991. Le fait que la grotte ait été complètement obstruée et en partie privée d’oxygène a empêché les proliférations de bactéries et les a gardés à l’abri des intempéries et des variations climatiques. Car l’ADN est certes une molécule stable, mais elle n’est pas éternelle. Sa dégradation commence même dès la mort d’un individu. Il se fragmente et certaines des lettres constitutives de l’information génétique sont peu à peu effacées.

— Les fameux G, A, T, C.

— En effet. Les barreaux de l’échelle se cassent. Par exemple, la séquence T G A A C A, située sur le brin d’ADN, peut très vite devenir T G G A C A à cause d’altérations et cela fausse ainsi le code génétique, donc son interprétation. Exactement comme pour les mots de la langue française, qui changent complètement de sens lorsqu’une lettre diffère. « Tige » et « Toge » par exemple. Dans les conditions les moins favorables, une dizaine de milliers d’années peut suffire à venir à bout de la dernière molécule d’ADN. Mais dans notre cas, cela a été au-delà de tout espoir. L’excellente qualité de nos momies nous a permis d’obtenir de l’ADN nucléaire de premier choix et donc, d’établir la quasi-globalité de leur génome.

Une fois en tenue de lapins blancs – ou plutôt bleus –, ils gagnèrent le laboratoire, dont l’entrée ressemblait à un sas de sous-marin.

— Vous allez avoir une petite sensation désagréable dans les oreilles. L’air est en surpression dans le labo, afin d’éviter que toute forme d’ADN contaminant puisse entrer. Il n’y aurait rien de plus terrible que d’étudier durant des semaines de l’ADN qui serait, en définitive, le nôtre ! D’où, aussi, nos tenues stériles. Vous voulez toujours poursuivre ?

— Évidemment.

Après que le chercheur eut présenté un badge devant un détecteur, ils pénétrèrent. Lucie ressentit une douleur dans les oreilles, puis un sifflement, comme celui provoqué par un train passant sous un tunnel. Quatre laborantins, penchés sur des microscopes puissants, remplissaient des pipettes ou déclenchaient des séquenceurs à ADN, et ne prêtèrent aucune attention aux visiteurs, bien trop concentrés sur leur travail d’enquêteurs de l’impossible. Sur les paillasses, enveloppés dans des sachets, s’étalaient toutes sortes d’objets étiquetés : une canine d’ours des cavernes, un basalme gallo-romain, d’antiques excréments d’oiseau-éléphant de Madagascar. Face à un congélateur aux vitres transparentes, Lucie stoppa net devant un…

— … bébé mammouth ?

— Bien vu. C’est Lyuba, elle a été trouvée dans le permafrost de Sibérie par un éleveur de rennes. Elle a quarante-deux mille ans.

— Elle semble morte hier.

— Son état de conservation est extraordinaire.

Lucie resta bouche bée devant cet animal qu’elle n’avait vu qu’en dessin dans des livres. Cet endroit était la caverne d’Ali Baba du passé. Ils s’avancèrent encore. Arnaud Fécamp poursuivit ses explications sur l’ADN :

— En général, on broie les os, les dents ou les tissus jusqu’à obtenir une poudre, que l’on met à incuber plusieurs heures dans un tampon facilitant la dégradation des matériaux indésirables, comme le calcaire ou diverses protéines parasites. L’ADN pur se retrouve alors dans le tampon. Comme il est en général cassé en trop petits fragments pour être analysé par nos machines, on « photocopie » ces fragments en milliards d’exemplaires, grâce à une technique d’amplification dite PCR, pour pouvoir les manipuler plus facilement.

— J’ai déjà assisté à ce genre de chose dans un laboratoire de police scientifique. Ça a l’air simple.

— C’est en fait extrêmement compliqué. Nous sommes l’un des labos les plus avancés en la matière.

— Vous critiquez les téléphones portables, et pourtant, vos machines font appel aux technologies les plus avancées. Pas très écolo…

Il parut sourire sous son masque, puis se dirigea vers une large porte métallique.

— Les espèces vivantes sont l’aboutissement de 3,5 milliards d’années de recherche et développement faits par notre mère Nature, c’est-à-dire une longue évolution qui a éliminé ce qui était imparfait, et optimisé ce qui fonctionnait. Le génome a traversé les âges, il est le patrimoine collectif de l’humanité, que nous nous devons de léguer à la postérité. Le téléphone portable, c’est un gadget éphémère.