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Fécamp posa ses doigts sur le plastique, passant sur les entailles béantes.

— Elle n’était qu’une étudiante, vous savez, apparemment fascinée par le morbide. C’était la violence extrême de cette scène qui l’intéressait, sans plus. Cette découverte était un excellent moyen de remettre à l’ordre du jour l’une des théories sur la disparition de Neandertal.

— Celle de son extermination par Cro-Magnon. Celle que Louts soutenait.

Fécamp acquiesça, puis jeta un œil à sa montre.

— Oui. Mais je ne suis pas de ceux-là. Le raccourci me semble exagéré, un cas particulier n’ayant jamais conduit à une généralité. Disons qu’elle était venue chercher une excellente matière pour son travail. Je n’ai malheureusement pas grand-chose à vous apprendre de plus. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, elle a pris quelques notes, des photos des plaies, de l’arme, histoire d’étayer sa thèse et de s’assurer une bonne note, puis elle est repartie. Ces pauvres Neandertal ont été massacrés avec une violence démesurée, et c’est bien triste…

— A-t-elle fait des allusions aux dessins réalisés à l’envers ? Vous a-t-elle parlé d’un certain Grégory Carnot ? De prisonniers ? D’une histoire de gauchers ?

Fécamp secoua la tête.

— Autant que je m’en souvienne, non. Bon, il fait très froid… Avez-vous besoin de photos vous aussi, pour votre enquête ?

Lucie observa la famille massacrée, avec de la tristesse dans le regard. Cela prouvait bien que l’homme, comme l’ensemble des prédateurs, avait toujours porté en lui des instincts de tueur. Il était apparu avec ce triste bagage, et l’avait véhiculé au fil des siècles, jusqu’aux générations actuelles.

Lucie revint à son interlocuteur.

— Non, ça ira.

Elle s’éloigna du groupe, tandis que le chercheur ouvrait la porte, puis se figea au milieu de la pièce, indécise. Elle ne pouvait se résoudre à abandonner la piste, à repartir sans réponse. Si elle sortait d’ici sans rien, sans grain à moudre, son enquête s’arrêterait net. Malgré l’impatience du chercheur, elle fit demi-tour vers les trois momies.

— Vous êtes un enquêteur des temps anciens, vous passez vos journées à reconstituer des faits préhistoriques. Expliquez-moi précisément ce qui s’est passé dans cette grotte, il y a trente mille ans.

Avec un soupir, le scientifique s’approcha.

— Désolé, mais je…

Une autre voix s’éleva presque en même temps. Une voix féminine, dure :

— Moi, je peux vous expliquer. Mais auparavant, pourrais-je voir votre carte de police ?

20

Une femme se tenait dans l’embrasure de la chambre froide. Grande, plantée sur de solides jambes. Lunettes à monture carrée. Elle ne portait que le masque et les gants. Elle fixa Arnaud Fécamp, qui avait joint les mains sur son ventre.

— Quand il y a des visiteurs, ici, j’aimerais au moins être au courant.

Fécamp serra les mâchoires.

— Je croyais que vous étiez en réunion jusque tard ce soir et…

— Tu n’as pas à croire, Arnaud.

Le chercheur resta figé quelques secondes. Une petite veine battait au milieu de son front. Traité comme un chien, songea Lucie. Il regarda son interlocutrice une dernière fois, les lèvres serrées, puis finit par sortir. Face à la grande femme brune, Lucie essaya de conserver son assurance.

— Vous êtes ?

— Ludivine Tassin, la responsable de ce laboratoire. Mais c’est plutôt à moi de vous poser cette question. Qui êtes-vous ?

— Amélie Courtois. Brigade criminelle de Paris.

Tassin venait de baisser son masque. Elle attendait, les mains sur les hanches. Elle avait tout de la femme antipathique et autoritaire. Des traits obtus, de grands yeux marron, parfaitement ronds, des pommettes saillantes, qui lui donnaient des allures de caïman. Lucie sortit volontairement son pistolet de sa poche, puis son téléphone portable. Elle afficha son répertoire téléphonique sur l’écran, appuyant sur les touches avec ses doigts gantés.

— Ma carte de police est restée à mon hôtel. Mais vous pouvez appeler au 36 quai des Orfèvres si vous le souhaitez. Demandez le commissaire Franck Sharko.

L’instant de vérité. Lucie sentait son cœur battre fort dans sa poitrine. La femme imposante finit par abdiquer.

— C’est bon. Rangez votre arme, s’il vous plaît. Que voulez-vous, précisément ?

Lucie donna les raisons de sa visite, et après un bref échange, retrouva ses jalons.

— Je souhaiterais vraiment savoir ce qui s’est passé dans cette grotte, voilà trente mille ans, parce que je pense qu’il peut y avoir un rapport avec mon enquête d’aujourd’hui.

— Très bien. Mais sortons d’ici avant de finir congelées.

Ludivine Tassin invita Lucie à la suivre. Démarche ferme, un chef dans toute sa splendeur. Arnaud Fécamp était installé devant une énorme machine, les épaules tombantes. Lucie l’observa en silence, et put s’apercevoir, grâce au reflet d’une vitre, qu’il s’était mis à la fixer après qu’elle l’eut doublé. Un drôle de regard qui mit les sens de l’ex-flic en alerte.

Les deux femmes franchirent le sas et se dirigèrent vers le bureau de la scientifique.

— Votre laborantin m’a montré sa cicatrice. Il…

Lucie fit une pause, soudain interloquée. Au fait, pourquoi Fécamp avait-il fait cela ? Curieuse réaction. Comme s’il avait quelque chose à prouver. Lucie précisa :

— … Il a l’air d’avoir été méchamment agressé, le soir du vol.

— Ils n’y sont pas allés de main morte, en effet.

— C’est lui qui a appelé la police ?

— Depuis le laboratoire. Cette histoire nous a valu une perte inestimable. Plus jamais nous n’aurons l’occasion de trouver un tel spécimen de Cro-Magnon, si bien conservé. Quand j’ai appris la nouvelle, c’est comme si j’avais perdu un bras. Vous ne pouvez imaginer ce que ça fait.

Dans le bureau, la responsable sortit d’une armoire un paquet de photos.

— Je suis allée sur place le jour de la découverte sur le glacier. En tant que centre porteur d’un projet national, nous avons été joints dans les heures qui ont suivi.

Elle regarda ces clichés qu’elle avait déjà dû voir des centaines de fois, puis les poussa vers Lucie. Ses yeux brillaient, comme ceux d’un pirate face à un trésor.

— Quelle sublime découverte ! Le Graal pour n’importe quel chercheur qui consacre son existence à l’étude du vivant. Une famille complète de Neandertal et un Homo sapiens, dans un état de conservation au-delà de toute espérance. C’était tellement incroyable que nous avions cru, au début, qu’il s’agissait d’un coup monté de toutes pièces. Mais les procédés de datations et diverses analyses n’ont laissé aucun doute, ils étaient authentiques. Regardez…

Lucie étala les photos, prises dans les toutes premières heures de la découverte. Un plan large montrait les trois Neandertaliens d’un côté, courbés sur le sol, les mâchoires ouvertes comme s’ils criaient. Dans un autre coin, le Cro-Magnon reposait assis contre la roche, juste sous la fresque inversée des aurochs. Malgré l’état desséché des tissus, les différences morphologiques entre les individus étaient flagrantes. Cro-Magnon présentait certes un front proéminent, mais il avait un nez long et étroit, un visage aplati, une arcade sourcilière réduite : les parfaites caractéristiques de l’homme moderne.

— Sapiens et Neandertal ont cohabité pendant huit mille ans, et la période pendant laquelle ont vécu ces individus-ci correspond aux dernières années de l’existence de Neandertal. Ceux que vous voyez là sont, en quelque sorte, les derniers représentants de l’espèce. Divers éléments, des analyses méticuleuses, nous ont permis de reconstituer les ultimes heures de ces individus…