— C’est moi qui l’ai piquée.
— Un coup monté ? T’étais de mèche avec Fécamp ?
— Il devait nous mener jusqu’au laboratoire, et nous, on devait tout faire pour simuler une agression.
— Qui était le deuxième agresseur ?
— Un pote à moi, balèze en informatique. Il a agi bêtement et simplement, sous mes ordres. Il n’est au courant de rien.
Lucie recula sans le quitter des yeux. Chouart ne bougeait plus d’un poil, docile. Elle était sûre qu’il ne dirait plus que la vérité à présent.
— C’est Fécamp qui t’a contacté pour faire le coup ?
— Non. Fécamp n’était qu’un intermédiaire. L’employeur l’a d’abord abordé lui, avant de venir à moi. Puis un soir, tous les trois, on s’est retrouvés dans un parc de Villeurbanne, pour discuter affaires. Le contrat était simple. Fécamp touchait une grosse somme pour me mener jusqu’à la momie au bon moment. Et moi, je touchais la même somme pour la voler. Dix mille chacun. Je devais recruter un autre type, pour m’aider. Ça a été un jeu d’enfant. Fécamp nous avait tout expliqué : le badge, la position du laboratoire, les ordinateurs contenant les données et les sauvegardes.
Il désigna le chercheur du menton.
— Il déteste sa patronne. Il jouit dans son froc chaque fois qu’il entend cette garce se plaindre de la disparition de la momie. Je crois que, même gratos, il l’aurait fait.
— Le nom de cet employeur.
— Je l’ignore.
Lucie fit un pas rapide vers lui, menaçante. L’homme protégea son visage de ses deux bras. Les aigles, les serpents de ses tatouages se dressaient entre Lucie et lui.
— Je vous jure ! C’est tout ce que je sais. J’ai plus jamais entendu parler de cette histoire jusqu’à ce que cet enfoiré se pointe aujourd’hui, en me demandant si j’avais quelque chose à voir avec le meurtre d’une étudiante. Louts, ou je sais pas quoi. J’ai jamais entendu ce nom, bordel ! Interrogez-le, lui !
Lucie suait à grosses gouttes, elle s’épongea le front avec sa manche. Ses nerfs étaient à vif. Il lui fallait une piste, un nom, de quoi avancer. Hors de question de repartir les mains vides. Sans hésitation, elle se pencha au-dessus de Fécamp et le gifla, de plus en plus fort.
— Allez, on se réveille.
Après une bonne minute, le scientifique émit un grognement puis ouvrit difficilement les yeux. Il porta les mains à son crâne. Ses phalanges s’empourprèrent légèrement. Sang et alcool. Il fixa Lucie, incrédule, puis se redressa lentement. Il se traîna jusqu’au mur, sur lequel il appuya son dos, les jambes tendues. Lucie ne lui laissa pas le temps d’ouvrir la bouche.
— Je vous donne dix secondes pour me dire qui vous a payé pour dérober la momie.
Fécamp serra les lèvres, comme pour s’empêcher de prononcer le moindre mot. Du pied, Lucie poussa le tesson vers Chouart.
— S’il ne parle pas, tu le taillades.
Les yeux hagards, Fécamp observa le tatoué et sa tempe boursouflée. Le jeune s’empara du morceau tranchant, sans réelle conviction.
Le regard du chercheur revint vers Lucie.
— Vous êtes folle.
— Trois secondes.
Un silence. Le temps qui s’égrène. Puis les barrières qui cèdent.
— Il… Il m’a contacté à nouveau une quinzaine de jours après le vol… Pour s’assurer que… que l’enquête de police ne mènerait nulle part. Quand je lui ai dit que l’affaire était au placard, qu’ils n’avaient aucune piste, il… il m’a donné son identité. Il s’appelle Stéphane Terney. Un Parisien, d’une bonne soixantaine d’années.
Grosse bouffée de chaleur pour Lucie. Une telle révélation, c’était inespéré.
— Épelle Terney.
Il obtempéra. Lucie mémorisa le nom.
— Pourquoi il voulait la momie ?
Le chercheur secoua la tête, comme un gamin fautif. Avec ses airs de trompettiste, on aurait pu lui donner le bon Dieu sans confession. De toute évidence, ce type avait été embarqué dans une histoire qui le dépassait. Juste une victime, un rancunier séduit par le fric.
— Je l’ignore. Je vous jure que je l’ignore. Nous nous sommes vus très peu, c’est lui qui décidait de l’endroit, chaque fois.
— Et pourquoi il aurait donné son vrai nom, dans ce cas ? C’était sacrément risqué de sa part ?
— Il m’a aussi passé son numéro de téléphone. Il voulait que je serve de sentinelle. Je devais le rappeler si des gens venaient pour poser des questions sur la fresque des aurochs, sur le Cro-Magnon ou des histoires de gauchers. Et lui décrire précisément ce que les visiteurs recherchaient.
— Et c’est ce que vous avez fait quand Éva Louts vous a rendu visite. Vous l’avez rappelé, vous lui avez donné tous les renseignements la concernant. Son identité, et même son adresse, je suppose.
— Oui, oui… Je… Je ne peux pas croire qu’il… qu’il soit mêlé au meurtre.
— Pourquoi ?
— Parce que c’est un médecin et un chercheur réputé. Sur le coup, je ne l’avais pas reconnu, mais Terney, c’est le grand spécialiste des problèmes liés à la grossesse. Il a aussi écrit un bouquin qui a fait pas mal de bruit dans la communauté scientifique, il y a trois ou quatre ans.
— Quel bouquin ?
— La Clé et le Cadenas. Un livre scientifique qui parle de codes cachés dans l’ADN.
Lucie engrangea les informations. Ce Terney, vu la description qu’en faisait le rouquin, n’avait pas vraiment le profil type du délinquant. Alors pourquoi ce vol ? Et pourquoi recruter une sentinelle ?
— Que lui avez-vous raconté, précisément ?
— Qu’Éva Louts s’intéressait à ce dessin, parce qu’elle avait vu le même genre de curiosité en prison. Puis il y avait cette histoire de gauchers, aussi. Bref, j’ai répété ce que vous a probablement raconté ma chef, Dassin.
Lucie réfléchit. Peut-être un pan du mystère qui s’éclaircissait. Sans le savoir, le rouquin avait fait peser un grave danger sur les épaules de Louts en prévenant Terney. Inquiété par les recherches de la jeune femme, ce chercheur l’avait rapidement éliminée. Restaient toujours d’innombrables questions : qu’avait découvert Éva Louts qui pût avoir entraîné son assassinat ? Que représentait de si précieux le génome de ce Cro-Magnon, pour en justifier le vol ? Quels secrets renfermait-il ? Terney était-il au courant des dessins réalisés par Grégory Carnot ? Les deux hommes s’étaient-ils rencontrés ?
Lucie réclama le numéro de portable de Terney, qu’elle mémorisa également. Si elle avait été, un jour, une bonne enquêtrice, c’était aussi parce qu’elle possédait une excellente mémoire visuelle et immédiate. Si elle avait perdu sa forme de sportive, elle avait par contre conservé tous ses réflexes de flic.
Et maintenant, que faire de ces deux lascars ? Lucie était autant illégitime qu’eux. Elle se faisait passer pour un flic, se promenait avec un flingue chargé, agressait à tout va. De quoi se causer de sérieux problèmes et mettre sans nul doute en danger sa relation avec Juliette. À ce moment précis, elle se rendit réellement compte qu’elle était allée trop loin. Elle essaya pourtant de jouer son rôle jusqu’au bout sans se dégonfler :
— J’ai vos noms, vos adresses. On a un contrat, tous les trois, vous savez comment ça se passe. Je vais aller voir ce Terney, régler mes comptes personnels et essayer de vous garder loin de toute cette crasse. J’ai dit essayer. Je ne vous conseille surtout pas de le prévenir. À la moindre connerie, attendez-vous à passer une paire d’années en taule.
Elle donna des coups de semelle dans les cuisses du chercheur.
— Allez, fichez le camp ! Retrouvez votre laboratoire, allez analyser vos dents d’ours des cavernes ou de je ne sais quoi, et faites comme si cela n’avait jamais existé.