BERNARD MINIER
Glacé
À la mémoire de mon père.
À ma femme, à ma fille et à mon fils.
À Jean-Pierre Schamber
et Dominique Matos Ventura,
qui ont tout changé.
DE :
DIANE BERG
GENÈVE
À :
DR WARGNIER
INSTITUT PSYCHIATRIQUE WARGNIER
SAINT-MARTIN DE COMMINGES
Psychologue FSP
Spécialiste en psychologie légale SSPI.
Date de naissance : 16 juillet 1976
Nationalité : Suisse
DIPLÔMES :
2002 : Diplôme d’études supérieures en psychologie clinique (DES), université de Genève. Mémoire de diplôme : « Économie pulsionnelle, nécrophilie et dépeçage chez les tueurs compulsifs ».
1999 : Licence de psychologie, université de Genève. Mémoire de licence : « Quelques aspects des peurs enfantines chez les 8-12 ans »
1995 : Maturités, classique et latine
1994 : First Certificate of English
EXPÉRIENCES PROFESSIONNELLES :
2003 — Cabinet privé de psychothérapie et de psychologie légale, Genève
2001 — Assistante de P. Spitzner à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation (FPSE), Université de Genève
1999–2001 — Psychologue stagiaire, Institut universitaire de médecine légale, Genève
Psychologue stagiaire du Service médical de la prison de Champ-Dollon
SOCIÉTÉS PROFESSIONNELLES :
International Academy of Law and Mental Health (IALMH)
Association genevoise des psychologues-psychothérapeutes (AGPP)
Fédération suisse des psychologues (FSP)
Société suisse de psychologie légale (SSPL)
INTÉRÊTS :
Musique classique (dix ans de violon), jazz, lecture
Sports : natation, course à pied, plongée, spéléologie, saut en parachute
PROLOGUE
Dgdgdgdgdgd — tactactac — ddgdgdgdgdg — tactactac
Les bruits : celui, régulier, du câble et, par intermittence, les roues des pylônes lorsque le sabot du téléphérique passait dessus, communiquant ses secousses à la cabine. À quoi s’ajoutait la plainte flûtée du vent, omniprésente, comme des voix d’enfants en détresse. Et celles des occupants de la cabine, gueulant pour couvrir le vacarme. Ils étaient cinq — Huysmans compris.
Dgdgdgdgdgd — tactactac — ddgdgdgdgdg — tactactac
— Putain ! J’aime pas monter là-haut par ce temps ! dit l’un d’eux.
Silencieux, Huysmans guettait l’apparition du lac inférieur — mille mètres plus bas, à travers les rafales de neige qui cernaient la cabine. Les câbles semblaient étrangement lâches, décrivant une double courbe qui s’enfonçait paresseusement dans la grisaille.
Les nuages s’entrouvrirent. Le lac apparut. Brièvement. Pendant un instant, il eut l’air d’une flaque sous le ciel, un simple trou d’eau entre les cimes et les bandes de nuages qui se déchiraient sur les hauteurs.
— Qu’est-ce que ça peut foutre, le temps ? dit un autre. On va passer une semaine coincés sous cette putain de montagne, de toute façon !
L’usine hydroélectrique d’Arruns : une série de salles et de galeries creusées à soixante-dix mètres sous terre et perchées à deux mille mètres d’altitude. La plus longue mesurait onze kilomètres. Elle conduisait l’eau du lac supérieur vers les conduites forcées : des tubes d’un mètre et demi de diamètre qui dévalaient la montagne et précipitaient l’eau du lac supérieur vers les turbines assoiffées des groupes de production, en bas dans la vallée. Pour accéder à l’usine, au cœur de la montagne, un seul chemin : un puits d’accès dont l’entrée se trouvait presque au sommet, la descente en monte-charge jusqu’à la galerie principale qu’on suivait, vannes neutralisées, à bord de tracteurs à deux places : un voyage d’une heure au cœur des ténèbres, le long de huit kilomètres de galeries.
L’autre moyen, c’était l’hélico — mais uniquement en cas d’urgence. Une aire avait été aménagée près du lac supérieur, accessible quand le temps s’y prêtait.
— Joachim a raison, dit le plus vieux. Avec un temps pareil, l’hélico ne pourrait même pas atterrir.
Ils savaient tous ce que cela voulait dire : une fois les vannes rouvertes, les milliers de mètres cubes d’eau du lac supérieur s’engouffreraient en rugissant dans la galerie qu’ils allaient emprunter dans quelques minutes. En cas d’accident, il faudrait deux heures pour la vider à nouveau, une autre heure en tracteur à travers la galerie pour revenir au puits d’accès, quinze minutes pour remonter à l’air libre, dix de descente en télécabine jusqu’à la centrale et trente autres de route jusqu’à Saint-Martin-de-Comminges — à supposer que la route ne fût pas coupée.
Si un accident survenait, ils ne seraient pas à l’hôpital avant quatre bonnes heures. Et l’usine vieillissait… Elle fonctionnait depuis 1929. Chaque hiver, avant la fonte des neiges, ils passaient là-haut quatre semaines, isolés du monde, pour l’entretien et la réfection de machines d’un autre âge. Un travail pénible, dangereux.
Huysmans suivait le vol d’un aigle qui se laissait porter sur le plat du vent, à cent mètres environ de la cabine.
Silencieux.
Il tourna son regard vers les vertiges glacés qui s’étendaient sous le plancher.
Les trois énormes tuyaux des conduites forcées plongeaient vers l’abîme, collés au relief de la montagne. La vallée avait depuis longtemps quitté leur champ de vision. Le dernier pylône était visible trois cents mètres plus bas, dressé là où le flanc de la montagne formait un épaulement, se profilant solitaire au milieu du brouillard. À présent, la cabine grimpait tout droit vers le puits d’accès. Si le câble venait à rompre, elle ferait une chute de plusieurs dizaines de mètres, avant d’exploser comme une noix sur la paroi rocheuse. Elle se balançait dans la tempête tel un panier au bras d’une ménagère.
— Eh, cuistot ! Qu’est-ce qu’on va bouffer cette fois ?
— Pas du bio, en tout cas.
Seul Huysmans ne rit pas ; il suivait des yeux un minibus jaune sur la route de la centrale. Celui du directeur. Puis le minibus sortit lui aussi de son champ de vision, avalé par les bandes de nuages, pareil à une diligence rattrapée par des Indiens.
Chaque fois qu’il grimpait là-haut, il avait l’impression de saisir une vérité élémentaire de son existence. Mais il était incapable de dire laquelle.
Huysmans déplaça son regard vers le sommet.
Le terminus de la télécabine — un échafaudage métallique accroché à l’entrée bétonnée du puits d’accès — se rapprochait. Une fois la cabine immobilisée, les hommes emprunteraient une série de passerelles et d’escaliers jusqu’au blockhaus de béton.