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Elle le vit se rembrunir. Son sourire disparut.

— Mademoiselle Berg, ce n’est plus le Dr Wargnier qui dirige cet établissement, c’est moi.

— Dans ce cas, je n’ai rien à faire ici. Il me faudra en référer à votre autorité de tutelle, ainsi qu’à l’université de Genève. Et au Dr Spitzner. Je viens de loin, docteur. Vous auriez dû m’épargner ce déplacement inutile.

Elle se leva.

— Mademoiselle Berg, allons, allons ! dit Xavier en se redressant et en écartant les mains. Ne nous emballons pas ! Asseyez-vous ! Asseyez-vous, je vous en prie ! Vous êtes la bienvenue ici. Comprenez-moi bien : je n’ai rien contre vous. Je suis sûr que vous ferez de votre mieux. Et qui sait ? Peut-être que… qu’un point de vue… un apport, disons… « interdisciplinaire » pourra favoriser la compréhension de ces monstres. Oui, oui — pourquoi pas ? Ce que je vous demande juste, c’est de ne pas multiplier les contacts plus qu’il n’est strictement nécessaire, et de suivre à la lettre le règlement intérieur. La tranquillité de ces lieux repose sur un équilibre fragile. Même si les mesures de sécurité sont ici dix fois plus nombreuses que dans n’importe quel établissement psychiatrique, tout désordre aurait des conséquences incalculables.

Francis Xavier contourna son bureau.

Il était encore plus petit qu’elle l’aurait cru. Diane mesurait un mètre soixante-sept et Xavier était sensiblement de la même taille — talonnettes comprises. Sa blouse trop grande, d’un blanc immaculé, flottait autour de lui.

— Venez. Je vais vous montrer.

Il ouvrit un placard. Des blouses blanches, alignées, pendues à des cintres. Il en prit une, la tendit à Diane. Elle sentit une odeur de renfermé et de lessive.

Sa courte silhouette la frôla. Il posa une main aux ongles trop soignés sur le bras de Diane.

— Ce sont des gens véritablement effrayants, dit-il suavement en la regardant dans les yeux. Oubliez ce qu’ils sont, oubliez ce qu’ils ont fait. Concentrez-vous sur votre travail.

Elle se souvint des paroles de Wargnier au téléphone. Presque la même chose, au mot près.

— J’ai déjà croisé des sociopathes, objecta-t-elle — mais sa voix manquait d’assurance, pour une fois.

À travers les lunettes rouges, l’étrange regard flamba un bref instant.

— Pas comme ceux-là, mademoiselle. Pas comme ceux-là.

Murs blancs, sol blanc, néons blancs… Diane, comme la plupart des gens en Occident, associait cette couleur à l’innocence, à la candeur, à la virginité. Au cœur de tout ce blanc vivaient pourtant des assassins monstrueux.

— À l’origine, le blanc était la couleur de la mort et du deuil, lui lança Xavier comme s’il lisait dans ses pensées. C’est encore le cas en Orient. C’est aussi une valeur limite — comme le noir. C’est enfin la couleur associée aux rites de passage. C’en est un pour vous en ce moment, n’est-ce pas ? Mais ce n’est pas moi qui ai choisi la décoration — je ne suis ici que depuis quelques mois.

Des grilles d’acier coulissèrent devant et derrière eux, des verrous électroniques claquèrent dans l’épaisseur des murs. La courte silhouette de Xavier la précédait.

— Où sommes-nous ? demanda-t-elle tout en comptant les caméras de surveillance, les portes, les issues.

— Nous quittons les locaux de l’administration pour entrer dans l’unité psychiatrique proprement dite. C’est la première enceinte de confinement.

Diane le regarda insérer une carte magnétique dans un boîtier fixé au mur. Après lecture, la carte fut recrachée par l’appareil. La grille s’ouvrit. Une cage vitrée de l’autre côté. Deux gardiens en combinaison orange se tenaient à l’intérieur, assis devant des écrans de télésurveillance.

— Actuellement, nous avons quatre-vingt-huit patients considérés comme dangereux avec un risque de passage à l’acte agressif. Notre clientèle provient d’institutions pénales ou d’autres établissements psychiatriques en France, mais aussi en Allemagne, en Suisse, en Espagne… Il s’agit d’individus présentant des problèmes de santé mentale doublés de délinquance, de violence et de criminalité. Des patients qui se sont révélés trop violents pour demeurer dans les hôpitaux qui les avaient accueillis, des détenus dont les psychoses sont trop graves pour être soignées en prison ou des meurtriers déclarés irresponsables par la justice. Notre clientèle exige un personnel très qualifié et des installations qui assurent à la fois la sécurité des malades et celle du personnel et des visiteurs. Nous sommes ici dans le pavillon C. Il y a trois niveaux de sécurité : faible, moyen et fort. Ici, nous sommes dans une zone de niveau faible.

Diane tiquait chaque fois que Xavier parlait de clientèle.

— L’Institut Wargnier fait preuve d’une maîtrise unique dans la prise en charge des patients agressifs, dangereux et violents. Notre pratique est fondée sur les standards les plus élevés et les plus récents. Dans un premier temps, nous effectuons une évaluation psychiatrique et criminologique comportant notamment une analyse fantasmatique et pléthysmographique.

Elle sursauta. L’analyse pléthysmographique consistait à mesurer les réactions d’un patient soumis à des stimuli audio et vidéo suivant différents types de scénarios et de partenaires, comme la vision d’une femme nue ou d’un enfant.

— Vous pratiquez des traitements aversifs sur les sujets présentant des profils déviants à l’examen pléthysmographique ?

— En effet.

— La pléthysmographie aversive est loin de faire l’unanimité, fit-elle remarquer.

— Ici ça marche, répondit Xavier fermement.

Elle le sentit se raidir. Chaque fois qu’on lui parlait de traitement aversif, Diane pensait à Orange mécanique. Le traitement aversif consistait à associer au fantasme déviant enregistré sur une cassette ou un DVD — vision de viols, d’enfants dévêtus, etc. — des sensations très pénibles voire douloureuses : un choc électrique ou une bouffée d’ammoniac, par exemple, au lieu des sensations agréables que ce fantasme procurait habituellement au patient. La répétition systématique de l’expérience était censée modifier durablement le comportement du sujet. Une sorte de conditionnement pavlovien en quelque sorte, testé sur les abuseurs sexuels et les pédophiles dans certains pays comme le Canada.

Xavier jouait avec le bouton du stylo qui dépassait de sa poche de poitrine.

— Je sais que beaucoup de praticiens de ce pays sont sceptiques sur l’approche thérapeutique comportementaliste. Cette pratique est inspirée des pays anglo-saxons et de l’Institut Pinel de Montréal, d’où je viens. Elle donne des résultats étonnants. Mais, bien entendu, vos confrères français ont du mal à reconnaître une méthode aussi empirique venue qui plus est d’outre-Atlantique. Ils lui reprochent de faire l’impasse sur des notions aussi fondamentales que l’inconscient, le surmoi, la mise en œuvre des pulsions dans les stratégies du refoulement…

Derrière ses lunettes, ses yeux couvaient Diane avec une indulgence exaspérante.

— Beaucoup dans ce pays continuent à préconiser une approche qui tiendrait davantage compte des acquis de la psychanalyse, un travail de remodelage des couches profondes de la personnalité. C’est ignorer que l’absence totale de culpabilité et d’affects des grands pervers psychopathes mettra toujours en échec ces tentatives. Avec ce genre de malades, une seule chose fonctionne — le « dressage ». (Sa voix coula sur ce mot comme un filet d’eau glacée.) Une responsabilisation du sujet à l’égard de son traitement grâce à toute une gamme de récompenses et de sanctions, et la création de comportements conditionnés. Nous effectuons aussi des évaluations de dangerosité à la demande des autorités judiciaires ou hospitalières, poursuivit-il en s’arrêtant devant une nouvelle porte en verre Securit.