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— Allons, Martin, c’est inutile, dit Saint-Cyr d’un ton indulgent.

Il se remit péniblement sur les coudes. La rage brûlait en lui comme une braise. La lumière l’aveuglait. Des taches noires dansaient devant ses yeux. Il ne voyait plus que des ombres et des lueurs.

Il rampa lentement vers le juge et tendit une main vers la jambe de son pantalon mais Saint-Cyr recula. Servaz voyait les flammes dans la cheminée entre les jambes du juge. Elles l’éblouissaient. Puis tout alla très vite.

— Posez cette arme ! dit sur sa gauche une voix qu’il se souvint d’avoir déjà entendue sans être capable de mettre un nom dessus, le cerveau paralysé par la drogue.

Servaz entendit une première déflagration, puis une seconde. Il vit Saint-Cyr tressauter et s’effondrer contre la cheminée. Son corps rebondit sur le manteau de pierre et retomba sur Servaz, qui baissa la tête. Lorsqu’il la releva, quelqu’un dégageait le corps lourd comme celui d’un cheval.

— MARTIN ! MARTIN ! ÇA VA ?

Il écarquilla les paupières comme pour en chasser un cil. Un visage flou dansait devant ses yeux larmoyants. Irène… Quelqu’un se tenait derrière elle… Maillard…

— De… l’EAU…, dit-il.

Irène Ziegler se précipita vers la cuisine américaine et remplit un verre d’eau qu’elle revint porter à ses lèvres. Servaz avala lentement, les muscles des mâchoires douloureux.

— Aide… moi… SALLE… de… BAINS…

Les deux gendarmes le prirent sous les aisselles et le soutinrent. Servaz avait l’impression qu’il allait s’effondrer à chaque pas.

— LOM-BARD…, bégaya-t-il.

— Quoi ?

— Ba… Ba-R-RAGES…

— C’est fait, s’empressa de répondre Irène. Toutes les routes de la vallée ont été barrées après l’appel de ton adjoint. Impossible de quitter la vallée par la route.

— Vincent… ?

— Oui. Il a obtenu la preuve qu’Éric Lombard a menti et qu’il n’était pas aux États-Unis la nuit où Freedom a été tué.

— L’héli…

— Impossible. Il ne pourrait pas décoller avec ce temps.

Il se pencha sur le lavabo. Ziegler ouvrit le robinet et l’aspergea d’eau froide. Servaz s’inclina davantage et mit son visage sous le jet. L’eau glacée lui fit l’effet d’une décharge électrique. Il toussa, cracha. Combien de temps resta-t-il incliné sur le lavabo à reprendre sa respiration et ses esprits ? Il n’aurait su le dire.

Quand il se redressa, il se sentait déjà beaucoup mieux. Les effets de la drogue commençaient à se dissiper. Surtout, l’urgence lui fouettait les sangs, combattant sa torpeur. Ils devaient agir… Vite…

— Où sont… CATH… ?

— Ils nous attendent. À la gendarmerie.

Ziegler le regarda.

— OK. On y va, dit-elle. Il ne faut pas perdre de temps.

Lisa Ferney referma son téléphone portable. Dans l’autre main, elle brandissait une arme de poing. Diane n’y connaissait rien en armes, mais elle avait vu assez de films pour savoir que le gros cylindre au bout du canon était un silencieux.

— J’ai bien peur que personne ne vienne à votre secours, Diane, dit l’infirmière chef. Dans moins d’une demi-heure, ce policier à qui vous avez parlé sera mort. C’est une chance que ma soirée soit tombée à l’eau par la faute de ce flic.

— Vous savez vous servir de ça ? demanda la psy en désignant l’arme.

Lisa Ferney esquissa un sourire.

— J’ai appris. Je suis membre d’un club de tir. C’est Éric qui m’a initiée. Éric Lombard.

— Votre amant, commenta Diane. Et votre complice.

— Ce n’est pas bien de fouiller dans les affaires des autres, ironisa l’infirmière chef. Je sais que ça paraît difficile à croire, Diane, mais Wargnier avait le choix entre plusieurs candidatures quand il s’est mis en tête qu’il lui fallait un adjoint — soit dit en passant, il m’a offensée en considérant que je n’avais pas les qualifications requises — et c’est moi qui vous ai choisie, moi qui ai fait le forcing auprès de lui pour que vous ayez le poste.

— Pourquoi ?

— Parce que vous êtes suisse.

— Quoi ?

Lisa Ferney ouvrit la porte, jeta un coup d’œil dans le couloir silencieux sans cesser de braquer l’arme sur Diane.

— Comme Julian… Quand j’ai vu votre candidature parmi les autres, je me suis aussitôt dit que c’était un signe très favorable pour nos projets.

Diane commençait à entrevoir une explication. Et elle lui faisait froid dans le dos.

— Quels projets ?

— Tuer ces salopards, répondit Lisa.

— Qui ?

— Grimm, Perrault et Chaperon.

— À cause de ce qu’ils ont fait à la colonie, dit Diane en se souvenant du Post-it dans le bureau de Xavier.

— Exact. À la colonie et ailleurs… Cette vallée était leur terrain de chasse…

— J’ai vu quelqu’un à la colonie… Quelqu’un qui sanglotait et qui criait… Une de leurs anciennes victimes ?

Lisa lui jeta un regard pénétrant, elle semblait se demander ce que Diane savait, en fin de compte.

— Oui, Mathias. Le pauvre ne s’en est jamais remis. Il a perdu les pédales. Mais il est inoffensif.

— Je ne vois toujours pas le rapport avec moi.

— Peu importe, dit Lisa Ferney. Vous allez être celle qui est venue de Suisse pour aider Hirtmann à s’évader, Diane. Celle qui a mis le feu à l’Institut et qui l’a guidé vers la sortie. Manque de bol, une fois dehors, cet ingrat de Julian n’aura pas résisté à ses pulsions si longtemps retenues ; il n’aura pas résisté à la tentation de tuer sa compatriote et complice : vous. Fin de l’histoire.

Diane s’immobilisa, en proie à une terreur pure comme de l’eau.

— Au début, nous avons songé à plusieurs façons de brouiller les pistes. Mais moi, j’ai tout de suite pensé à Julian. C’était une erreur, en fin de compte. Avec quelqu’un comme Julian, c’est toujours donnant-donnant. En échange de sa salive et de son sang, il a voulu savoir pourquoi nous en avions besoin. Mais ses exigences ne se sont pas arrêtées là. Il a fallu que je lui promette autre chose. Et c’est là que vous intervenez, Diane…

— C’est absurde. Beaucoup de gens me connaissent en Suisse. Personne ne croira une histoire pareille.

— Mais ce n’est pas la police suisse qui va mener l’enquête. Et puis, tout le monde sait que cet endroit peut être très perturbant pour des psychés fragiles. Le Dr Wargnier avait un doute vous concernant. Il discernait dans votre voix et dans vos mails une « vulnérabilité ». Je ne manquerai pas de le faire remarquer à la police, le moment venu — qui ne manquera pas à son tour d’interroger Wargnier. Et ce n’est pas Xavier, qui ne voulait pas de votre présence ici, qui me contredira. Vous voyez : cela fait beaucoup de témoignages contre vous, en fin de compte… Vous n’auriez pas dû vous mettre en travers de mon chemin, Diane. J’étais décidée à vous laisser la vie sauve. Vous auriez juste passé quelques années en prison.