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Soudain, il eut un tressaillement.

Un mouvement… Il lui avait semblé voir une ombre bouger derrière une fenêtre.

Le talkie-walkie grésilla.

— Vous êtes en position ?

La voix de Ziegler. Il hésita. Avait-il vu quelque chose, oui ou non ?

— J’ai peut-être vu quelqu’un à l’étage, dit-il. Je n’en suis pas sûr.

— OK, on y va de toute façon. Couvrez-nous.

L’espace d’un court instant, il faillit lui dire d’attendre.

Trop tard. Elles se glissaient déjà entre les parterres enneigés, courant sur le gravier. Au moment où elles passaient entre les deux grands lions en topiaire, Servaz sentit son sang se figer : une fenêtre venait de s’ouvrir au premier étage. Il aperçut une arme au bout d’un bras tendu ! Sans hésiter, il visa et tira. À sa grande surprise, un carreau vola en éclats. Mais pas à la bonne fenêtre ! L’ombre disparut.

— Qu’est-ce qui se passe ? lança Ziegler dans le talkie-walkie.

Il la vit qui s’abritait derrière un des animaux géants. Pas vraiment une protection. Une seule rafale à travers l’arbuste et elle resterait sur le carreau.

— Attention ! cria-t-il. Il y a au moins un type armé là-dedans ! Il allait vous tirer dessus !

Elle fit un signe à Samira et elles s’élancèrent vers la façade. Elles disparurent à l’intérieur. Bon Dieu ! Chacune des deux avait plus de testostérone qu’Espérandieu et lui réunis !

— À vous, lança Ziegler dans l’appareil.

Servaz grogna. Ils auraient dû rebrousser chemin. Et attendre les renforts. Il s’élança néanmoins, suivi d’Espérandieu. Ils couraient vers l’entrée du château quand plusieurs détonations retentirent à l’intérieur. Ils gravirent les marches du perron trois par trois et s’engouffrèrent par la grande porte ouverte. Ziegler était en train de faire feu vers le fond, planquée derrière une statue. Samira était au sol.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? gueula Servaz.

— On nous a tiré dessus !

Servaz considéra avec défiance l’enfilade des salons obscurs. Ziegler se pencha sur Samira. Une plaie à la jambe. Elle saignait abondamment. Elle avait laissé une longue traînée sanglante sur le marbre du sol. La balle avait lacéré la cuisse, sans toucher l’artère fémorale. Allongée sur le sol, Samira appliquait déjà sa main gantée sur la plaie pour stopper le saignement. Il n’y avait rien d’autre à faire en attendant les secours. Ziegler sortit son talkie-walkie pour réclamer une ambulance.

— On ne bouge plus ! décréta Servaz quand elle eut terminé. On attend les renforts !

— Ils n’arriveront pas avant une bonne heure !

— Tant pis !

Elle hocha la tête.

— Je vais te faire un pansement compressif, dit-elle à Samira. On ne sait jamais : tu pourrais avoir besoin de te servir de ton calibre.

En quelques secondes, à l’aide d’une bande sortie de sa poche et d’un paquet de mouchoirs en papier laissés dans leur emballage, elle confectionna un pansement compressif, en serrant suffisamment fort pour arrêter le saignement. Servaz savait qu’une fois le saignement stoppé le blessé pouvait rester ainsi sans véritable danger pour son intégrité physique. Il attrapa son talkie-walkie.

— Pujol, Simeoni, vous rappliquez !

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Pujol.

— On a essuyé des coups de feu. Samira est blessée. On a besoin de soutien, on est dans le hall du château. Situation dégagée.

— Bien reçu.

Il tourna la tête — et sursauta.

Plusieurs tètes d’animaux empaillées le regardaient depuis les murs du hall. Ours. Isard. Cerf. L’une d’elles lui était familière. Freedom… Le cheval le fixait de ses yeux d’or.

Soudain, il vit Irène se lever et s’élancer vers les profondeurs de la bâtisse. Merde !

— Tu restes avec elle ! lança-t-il à son adjoint en s’élançant à son tour.

Diane avait l’impression d’avoir dormi des heures. En ouvrant les yeux, elle discerna d’abord la route qui défilait à travers le pare-brise, dans la lueur des phares, et les flocons qui se précipitaient par milliers à leur rencontre. Elle perçut les chapelets de messages grésillants qui montaient du tableau de bord, légèrement sur sa gauche.

Puis elle tourna la tête et elle le vit.

Elle ne se demanda pas si elle rêvait. Elle savait que ce n’était malheureusement pas le cas.

Il remarqua qu’elle s’était réveillée et il attrapa l’arme entre ses cuisses. Tout en conduisant, il la braqua sur elle.

Il ne prononça pas un mot : c’était inutile.

Diane ne put s’empêcher de se demander où et quand il allait la tuer. Et de quelle façon. Allait-elle finir comme les autres, comme les dizaines d’autres jamais retrouvées — au fond d’un trou quelque part dans des bois ? À cette idée, elle sentit la terreur la paralyser. Elle était comme un animal pris au piège dans cette voiture. Cette perspective lui parut si insupportable qu’après la peur elle sentit progressivement la colère et la détermination prendre le dessus. Et une froide résolution, aussi glaciale que l’atmosphère dehors : quitte à mourir, elle ne mourrait pas en victime. Elle allait se battre, vendre chèrement sa peau. Ce salopard ne savait pas encore ce qui l’attendait. Elle devait guetter le moment le plus propice. Il y en aurait forcément un. L’important était de se tenir prête…

MAUD, MA PETITE SŒUR BIEN-AIMÉE. Dors, petite sœur. Dors. Tu es si belle quand tu dors. Si paisible. Si radieuse.

J’ai échoué, Maud. J’ai voulu te protéger, tu me faisais confiance, tu croyais en moi. J’ai échoué. Je n’ai pas réussi à te préserver du monde, petite sœur ; je n’ai pu empêcher le monde de te salir et de te blesser.

— Monsieur ! Il faut y aller ! Venez !

Éric Lombard se retourna, le bidon d’essence à la main. Otto avait une arme au bout de son bras, son autre bras pendait inerte le long de son corps ; la manche était trempée de sang.

— Attends, dit-il. Laisse-moi encore un peu, Otto. Ma petite sœur… Que lui ont-ils fait ? Que lui ont-ils fait, Otto ?

Il se retourna vers le cercueil. Autour de lui, une vaste pièce circulaire brillamment éclairée par des appliques. Tout, dans cette salle, était blanc : murs, sol, mobilier… Une estrade carrée au centre du cercle. Chacun de ses côtés était constitué de deux marches. Un grand cercueil blanc ivoire reposait dessus. Il y avait aussi deux guéridons avec des fleurs dans des vases. Les fleurs étaient blanches, les vases et les guéridons également.

Éric Lombard agita le bidon d’essence au-dessus du catafalque. Le cercueil était ouvert. À l’intérieur, allongée au creux du capiton ivoirin, Maud Lombard paraissait dormir dans sa robe blanche. Yeux clos. Souriante. Immaculée. Immortelle…

Plastination. On remplaçait les liquides biologiques par du silicone. Comme dans ces expos où on montrait de vrais cadavres parfaitement conservés. Éric Lombard fixa le jeune visage angélique, à présent ruisselant d’essence.

Ma violence s’est dressée, bâton de la méchanceté. Il ne reste rien d’eux, rien de leur grondement ; plus de répit pour eux. Le temps vient, le jour est imminent. Chacun vivra dans son crime ; ils ne pourront reprendre force.