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Ézéchiel, XVII, 11–14.

— Monsieur ! Est-ce que vous m’entendez ? Il faut partir !

— Regarde comme elle dort. Regarde comme elle est paisible. Elle n’a jamais été plus belle qu’en cet instant.

— Elle est morte, bon Dieu ! MORTE ! Ressaisissez-vous !

— Père nous lisait la Bible, tous les soirs, Otto. Tu t’en souviens ? L’Ancien Testament. Pas vrai, Maud ? Il nous apprenait ses leçons, il nous apprenait à faire justice nous-mêmes — à ne jamais laisser un affront ou un crime impunis.

— Réveillez-vous, monsieur ! Il faut partir !

— Mais lui-même était un homme injuste et cruel. Et lorsque Maud a commencé à sortir avec des garçons, il l’a traitée comme il avait traité sa mère. Les rescapés s’enfuiront ; ils iront dans les montagnes, tous comme de plaintives colombes des vallées, chacun à cause de son péché. Leurs mains trembleront ; leurs genoux fondront en eau. Un frisson les saisira. Ézéchiel, VII, 16–18.

Des détonations là-haut. Otto se retourna et s’approcha de l’escalier, l’arme brandie. Son bras blessé le faisait grimacer.

L’homme avait surgi d’un angle. Tout alla très vite. La balle passa si près que Servaz l’entendit siffler comme un frelon. Il n’eut pas le temps de réagir. Ziegler tirait déjà et il vit l’homme s’effondrer contre une statue de marbre. Son arme rebondit sur le sol avec un bruit de ferraille.

Ziegler s’approcha de l’homme, son pistolet toujours brandi. Elle se pencha sur lui. Une grosse tache rouge s’élargissait à l’épaule. Il était vivant mais en état de choc. Elle passa un message dans le talkie-walkie, puis elle se redressa.

En s’avançant à leur tour, Servaz, Pujol et Simeoni découvrirent derrière la statue une porte qui donnait sur un escalier, lequel s’enfonçait dans le sol.

— Par là, dit Pujol.

Un escalier blanc. Du marbre blanc. Un mur en hélice. De larges marches en colimaçon qui s’enfonçaient dans les entrailles de l’immense bâtisse. Ziegler descendait la première, l’arme pointée. Soudain, une détonation retentit et elle remonta en hâte se mettre à l’abri.

— Merde ! Il y a un autre tireur là en bas !

Ils la virent décrocher quelque chose de sa ceinture. Servaz sut aussitôt de quoi il s’agissait.

Otto vit l’objet noir rebondir comme une balle de tennis sur les marches en bas de l’escalier puis rouler sur le sol de la salle près de lui. Toc-toc-toc… Il comprit trop tard… Grenade incapacitante… Lorsque l’objet explosa, un flash aveuglant de plusieurs millions de candelas paralysa littéralement sa vision. Une épouvantable détonation suivit, secouant la salle, et une onde de choc traversa son corps et ses tympans, lui donnant l’impression que la pièce tournait autour de lui. Il perdit l’équilibre.

Le temps qu’il reprenne ses esprits et deux silhouettes apparaissaient dans son champ de vision. Il reçut un coup de pied dans la mâchoire et il lâcha son arme puis il fut retourné sur le sol et il sentit l’acier froid des menottes se refermer sur ses poignets. C’est à ce moment-là qu’il vit les flammes. Elles avaient commencé à dévorer le catafalque. Son patron avait disparu. Otto se laissa faire. Très jeune, il avait été mercenaire en Afrique sous les ordres de Bob Denard et de David Smiley, dans les années 1960. Il avait connu les atrocités des guerres postcoloniales, il avait torturé et été torturé. Puis il était entré aux ordres d’Henri Lombard, un homme aussi dur que lui, avant de servir son fils. Il en fallait beaucoup pour l’impressionner.

— Allez tous vous faire enculer, dit-il simplement.

La chaleur du brasier leur brûlait le visage. Les flammes occupaient le centre de la pièce, noircissant le haut plafond. L’atmosphère serait bientôt irrespirable.

— Pujol et Simeoni, lança Ziegler en montrant l’escalier, ramenez-le au fourgon !

Elle se tourna vers Servaz, qui contemplait l’estrade en flammes. Le feu dévorait le corps à l’intérieur du cercueil mais ils avaient eu le temps d’entrevoir le visage juvénile et les longs cheveux blonds.

— Nom de Dieu ! souffla Ziegler.

— J’ai vu sa tombe au cimetière, dit Servaz.

— Il faut croire qu’elle est vide. Comment ont-ils réussi à la conserver aussi longtemps ? En l’embaumant ?

— Non, ça ne suffirait pas. Mais Lombard a les moyens. Et il y a des techniques.

Servaz fixait le jeune visage angélique transformé en un amas de chairs brûlées, d’os et de silicone en fusion. L’impression d’irréalité était totale.

— Où est Lombard ? demanda Ziegler.

Servaz sortit de la torpeur provoquée par le spectacle des flammes dévorant le cercueil et montra du menton la petite porte ouverte de l’autre côté de la pièce. Ils firent le tour de la salle en rasant le mur circulaire pour fuir la chaleur du brasier, puis la franchirent.

Un nouvel escalier. Il remontait vers la surface. Plus étroit et moins bien entretenu que le précédent. De la pierre grise, suintante, maculée de traînées noires.

Ils débouchèrent à l’arrière du château.

Vent. Neige. Tempête. Nuit.

Ziegler s’arrêta et prêta l’oreille. Tout était silencieux. À part le vent. La pleine lune apparaissait et disparaissait derrière les nuages. Servaz scruta les ombres mouvantes de la forêt.

— Là, dit-elle.

Le triple sillon d’une motoneige dans le clair de lune. Il suivait un sentier qui creusait une trouée entre les arbres. Le plafond nuageux se referma et les sillons disparurent.

— Trop tard. Il a filé, dit Servaz.

— Je sais où mène cette piste : il y a un cirque glaciaire à deux kilomètres d’ici. La piste va jusque-là puis grimpe dans la montagne, elle franchit un col et redescend dans une autre vallée. Il y a une route qui se dirige vers l’Espagne à cet endroit.

— Pujol et Simeoni peuvent filer là-bas.

— Il leur faudra faire un détour de cinquante kilomètres. Lombard y sera avant eux ! Il y a probablement déjà une voiture qui l’attend de l’autre côté !

Elle marcha jusqu’à une petite construction adossée à la forêt : les traces de la motoneige partaient de là. Ziegler ouvrit la porte et tourna un commutateur. À l’intérieur, deux autres motoneiges, un tableau de clefs, des skis, des bottes, des casques et des combinaisons noires au mur : les bandes réfléchissantes jaunes de ces dernières accrochaient la lumière.

— Bonté divine ! s’écria Ziegler. Je serais curieuse de savoir quelle sorte de dérogation il a !

— Comment ça ?

— L’usage de ces engins est strictement réglementé, dit-elle en décrochant l’une des combinaisons.

Servaz avala sa salive en voyant Irène la passer.

— Qu’est-ce que tu fais ?

— Enfile ça !

Elle lui en montrait une deuxième et une paire de bottes. Servaz hésita. Il y avait sans doute un autre moyen… Des barrages par exemple… Mais toutes les forces de l’ordre étaient mobilisées à l’Institut… Et, une fois de l’autre côté, Lombard avait sûrement prévu la parade… Irène farfouilla dans le tableau des clefs, mit en route l’un des longs engins fuselés et le fit glisser à l’extérieur. Elle alluma le phare puis elle retourna à l’intérieur et attrapa deux casques et deux paires de gants. Servaz se débattait avec sa combinaison trop grande, gêné par son gilet pare-balles de surcroît.