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— Il a un surf ! hurla Ziegler. Le salopard ! Il va nous filer entre les doigts !

Servaz vit que Lombard se tenait au sommet d’une pente très abrupte semée de gros rochers. Il se souvint de tous les articles vantant ses exploits sportifs. Il se demanda si la motoneige était capable de le suivre là-dedans et il se fit aussitôt la réflexion que Lombard n’aurait pas abandonné la sienne si tel avait été le cas. Ziegler dévalait le sentier à tombeau ouvert à présent. Elle bifurqua en suivant la trace laissée par l’engin de Lombard et Servaz crut un instant qu’ils allaient partir dans le décor. Il vit l’homme d’affaires tourner vivement la tête vers eux et lever un bras dans leur direction.

— Attention ! Il a une arme !

Il n’aurait su dire exactement ce que Ziegler avait fait mais leur engin se mit brutalement en travers et Servaz se retrouva cul par-dessus tête dans la neige. Un éclair jaillit devant eux, aussitôt suivi du fracas d’une détonation. La détonation rebondit contre la montagne, renvoyée et amplifiée par l’écho. Une deuxième la suivit. Puis une troisième… Les coups de feu et leur écho produisaient un tonnerre assourdissant. Puis les tirs cessèrent. Servaz attendit, le cœur battant, enseveli dans la poudreuse. Ziegler était couchée à côté de lui, elle avait sorti son arme mais pour une raison mystérieuse elle avait décidé de ne pas s’en servir. Le dernier écho était encore dans l’air quand un deuxième bruit sembla naître du premier, un énorme craquement…

Un bruit inconnu… Servaz était incapable de dire ce que c’était…

Encore couché dans la neige, il sentit le sol vibrer sous son ventre. Un court instant, il crut qu’il faisait un malaise. Il n’avait jamais rien entendu ni senti de pareil.

Le craquement fut suivi d’un bruit plus rauque, plus profond, plus ample et plus sourd. Et de nature tout aussi inconnue.

Le grondement, assourdi et grave, enfla — comme s’il était couché sur des rails et qu’un train approchait… Non : pas un, mais plusieurs trains à la fois.

Il se redressa et vit Lombard lever les yeux vers la montagne, immobile, comme paralysé.

Et soudain, il comprit.

Il suivit le regard terrifié de Ziegler vers le sommet de la pente sur leur droite. Elle l’attrapa par le bras pour le relever.

— Vite ! Il faut courir ! Vite !!!

Elle l’entraîna vers le sentier, enfonçant dans la neige jusqu’aux genoux. Il la suivit, lourd et emprunté dans sa combinaison et ses bottes. Il s’arrêta un instant pour se retourner et regarder Lombard à travers la visière du casque. Celui-ci avait cessé de tirer et il se débattait avec les fixations de sa planche de surf. Servaz le vit jeter un coup d’œil inquiet vers le haut de la pente. Il l’imita et ce fut comme si un poing lui tordait les entrailles. Là-haut, dans le clair de lune, un pan entier du glacier bougeait comme un géant endormi qui se réveille. La peur au ventre, Servaz se hâta et sautilla tout en battant l’air de ses bras pour aller plus vite sans quitter le glacier des yeux.

Un gigantesque nuage s’éleva et se mit à dévaler la montagne entre les sapins. C’est fini, pensa-t-il. C’est fini ! Il tenta d’accélérer. Sans plus regarder ce qui se passait au-dessus de lui. L’énorme vague les heurta quelques secondes plus tard. Il fut soulevé de terre, catapulté, soufflé comme un fétu de paille. Il poussa un faible cri, aussitôt étouffé par la neige. Se retrouva emporté dans le tambour d’une machine à laver. Il ouvrit la bouche, toussa à cause de la neige, hoqueta, battit des bras et des jambes. Il suffoquait. Il se noyait. Il croisa le regard d’Irène, tête en bas, qui le fixait un peu plus loin avec une expression d’horreur absolue sur le visage. Puis elle disparut de son champ de vision. Il fut ballotté, secoué, retourné.

Il n’entendait plus rien…

Ses oreilles sifflaient…

L’air lui manquait…

Il allait mourir étouffé… enseveli…

C’EST FINI

Diane vit l’immense nuage qui dévalait la montagne avant lui.

— Attention ! hurla-t-elle, autant pour lui faire peur et le déstabiliser qu’à cause du danger.

Hirtmann jeta un coup d’œil surpris de son côté et Diane vit ses yeux s’écarquiller de stupeur. Au moment où la déferlante de neige, de débris et de pierres parvenait à hauteur de la route et allait l’ensevelir, il donna un brusque coup de volant qui lui fit perdre le contrôle du véhicule. La tête de Diane cogna contre le montant, elle sentit l’arrière de la voiture partir en travers. Au même instant, ils furent heurtés de plein fouet par l’avalanche.

Le ciel et la terre s’inversèrent. Diane vit la route tournoyer comme un manège dans une fête foraine. Son corps fut ballotté en tous sens et sa tête heurta la vitre et le métal de la portière. Un brouillard blanc les enveloppa avec un grondement sourd, terrifiant. La voiture fit plusieurs tonneaux sur la pente en contrebas, à peine freinée par les arbustes. Diane perdit très brièvement connaissance à deux ou trois reprises, si bien que toute cette séquence lui sembla une série de flashes irréels et de brefs trous noirs. Quand la voiture s’immobilisa enfin, avec un grincement lugubre du métal, elle était hébétée mais consciente. Devant elle, le pare-brise avait volé en éclats ; le capot de la voiture était entièrement recouvert par un amas de neige ; de petits ruisseaux de neige et de cailloux coulaient sur le tableau de bord à l’intérieur de l’habitacle et tombaient sur ses jambes. Elle regarda Hirtmann. Sans ceinture de sécurité, il avait perdu connaissance. Il avait le visage en sang. L’arme… Diane tenta désespérément de défaire sa propre ceinture et elle y parvint difficilement. Puis elle se pencha et chercha l’arme des yeux. Elle finit par la découvrir entre les pieds du tueur, presque coincée sous les pédales. Elle dut se pencher encore plus et, avec un frémissement glacé, passer un bras entre les jambes du Suisse pour la récupérer. Elle la regarda longuement en se demandant si le cran de sûreté était mis ou ôté. Il y avait un bon moyen de le savoir… Elle pointa l’arme vers Hirtmann, le doigt sur la détente. Elle comprit immédiatement qu’elle n’était pas une tueuse. Quoi que ce monstre eût fait, elle était incapable de presser la détente. Elle abaissa le canon du pistolet.

Alors seulement, elle se rendit compte d’une chose : le silence.

À part le vent dans les branches défeuillées des arbres, plus rien ne bougeait.

Elle guetta une réaction sur le visage du Suisse, un signe qu’il allait se réveiller, mais il restait parfaitement inerte. Il était peut-être mort… Elle n’avait pas envie de le toucher pour vérifier. La peur était toujours là — et serait toujours là tant qu’elle serait enfermée dans cette coque de métal avec lui. Elle fouilla ses poches à la recherche de son téléphone portable et constata qu’on le lui avait enlevé. Hirtmann l’avait peut-être sur lui mais, là encore, elle n’avait pas la force de lui faire les poches.

L’arme toujours au poing, elle entreprit de grimper par-dessus le tableau de bord. Elle passa à quatre pattes à travers le pare-brise et émergea sur la neige qui recouvrait le capot. Elle ne sentait même plus le froid. La poussée d’adrénaline la réchauffait. Elle descendit de la voiture et s’enfonça aussitôt jusqu’aux cuisses dans la neige qui l’entourait. La progression était difficile. Maîtrisant un début de panique, elle entama sa remontée vers la route. L’arme dans sa main la rassurait. Elle jeta un dernier coup d’œil vers la voiture. Hirtmann n’avait pas bougé. Il était peut-être mort.