On diraiiiiit qu’iiiill se réééveilleee
Vous nous entennnnnndez ????
Des voix. Lointaines. Elles s’adressaient à lui. Et puis la douleur. Les douleurs… L’épuisement, l’envie de se reposer, les médicaments… Un sursaut de lucidité pendant lequel il entraperçut des visages et des lumières — puis, de nouveau, l’avalanche, la montagne, le froid et, finalement, l’obscurité…
Maaartiin tuuu m’entennds ????
Il ouvrit les yeux — lentement. D’abord ébloui par le cercle lumineux au plafond. Puis une silhouette entra dans son champ de vision et se pencha sur lui. Servaz tenta de fixer le visage qui lui parlait doucement, mais le cercle de lumière derrière, qui lui dessinait une auréole, lui faisait mal aux yeux. Le visage était tantôt flou tantôt net. Il lui sembla cependant que c’était un beau visage.
Une main de femme prit la sienne.
Martin, tu m’entends ?
Il hocha la tête. Charlène lui sourit. Elle se pencha et déposa un baiser sur sa joue. Un contact agréable. Un léger parfum. Puis la porte de la chambre s’ouvrit et son adjoint entra.
— Il est réveillé ?
— On dirait. Il n’a encore rien dit.
Elle se tourna vers lui pour lui adresser un clin d’œil complice et Servaz se sentit tout à coup très réveillé. Espérandieu traversa la chambre en brandissant deux gobelets fumants. Il en tendit un à son épouse. Servaz tenta à son tour de tourner la tête, il sentit aussitôt une gêne au niveau du cou : une minerve…
— Putain, quelle histoire ! dit Espérandieu.
Servaz voulut s’asseoir, mais la douleur le fit grimacer et il y renonça. Espérandieu s’en aperçut.
— Le médecin a dit que tu ne devais pas bouger. Tu as trois côtes fêlées, divers petits bobos au niveau du cou et à la tête et des engelures. Et… on t’a amputé de trois orteils.
— Quoi ??
— Non, je blague.
— Et Irène ?
— Elle s’en est tirée. Elle est dans une autre chambre. Elle est un peu plus amochée que toi mais ça va. Plusieurs fractures, mais c’est tout.
Servaz sentit le soulagement l’envahir. Mais déjà une autre question se pressait sur ses lèvres.
— Lombard ?
— On n’a pas retrouvé son corps, il fait trop mauvais là-haut pour lancer des recherches. Demain. Il est sans doute mort sous l’avalanche. Vous avez eu de la chance, tous les deux : elle n’a fait que vous frôler.
Servaz fit de nouveau la grimace. Il aurait aimé voir son adjoint être frôlé de la sorte.
— SOIF…, dit-il.
Espérandieu acquiesça et ressortit. Il revint avec une infirmière et un toubib. Charlène et lui quittèrent un moment la chambre et Servaz fut questionné et examiné sous toutes les coutures. L’infirmière lui tendit ensuite un gobelet avec une paille. De l’eau. Sa gorge était atrocement desséchée. Il but et en redemanda. Puis la porte s’ouvrit de nouveau et Margot apparut. Il devina à son regard qu’il devait avoir une sale tête.
— Tu pourrais jouer dans un film d’horreur ! Tu fais vraiment peur ! rigola-t-elle.
— Je me suis permis de te l’amener, dit Espérandieu, la main sur la poignée de la porte. Je vous laisse.
Il referma la porte.
— Une avalanche, dit Margot sans oser le regarder trop longtemps. Brrrr, ça fout les jetons. (Elle grimaça un sourire gêné, puis le sourire disparut.) Tu te rends compte que tu aurais pu crever. Putain, papa, ne me fais plus jamais un coup comme ça, merde !
C’est quoi ce langage ? se demanda-t-il une fois de plus. Puis il se rendit compte qu’elle avait les larmes aux yeux. Elle devait être là bien avant qu’il reprenne connaissance et ce qu’elle avait vu l’avait remuée. Il eut tout à coup des papillons dans l’estomac. Il lui montra le bord du lit.
— Assieds-toi, dit-il.
Il lui prit la main. Elle se laissa faire, cette fois. Il y eut un long moment de silence, il allait dire quelque chose lorsqu’on frappa à la porte. Il tourna son regard dans cette direction et vit une jeune femme d’une trentaine d’années entrer dans la chambre. Il était sûr de ne jamais l’avoir vue auparavant, elle avait quelques plaies au visage — arcade sourcilière et pommette droites, une vilaine entaille au front et des yeux rouges et cernés : une autre victime de l’avalanche ?
— Commandant Servaz ?
Il hocha la tête.
— Je suis Diane Berg. La psychologue de l’Institut. On s’est parlé au téléphone.
— Qu’est-ce qui vous est arrivé ?
— J’ai eu un accident de voiture, répondit-elle en souriant comme si cela avait quelque chose de drôle. Je pourrais vous retourner la question, mais je connais déjà la réponse. (Elle lança un regard en direction de Margot.) Je peux vous parler une minute ?
Servaz regarda Margot qui fit la moue, toisa la jeune femme, se leva et sortit. Diane s’approcha du lit. Servaz lui montra la chaise libre.
— Vous savez qu’Hirtmann a disparu ? demanda-t-elle en s’asseyant.
Servaz la fixa un instant. Il secoua négativement la tête, malgré la minerve. Hirtmann libre… Tout à coup, son visage s’assombrit et elle vit son regard devenir noir et dur comme si quelqu’un avait éteint la lumière à l’intérieur. En fin de compte, pensa-t-il, toute cette nuit n’avait été qu’un immense gâchis. Lombard avait beau être un assassin, il ne représentait un danger que pour une poignée d’individus malfaisants. Mais ce qui animait Hirtmann était très différent. Une fureur incontrôlée, brûlant sans répit comme une flamme sombre dans son cœur et le séparant à jamais du reste des vivants. Une cruauté sans limites, une soif de sang et une absence de remords. Servaz sentit un picotement parcourir son épine dorsale. Qu’allait-il se passer maintenant que le Suisse était dans la nature ? Dehors, sans médicaments, son comportement psychopathique, ses pulsions et ses instincts de chasseur allaient se réveiller. Cette idée le glaça. Il n’y avait pas la moindre trace d’humanité chez les grands pervers psychopathes du genre d’Hirtmann, la jouissance que leur procuraient la torture, le viol et le meurtre était bien trop grande : dès qu’il en aurait l’occasion, le Suisse récidiverait.
— Que s’est-il passé ? demanda-t-il.
Elle lui raconta la nuit qu’elle avait vécue depuis le moment où Lisa Ferney l’avait surprise dans son bureau jusqu’à celui où elle s’était mise en marche sur cette route glacée en abandonnant un Hirtmann inanimé dans la voiture. Elle avait marché pendant près de deux heures avant de trouver âme qui vive et elle était frigorifiée et même en hypothermie lorsqu’elle avait atteint la première maison à l’entrée d’un village. Quand la gendarmerie était arrivée sur les lieux de l’accident, la voiture était vide ; il y avait des traces de pas et de sang qui remontaient jusqu’à la route, puis plus rien.
— Quelqu’un l’a ramassé, commenta Servaz.
— Oui.
— Une voiture qui passait par là ou bien… un autre complice.
Il tourna son regard vers la fenêtre. Il faisait nuit noire derrière la vitre.
— Comment avez-vous fait pour découvrir que c’était Lisa Ferney la complice de Lombard ? demanda-t-il.
— C’est une longue histoire, vous voulez vraiment l’entendre ?