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Près de chaque indice ou trace à photographier, un cavalier en plastique jaune portant un chiffre noir avait été posé sur la neige. Accroupi devant une des traces, un TIC la photographiait au flash, tout en augmentant et en diminuant la profondeur de champ. Une réglette graduée en PVC noir reposait sur la neige près de l’empreinte. Un deuxième homme s’approcha avec une mallette qu’il ouvrit, et Servaz reconnut un kit de moulage d’empreintes. Le premier technicien vint lui prêter main-forte, car ils devaient agir vite : en plusieurs endroits la neige fondait déjà. Pendant qu’ils opéraient, le troisième homme dégageait la tête du cheval. Le mur arrière étant orienté au nord, il prenait tout son temps, à la différence de ses collègues. Servaz avait l’impression de suivre le patient travail d’un archéologue exhumant un artefact d’une valeur particulière. Enfin, la tête entière apparut. Servaz n’y connaissait rien — mais il aurait parié que, même pour un spécialiste, Freedom avait été une bête splendide. L’animal avait les yeux clos, il donnait l’impression de dormir.

— On dirait qu’il a été endormi avant d’être tué et décapité, observa Marchand. Au moins, si c’est le cas, il n’aura pas souffert. Et ça expliquerait pourquoi personne n’a rien entendu.

Servaz échangea un regard avec Ziegler : l’examen toxicologique le confirmerait, mais c’était effectivement le premier élément de réponse à leurs interrogations. De l’autre côté du ruban, les techniciens effectuaient les derniers prélèvements à l’aide de brucelles et les scellaient dans des tubes. Servaz savait que moins de 7 % des enquêtes criminelles étaient résolues grâce aux preuves matérielles trouvées sur la scène de crime, mais il n’en admirait pas moins la patience et les efforts que ces hommes déployaient.

Quand ils eurent terminé, il fut le premier à franchir le ruban et il se pencha sur les traces.

— Du 45 ou du 46, estima-t-il. Un homme à 99 %.

— D’après le technicien, ce sont des chaussures de marche, dit Ziegler. Et le type qui les porte appuie un peu trop sur le talon et sur la partie externe du pied. Mais de manière imperceptible. Sauf pour un orthopédiste. Il y a aussi des défauts caractéristiques là, là et là.

À l’image des empreintes digitales, les traces laissées par une paire de chaussures se distinguaient non seulement par le dessin des semelles et la pointure, mais aussi par toute une série de minuscules défauts acquis au cours de son utilisation : traces d’usure, gravillons incrustés dans la semelle, balafres, trous et coupures provoqués par des branches, des clous, des morceaux de verre ou de métal ou par des cailloux tranchants… Sauf qu’à la différence des empreintes digitales ces traces n’avaient qu’une durée de vie limitée. Seule une comparaison rapide avec la paire d’origine permettait de l’identifier formellement. Avant que des kilomètres de marche sur toutes sortes de terrains ne gomment tous ces petits défauts pour les remplacer par d’autres.

— Vous avez prévenu M. Lombard ? demanda-t-il à Marchand.

— Oui, il est effondré. Il va écourter son séjour aux États-Unis pour rentrer le plus vite possible. Il prend l’avion dès ce soir.

— C’est donc vous qui dirigez l’écurie ?

— Le centre équestre, oui.

— Combien de personnes travaillent ici ?

— Ce n’est pas un grand centre. L’hiver, nous sommes quatre. Tous plus ou moins polyvalents. Disons qu’il y a un palefrenier, il y a moi, il y a Hermine, qui sert surtout de groom à Freedom et à deux autres chevaux — c’est elle la plus atteinte — et il y a un moniteur d’équitation. L’été, nous embauchons du personnel supplémentaire : des moniteurs et des guides pour les randonnées, des saisonniers.

— Combien dorment ici ?

— Deux : le palefrenier et moi.

— Ils sont tous là aujourd’hui ?

Marchand les regarda l’un après l’autre.

— Le moniteur est en vacances jusqu’à la fin de la semaine. L’automne, c’est la morte-saison. Je ne sais pas si Hermine est venue ce matin. Elle est très affectée. Venez.

Ils traversèrent la cour en direction du plus haut des bâtiments. Dès l’entrée, l’odorat de Servaz fut assailli par l’odeur de crottin. Son visage se couvrit instantanément d’une mince pellicule de sueur. Ils dépassèrent une sellerie et se retrouvèrent à l’entrée d’un grand manège couvert. Une cavalière faisait travailler une monture à la robe blanche ; le cheval décomposait chacun de ses pas avec une grâce infinie. La cavalière et sa monture semblaient ne faire qu’un. Le blanc du cheval tirait sur le bleu : de loin, son poitrail et son museau avaient la couleur de la porcelaine. Servaz pensa à un centaure féminin.

— Hermine ! lança le chef d’écurie.

La cavalière tourna la tête et dirigea lentement sa monture vers eux, la stoppa et descendit. Servaz vit qu’elle avait les yeux rouges, gonflés.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle en flattant l’encolure et le chanfrein du cheval.

— Va chercher Hector. La police veut vous interroger. Rendez-vous dans mon bureau.

Elle acquiesça en silence. Pas plus de vingt ans. Plus petite que la moyenne, plutôt jolie, avec un côté garçon manqué, des cheveux couleur de foin mouillé et des taches de son. Elle jeta à Servaz un coup d’œil douloureux, puis s’éloigna en entraînant le cheval avec elle, la tête basse.

— Hermine adore les chevaux ; c’est une excellente cavalière et une excellente entraîneuse. Et une chic fille, mais avec un sacré caractère. Elle a juste besoin de mûrir un peu. C’était elle qui s’occupait de Freedom. Depuis qu’il est né.

— Ça consistait en quoi ? demanda Servaz.

— À se lever tôt d’abord, à soigner et à panser le cheval, à le nourrir, à le sortir au pré et à le détendre. Le groom est une sorte de cavalier-soigneur. Hermine s’occupe aussi de deux autres pur-sang adultes. Des chevaux de compétition. Ce n’est pas un métier où on compte ses heures. Bien entendu, elle n’aurait commencé à débourrer Freedom que l’année prochaine. M. Lombard et elle attendaient ça avec impatience. C’était un cheval très prometteur, avec un très beau pedigree. C’était un peu la mascotte, ici.

— Et Hector ?

— C’est le plus vieux d’entre nous. Il travaille ici depuis toujours. Il était là bien avant moi, bien avant nous tous.

— Combien de chevaux ? lui demanda Ziegler.

— Vingt et un. Des pur-sang, des selles français, un holsteiner. Quatorze sont à nous, les autres sont en pension. Nous faisons de la pension, du poulinage et du coaching pour une clientèle extérieure.

— Combien de box ?

— Trente-deux. Plus un box de poulinage de quarante mètres carrés avec vidéosurveillance. Et aussi des barres gynécologiques, des salles de soins, deux stabulations, un centre d’insémination, deux carrières avec un parc d’obstacles pro, huit hectares de paddocks, de lices et de traverses avec des abris de prairie et une piste de galop.

— C’est un très beau centre, confirma Ziegler.

— La nuit, vous n’êtes que deux pour surveiller tout ça ?

— Il y a un système d’alarme et tous les box et les bâtiments sont verrouillés : ces chevaux valent cher.

— Et vous n’avez rien entendu ?

— Non, rien.

— Vous prenez quelque chose pour dormir ?