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Une publicité vivante pour le groupe Lombard.

Âge : trente-six ans.

D’un point de vue juridique, le groupe Lombard était une SCA : une société en commandite par actions, mais la société mère — Lombard Entreprises — était une holding.

Les quatre principales filiales du groupe étaient Lombard Média (livres, presse, distribution, audiovisuel), Lombard Group (vente d’équipements sportifs, de vêtements, de voyages et de produits de luxe et quatrième acteur mondial du luxe), Lombard Chimie (pharmacie, chimie) et AIR, spécialisée dans l’industrie aéronautique, spatiale et de défense (AIR était l’acronyme d’Aéronautique, ingénierie et recherche). Le groupe Lombard possédait quinze pour cent d’AIR par l’intermédiaire de sa holding mère, Lombard Entreprises. Éric Lombard lui-même étant gérant commandité et P-DG de Lombard SCA, P-DG de Lombard Group et de Lombard Chimie et président du directoire d’AIR. Diplômé d’une école de commerce française et de la London School of Economics, il avait commencé sa carrière en travaillant dans l’une des filiales de Lombard Group : un équipementier sportif bien connu.

Le groupe comptait un effectif de plus de 78 000 personnes réparties dans près de soixante-quinze pays et avait dégagé l’année précédente un chiffre d’affaires de 17 928 millions d’euros pour un résultat d’exploitation de 1 537 millions d’euros et un résultat net de la part du groupe de 677 millions, tandis que ses dettes financières s’élevaient à 3 458 millions d’euros. Des chiffres qui auraient donné le vertige à tout individu normalement constitué mais probablement pas aux spécialistes de la finance internationale. En les découvrant, Servaz comprit que si le groupe avait conservé la petite usine hydroélectrique vieillissante, ce ne pouvait être que pour des raisons historiques et sentimentales. C’était ici, dans les Pyrénées, que l’empire Lombard était né.

En accrochant le cheval là-haut, c’était donc un symbole qu’on avait visé. On avait cherché à frapper Éric Lombard à la fois dans son histoire familiale et dans la première de ses passions : les chevaux.

Car c’est ce qui ressortait de tous les articles consacrés au dernier rejeton mâle de la dynastie : de toutes ses passions, celle des chevaux arrivait en tête. Éric Lombard possédait des haras dans plusieurs pays, Argentine, Italie, France… Mais il revenait toujours à ses premières amours : le centre équestre où il avait fait ses débuts de cavalier, près du château familial, dans cette vallée du Comminges.

Servaz fut tout à coup convaincu que la mise en scène de la centrale n’était pas le geste d’un dément échappé de l’Institut, mais bien un acte conscient, prémédité, planifié.

Il interrompit sa lecture pour réfléchir. Il hésitait à s’engager dans une voie où il allait devoir ressortir tous les squelettes des placards d’un empire industriel rien que pour élucider la mort d’un cheval. D’un autre côté, il y avait la terrible vision de l’animal décapité sortant du téléphérique et le choc qu’il avait alors éprouvé. Qu’avait dit Marchand ? « M. Lombard a beaucoup d’ennemis. »

Le téléphone sonna. Servaz décrocha. C’était d’Humières.

— Les vigiles, ils ont disparu.

— Ne leur tournez jamais le dos, dit le Dr Xavier.

Derrière les grandes baies vitrées, le soleil couchant incendiait les montagnes et sa lave rouge se répandait dans la salle.

— Soyez attentive. À chaque seconde. Ici, pas le droit à l’erreur. Vous apprendrez vite à reconnaître les signaux : un regard qui fuit, un sourire en forme de rictus, une respiration un peu trop rapide… Ne relâchez jamais votre vigilance. Et ne leur tournez jamais le dos.

Diane opina. Un patient approchait. Une main sur le ventre.

— Où est l’ambulance, docteur ?

— L’ambulance ? dit Xavier, tout sourire.

— Celle qui doit m’emmener à la maternité. J’ai perdu les eaux. Elle devrait déjà être là.

Le patient était un homme d’une quarantaine d’années, qui mesurait plus d’un mètre quatre-vingt-dix et qui devait peser dans les cent cinquante kilos. Des cheveux longs, un visage mangé par une barbe épaisse et des petits yeux brillants, fiévreux. À côté, Xavier avait l’air d’un enfant. Pourtant, il ne semblait pas inquiet.

— Elle ne va pas tarder, répondit-il. C’est un garçon ou une fille ?

Les petits yeux le fixèrent.

— C’est l’Antéchrist, dit l’homme.

Il s’éloigna. Diane remarqua qu’un infirmier le suivait du regard dans tous ses déplacements. Il y avait une quinzaine de patients dans la salle commune.

— Il y a pas mal de dieux et de prophètes ici, commenta Xavier sans cesser de sourire. De tout temps, la folie a puisé dans les répertoires religieux et politique. Avant, nos pensionnaires voyaient des communistes partout. Aujourd’hui, ils voient des terroristes. Venez.

Le psychiatre s’approcha d’une table ronde où trois hommes jouaient aux cartes. L’un d’eux ressemblait à un taulard avec ses bras musclés et ses tatouages, les deux autres avaient l’air normaux.

— Je vous présente Antonio, dit Xavier en désignant le tatoué. Antonio était dans la Légion. Malheureusement, il était persuadé que le camp où il avait été affecté était plein d’espions et, une nuit, il a fini par en étrangler un. N’est-ce pas, Antonio ?

Antonio acquiesça sans quitter les cartes des yeux.

— Mossad, dit-il. Ils sont partout.

— Robert, lui, s’en est pris à ses parents. Il ne les a pas tués, non, juste terriblement amochés. Il faut dire que ses parents le faisaient trimer à la ferme depuis l’âge de sept ans, le nourrissaient de pain et de lait et l’obligeaient à dormir à la cave. Robert a trente-sept ans. C’est eux qu’on aurait du enfermer, si vous voulez mon avis.

— Ce sont les Voix qui m’ont dit de le faire, dit Robert.

— Enfin, voici Greg. Peut-être le cas le plus intéressant. Greg a violé une dizaine de femmes en moins de deux ans. Il les repérait à la poste ou au supermarché, les suivait et retrouvait leur adresse. Puis il s’introduisait chez elles pendant leur sommeil, les frappait, les ligotait et les mettait sur le ventre avant d’allumer la lumière. Passons sur les détails de ce qu’il leur faisait subir : sachez simplement que ses victimes en garderont des séquelles toute leur vie. Mais il ne les tuait pas, non. Au lieu de ça, il s’est mis un beau matin à leur écrire. Il était persuadé que ces… rapports les avaient rendues amoureuses et qu’elles étaient toutes enceintes de ses œuvres. Il leur a donc laissé son nom et son adresse et la police n’a pas tardé à débarquer chez lui. Greg continue de leur écrire. Bien entendu, nous n’envoyons pas les lettres. Je vous les montrerai. Ce sont des lettres absolument magnifiques.

Diane regarda Greg. Un homme séduisant, dans la trentaine : brun, des yeux clairs — mais lorsque son regard croisa celui de Diane, elle frémit.

— On continue ?

Un long couloir, incendié par le crépuscule.

Une porte percée d’un hublot, sur leur gauche. Des voix la traversaient. Un bavardage rapide, nerveux. Le débit était précipité. Elle jeta un coup d’œil par le hublot au passage et elle eut un choc. Elle venait d’apercevoir un homme allongé sur une table d’opération, un masque à oxygène sur le visage, des électrodes sur les tempes. Des infirmiers se tenaient autour de lui.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle.

— Électroconvulsivothérapie.

Électrochocs… Diane sentit ses cheveux se hérisser sur sa nuque. Dès leur apparition en psychiatrie dans les années 1930, l’utilisation des électrochocs avait fait l’objet de controverses, leurs détracteurs les qualifiant de traitement inhumain, dégradant et de torture. Si bien que, dans les années 1960, avec l’apparition des neuroleptiques, le recours à l’ECT, l’électroconvulsivothérapie, avait considérablement diminué. Avant de reprendre de plus belle au milieu des années 1980 dans de nombreux pays — dont la France.

— Comprenez bien, dit Xavier devant son mutisme, l’ECT actuelle n’a plus rien à voir avec les séances d’autrefois. Elle est pratiquée sur des patients atteints de dépressions majeures qui sont placés sous anesthésie générale et à qui on administre un relaxant musculaire à élimination rapide. Ce traitement donne des résultats remarquables : il est efficace dans plus de 85 % des cas de dépressions sévères. Un taux supérieur aux antidépresseurs. C’est indolore et, grâce aux méthodes actuelles, il n’y a plus de séquelles au niveau du squelette ni de complications orthopédiques.

— Mais il y en a au niveau de la mémoire et de la cognition. Et le patient peut rester en état de confusion pendant plusieurs heures. Et on ne sait toujours pas quelle est l’action réelle de l’ECT sur le cerveau. Vous avez beaucoup de dépressifs ici ?

Xavier lui adressa un regard circonspect.

— Non. 10 % seulement de nos patients le sont.

— Combien de schizophrènes, de psychopathes ?

— Environ 50 % de schizos, 25 % de psychopathes et 30 de psychotiques, pourquoi ?

— Bien sûr, vous ne pratiquez l’ECT que sur les cas de dépression ?

Elle sentit comme un infime déplacement d’air. Xavier la fixa.

— Non, nous la pratiquons aussi sur les occupants de l’unité A.

Elle haussa un sourcil en signe d’étonnement.

— Je croyais qu’il fallait le consentement du patient ou d’un tuteur légal pour… ?

— C’est le seul cas où nous nous en passons…

Elle parcourut du regard le visage fermé de Xavier.

Quelque chose lui échappait. Elle prit une profonde inspiration et essaya de donner à sa voix un ton aussi neutre que possible :

— Dans quel but ? Pas thérapeutique… Aucune efficacité de l’ECT sur d’autres pathologies que la dépression, les manies et certaines formes très limitées de schizophrénie n’a été démontrée et…

— Dans un but d’ordre public.

Le front de Diane se plissa légèrement.

— Je ne comprends pas.

— C’est pourtant évident : il s’agit d’un châtiment.

Il lui tournait le dos à présent, il regardait le soleil orangé en train de disparaître derrière les montagnes noires. Son ombre s’étirait sur le sol.

— Avant que vous ne pénétriez dans l’unité A, il faut que vous compreniez une chose, mademoiselle Berg : plus rien ne peut effrayer ces sept-là. Pas même l’isolement. Ils sont dans leur monde à eux ; rien ne peut les atteindre. Mettez-vous bien ceci en tête : vous n’avez jamais rencontré de patients comme ceux-là. Jamais. Et, bien sûr, les châtiments corporels sont interdits, ici comme ailleurs.

Il se retourna et la fixa.

— Ils ne craignent qu’une chose… les électrochocs.

— Vous voulez dire, hésita Diane, que sur eux vous les pratiquez… ?

— Sans anesthésie.