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— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle.

— Électroconvulsivothérapie.

Électrochocs… Diane sentit ses cheveux se hérisser sur sa nuque. Dès leur apparition en psychiatrie dans les années 1930, l’utilisation des électrochocs avait fait l’objet de controverses, leurs détracteurs les qualifiant de traitement inhumain, dégradant et de torture. Si bien que, dans les années 1960, avec l’apparition des neuroleptiques, le recours à l’ECT, l’électroconvulsivothérapie, avait considérablement diminué. Avant de reprendre de plus belle au milieu des années 1980 dans de nombreux pays — dont la France.

— Comprenez bien, dit Xavier devant son mutisme, l’ECT actuelle n’a plus rien à voir avec les séances d’autrefois. Elle est pratiquée sur des patients atteints de dépressions majeures qui sont placés sous anesthésie générale et à qui on administre un relaxant musculaire à élimination rapide. Ce traitement donne des résultats remarquables : il est efficace dans plus de 85 % des cas de dépressions sévères. Un taux supérieur aux antidépresseurs. C’est indolore et, grâce aux méthodes actuelles, il n’y a plus de séquelles au niveau du squelette ni de complications orthopédiques.

— Mais il y en a au niveau de la mémoire et de la cognition. Et le patient peut rester en état de confusion pendant plusieurs heures. Et on ne sait toujours pas quelle est l’action réelle de l’ECT sur le cerveau. Vous avez beaucoup de dépressifs ici ?

Xavier lui adressa un regard circonspect.

— Non. 10 % seulement de nos patients le sont.

— Combien de schizophrènes, de psychopathes ?

— Environ 50 % de schizos, 25 % de psychopathes et 30 de psychotiques, pourquoi ?

— Bien sûr, vous ne pratiquez l’ECT que sur les cas de dépression ?

Elle sentit comme un infime déplacement d’air. Xavier la fixa.

— Non, nous la pratiquons aussi sur les occupants de l’unité A.

Elle haussa un sourcil en signe d’étonnement.

— Je croyais qu’il fallait le consentement du patient ou d’un tuteur légal pour… ?

— C’est le seul cas où nous nous en passons…

Elle parcourut du regard le visage fermé de Xavier.

Quelque chose lui échappait. Elle prit une profonde inspiration et essaya de donner à sa voix un ton aussi neutre que possible :

— Dans quel but ? Pas thérapeutique… Aucune efficacité de l’ECT sur d’autres pathologies que la dépression, les manies et certaines formes très limitées de schizophrénie n’a été démontrée et…

— Dans un but d’ordre public.

Le front de Diane se plissa légèrement.

— Je ne comprends pas.

— C’est pourtant évident : il s’agit d’un châtiment.

Il lui tournait le dos à présent, il regardait le soleil orangé en train de disparaître derrière les montagnes noires. Son ombre s’étirait sur le sol.

— Avant que vous ne pénétriez dans l’unité A, il faut que vous compreniez une chose, mademoiselle Berg : plus rien ne peut effrayer ces sept-là. Pas même l’isolement. Ils sont dans leur monde à eux ; rien ne peut les atteindre. Mettez-vous bien ceci en tête : vous n’avez jamais rencontré de patients comme ceux-là. Jamais. Et, bien sûr, les châtiments corporels sont interdits, ici comme ailleurs.

Il se retourna et la fixa.

— Ils ne craignent qu’une chose… les électrochocs.

— Vous voulez dire, hésita Diane, que sur eux vous les pratiquez… ?

— Sans anesthésie.

8

En roulant sur l’autoroute, le lendemain, Servaz pensait aux vigiles. Selon Cathy d’Humières, la veille, ils ne s’étaient pas présentés à leur travail. Au bout d’une heure, le directeur de la centrale avait décroché son téléphone.

Il les avait appelés sur leurs portables. L’un après l’autre. Pas de réponse. Morane avait alors prévenu la gendarmerie, qui avait dépêché des hommes à leurs domiciles, à vingt kilomètres de Saint-Martin pour l’un, à une quarantaine pour l’autre. Les deux hommes vivaient seuls ; l’un comme l’autre avaient l’interdiction de résider dans les mêmes départements que leurs anciennes compagnes, qu’ils avaient menacées de mort à plusieurs reprises, et — au moins pour l’une d’entre elles — envoyée à l’hôpital. Servaz savait pertinemment que, dans la pratique, la police ne se souciait guère de faire respecter ce genre d’obligations. Pour une raison évidente : il y avait désormais trop de criminels, trop de contrôles judiciaires, trop de procédures, trop de peines prononcées pour les appliquer toutes. Cent mille condamnés à de la prison ferme étaient en liberté, attendant leur tour de purger leur peine ou ayant choisi de prendre la poudre d’escampette à la sortie du tribunal, en sachant qu’il y avait peu de risques pour que l’État français consacre de l’argent et des hommes à leur recherche et en espérant se faire oublier le temps que leur peine soit prescrite.

Après lui avoir parlé des vigiles, la proc lui avait annoncé qu’Éric Lombard allait rentrer des États-Unis et qu’il voulait parler sans délai aux enquêteurs. Servaz avait failli perdre son sang-froid. Il avait une affaire de meurtre sur les bras ; même s’il voulait découvrir qui avait tué ce cheval, même s’il redoutait que cette affaire ne soit le prélude à quelque chose de plus grave, il n’était pas à la disposition d’Éric Lombard.

— Je ne sais pas si je pourrais, avait-il répondu sèchement. Il y a beaucoup à faire ici avec la mort de ce SDF.

— Il vaudrait mieux y aller, avait insisté d’Humières. Il semble que Lombard ait appelé la garde des Sceaux, laquelle a appelé le président du tribunal de grande instance, qui m’a appelée moi. Et moi, je vous appelle vous. Une vraie réaction en chaîne. D’ailleurs, Canter ne va pas tarder à vous dire la même chose ; je suis sûre que Lombard a aussi joint l’Intérieur. De toute façon, je croyais que vous teniez les coupables pour le sans-abri.

— On a un témoignage plutôt fragile, avoua Servaz à contrecœur, car il ne tenait pas à entrer dans les détails pour le moment. Et on attend le résultat des empreintes. Il y en avait pas mal sur place : des traces dactylaires, de semelles, de sang…

— Pas capricorne pour rien, hein ? Servaz, ne me faites pas le coup du policier débordé, j’ai horreur de ça. Je ne vais pas vous supplier. Rendez-moi ce service. Quand pouvez-vous retourner là-bas ? Éric Lombard vous attendra dans son château de Saint-Martin dès demain. Il y passera la fin de la semaine. Trouvez un moment.

— Très bien. Mais sitôt l’entretien terminé je reviens ici boucler l’enquête sur le SDF.

Sur l’autoroute, il s’arrêta dans une station-service pour faire le plein. Le soleil brillait, les nuages avaient fui plus loin. Il en profita pour joindre Ziegler. Elle avait rendez-vous à 9 heures au haras de Tarbes pour assister à l’autopsie du cheval. Elle lui suggéra de pousser jusque-là. Servaz accepta mais dit qu’il l’attendrait à l’extérieur.

— Comme vous voudrez, lui répondit-elle, sans cacher sa surprise.

Comment lui expliquer qu’il avait peur des chevaux ? que traverser un haras plein de ces animaux représentait pour lui une épreuve insurmontable ? Elle lui donna le nom d’un bistrot à proximité, avenue du Régiment-de-Bigorre. Elle l’y rejoindrait dès qu’ils auraient fini. Lorsqu’il parvint à Tarbes, un soleil presque printanier illuminait la ville. Aux portes du parc national des Pyrénées, elle dressait ses buildings au milieu de la verdure, avec dans le fond la barrière des montagnes, d’une blancheur immaculée sous le ciel bleu. Pas un nuage. Le ciel était immensément pur et les sommets étincelants semblaient assez légers et vaporeux pour s’élever dans l’azur comme des montgolfières. C’est comme une barrière mentale, se dit Servaz en les voyant. L’esprit se heurte à ces cimes comme à un mur. L’impression d’un territoire si peu familier à l’homme, une terra incognita, un finistère — au sens littéral.