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Il se souvint des chiffres lus sur Internet : Éric Lombard était l’une des premières fortunes de France, et l’un de ses citoyens les plus influents. Il était à la tête d’un empire présent dans plus de soixante-dix pays. Il était probable que l’ancienne orangerie avait été transformée en centre de communication ultramoderne. Ziegler claqua sa portière.

— Regardez.

Elle montrait les arbres. Il suivit des yeux la direction indiquée. Compta une trentaine de caméras fixées aux troncs, entre les branches. Elles devaient couvrir tout le périmètre. Aucun angle mort. Quelque part dans le château, on les observait. Ils suivirent une allée gravillonnée entre les massifs de fleurs et passèrent entre deux lions accroupis taillés dans le buis. Chacun faisait cinq mètres de haut. Étrange, pensa Servaz. On dirait un jardin conçu pour le divertissement d’enfants très riches. Mais il n’avait lu nulle part qu’Éric Lombard eût des enfants. Au contraire, la plupart des articles parlaient d’un célibataire endurci et de ses nombreuses conquêtes. Ou bien ces sculptures de verdure dataient-elles de son enfance à lui ? Un homme d’une soixantaine d’années les attendait en haut des marches. Grand, vêtu de noir. Il posa sur eux un regard dur comme la glace. Bien qu’il le vît pour la première fois, Servaz sut immédiatement à qui il avait affaire : l’homme à qui il avait parlé au téléphone — et il sentit sa colère revenir. Le type les accueillit sans sourire et leur demanda de le suivre avant de tourner les talons. Le ton employé indiquait qu’il s’agissait, là encore, moins d’une demande que d’un ordre.

Ils franchirent le seuil.

Une enfilade de salons vastes, vides et sonores, qui traversait de part en part toute la profondeur du bâtiment, car ils distinguaient la clarté du jour à l’autre bout de la bâtisse, comme provenant du fond d’un tunnel. L’intérieur était monumental. Les fenêtres du premier étage éclairaient en réalité le hall, le plafond étant très lointain. L’homme en noir les précéda à travers le hall et un premier salon dépourvu de mobilier avant de se diriger vers une double porte sur leur droite. Une bibliothèque aux murs couverts de livres anciens, dont les quatre hautes portes-fenêtres donnaient sur la forêt. Éric Lombard se tenait devant l’une d’elles. Servaz le reconnut immédiatement, bien qu’il leur tournât le dos. L’homme d’affaires parlait dans un casque-micro.

— La police est là, dit l’homme en noir d’un ton mi-déférent, mi-méprisant pour les visiteurs.

— Merci, Otto.

Otto quitta la pièce. Lombard termina sa conversation en anglais, ôta son casque-microphone qu’il posa sur une table de chêne. Son regard s’attarda sur eux. Servaz d’abord, Ziegler ensuite, plus longuement — avec une brève lueur d’étonnement pour sa tenue. Il sourit chaleureusement.

— Veuillez excuser Otto. Il s’est trompé d’époque. Il a parfois tendance à me prendre pour un prince ou un roi, mais c’est aussi quelqu’un sur qui je peux compter en toutes circonstances.

Servaz ne dit rien. Il attendait la suite.

— Je sais que vous êtes très occupés. Et que vous n’avez pas de temps à perdre. Moi non plus. Je tenais énormément à ce cheval. C’était un animal merveilleux. Je veux être sûr que tout, absolument tout sera fait pour retrouver celui qui a commis cette abomination.

Il les scruta de nouveau. Il y avait de la tristesse dans ses yeux bleus, mais aussi de la dureté et de l’autorité.

— Ce que je veux que vous compreniez, c’est que vous pouvez m’appeler à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, me poser toutes les questions que vous jugerez utiles, même les plus saugrenues. Je vous ai demandé de venir afin de m’assurer que vous ne négligerez aucune piste, aucun moyen de boucler cette enquête. Ce que je veux, c’est que toute la lumière soit faite et on m’a garanti que vous étiez d’excellents enquêteurs. (Il sourit, puis le sourire disparut.) Dans le cas contraire, si vous veniez à faire preuve de négligence, à traiter cette affaire par-dessus la jambe sous prétexte qu’il ne s’agit que d’un cheval, je me montrerais impitoyable.

La menace n’était même pas voilée. Ce que je veux… L’homme était sans détours. Il n’avait pas de temps à perdre et il allait droit au but. Du coup, il parut presque sympathique à Servaz. Tout comme son amour pour cet animal.

Mais Irène Ziegler ne l’entendait visiblement pas de cette oreille. Servaz vit qu’elle était devenue très pâle.

— Vous n’obtiendrez rien par la menace, riposta-t-elle avec une colère froide.

Lombard la fixa. D’un coup, son visage se radoucit et il afficha une mine sincèrement contrite.

— Je vous demande pardon. Je suis sûr que vous êtes tous deux parfaitement compétents et consciencieux. Vos supérieurs ne tarissent pas d’éloges à votre sujet. Je suis un idiot. Ces… événements m’ont bouleversé. Acceptez mes excuses, capitaine Ziegler. Elles sont sincères.

Ziegler hocha la tête à contrecœur mais elle ne dit rien de plus.

— Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, intervint Servaz, j’aimerais que nous commencions tout de suite à vous poser des questions, puisque nous sommes là.

— Bien sûr. Suivez-moi. Permettez-moi de vous offrir un café.

Éric Lombard ouvrit une autre porte dans le fond. Un salon. Le soleil traversait les portes-fenêtres et tombait sur le cuir de deux canapés et une table basse, sur laquelle on avait disposé un plateau portant trois tasses et une aiguière. Servaz jugea cette dernière ancienne et de grand prix. Comme le reste du mobilier. Tout était déjà prêt, y compris le sucre, des viennoiseries et un pot de lait.

— Ma première question, attaqua Servaz sans préambule, voyez-vous quelqu’un qui aurait pu commettre ce crime, qui aurait du moins une raison pour le faire ?

Éric Lombard était en train de servir le café.

Il interrompit son geste pour plonger son regard dans celui de Servaz. Ses cheveux blonds se reflétaient dans le grand miroir derrière lui. Il portait un chandail à col roulé écru et un pantalon de laine grise. Et il était très bronzé.

Ses yeux clairs ne cillèrent pas quand il répondit :

— Oui.

Servaz tressaillit. À côté de lui, Ziegler avait réagi aussi.

— Et non, ajouta-t-il aussitôt. Ce sont là deux questions en une : oui, je connais un tas de gens qui auraient des raisons pour le faire. Non, je ne vois personne qui soit capable de l’avoir fait.

— Précisez votre pensée, dit Ziegler, agacée. Pourquoi auraient-ils des raisons de tuer ce cheval ?

— Pour me faire mal, pour se venger, pour m’impressionner. Vous vous en doutez : dans mon métier et avec ma fortune, on se fait des ennemis, on suscite des jalousies, on vole des marchés à des concurrents, on rejette des offres, on pousse des gens à la ruine, on licencie des centaines de personnes… Si je devais dresser une liste de tous ceux qui me détestent, elle aurait la taille d’un annuaire.