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— Kommodore, nos systèmes affirment que la propulsion principale du cuirassé a dépassé la limite de sécurité. S’il continue d’accélérer à ce taux, les probabilités d’une rupture catastrophique d’un de ses composants vont très vite augmenter.

— Dans quel délai ? s’enquit Marphissa. Combien de temps peut-il encore accélérer à ce rythme ? Avons-nous une estimation ?

— Quelques incertitudes subsistent à cet égard, kommodore. Mais il ne pourra pas le soutenir pendant plus de seize minutes au maximum. »

Marphissa scruta intensément son écran ; elle se représentait la scène qui devait se dérouler sur la passerelle du cuirassé. Elle avait déjà vécu cette situation : les travailleurs ou les cadres inférieurs prévenant leur supérieur d’un danger, un CECH ignare insistant pour qu’on aille jusqu’au bout de l’entreprise, les sous-CECH et la plupart des cadres supérieurs cherchant avant tout à éviter le clash et refusant donc de soutenir leurs subalternes, tandis que l’aiguille des voyants rampait lentement vers le rouge et la catastrophe. Le plus souvent, les sauvegardes automatisées finissaient par s’activer pendant que les cadres exécutifs s’enferraient dans le déni ou la pinaillerie.

C’était là un domaine où les systèmes automatisés avaient sauvé plus d’un vaisseau syndic.

Quoi qu’il en fût, toute la flottille syndic continua d’accélérer à un rythme que le cuirassé ne pouvait soutenir. Et cela pendant douze minutes. Puis la propulsion principale du cuirassé se réduisit brutalement.

« Le cuirassé ennemi n’accélère plus qu’à quatre-vingts pour cent de sa capacité, rapporta le technicien en chef des observations. C’est le taux de récupération standard pour les systèmes en surcharge.

— Réduisez notre accélération de manière équivalente, ordonna Marphissa.

— Kommodore, la flottille syndic a cessé d’accélérer et change légèrement de cap. »

Marphissa vit s’altérer sur son écran la longue courbe de la trajectoire projetée de la flottille ennemie. Quatre minutes plus tôt, elle avait dévié de quelques degrés sur bâbord. « La CECH Boucher tente de s’interposer entre le Pelé et nous.

— Elle cherche à interdire au Pelé de rejoindre notre formation ? demanda le kapitan Diaz.

— Doxa syndic. Concentrez les forces. Nous avons toujours l’air de Syndics parce que nous nous servons de leur matériel, de sorte que Boucher présume que nous allons combattre en Syndics. Elle ne va pas tarder à comprendre son erreur. »

Marphissa savait qu’elle devait paraître sûre d’elle, même si elle n’avait aucune idée précise de la manière de s’y prendre pour arrêter le cuirassé ennemi. Toute trace d’incertitude ou d’appréhension dans sa voix et son comportement serait immédiatement perçue par les techniciens de la passerelle et se répandrait comme une pandémie, à la vitesse de la lumière, dans le vaisseau et la flottille. Si l’équipage n’avait plus confiance en elle, elle pouvait perdre cette bataille avant le premier coup de feu.

Au moins sa décision suivante était-elle relativement simple. Sa formation et celle de l’ennemi filaient désormais pratiquement sur la même trajectoire à 0,2 c, si bien que leur vélocité relative était nulle : les deux groupes de vaisseaux restaient exactement à la même distance même s’ils se déplaçaient à très grande vitesse. La situation rappelait à Marphissa celle de deux véhicules terrestres roulant dans le même sens et à la même célérité sur une autoroute.

En tête, sa propre formation devrait ralentir pour se retrouver à portée d’armes de l’ennemi. « Il faut qu’on freine pour redescendre à 0,1 c, dit-elle à Diaz en même temps qu’elle réglait la manœuvre. Le timing est correct : nous frapperons la flottille syndic quand le Pelé arrivera sur nous. Jua devra surveiller simultanément nos deux formations et décider de sa réaction. »

Elle réfléchit à ses options puis choisit de se fier de nouveau au contrôle automatisé des manœuvres. « À toutes les unités de la flottille principale de Midway. J’ai transmis à nos vaisseaux l’ordre de pivoter à cent quatre-vingts degrés et de commencer à freiner. »

Les propulseurs de manœuvre du Manticore et des autres bâtiments entreprirent de relever et de retourner leur nez, de sorte qu’ils fendraient à présent l’espace de la poupe et présenteraient leur proue à la flottille syndic en approche. Pour qui les observerait depuis une planète où il y aurait un « haut » et un « bas », les deux pieds fermement plantés, les vaisseaux de Marphissa auraient donné l’impression de s’être retournés sur le dos, et leur équipage de se retrouver la tête en bas par rapport à leur position précédente. Mais, pour les équipages eux-mêmes, rien n’avait changé ni même paru différent, sauf qu’ils regardaient à présent dans la direction opposée. Une fois que tous les vaisseaux eurent fini de pivoter, leur propulsion principale s’éteignit, freinant leur vélocité de façon à permettre à la flottille syndic de les rattraper.

« Simple comme bonjour, commenta Diaz. Nous pointons déjà nos proues ainsi que nos armes et nos boucliers les plus puissants sur l’ennemi. Il ne nous reste plus qu’à dévier légèrement notre course à la dernière minute pour prendre un peu de hauteur et éviter le choc frontal avec le cuirassé. »

Marphissa hocha la tête puis remarqua que Bradamont s’était renfrognée. « Qu’est-ce qui vous chagrine ?

— Je ne sais pas. Je me méfie des situations où tout a l’air trop simple et trop facile.

— Nous disposons de plus d’une heure avant d’être à leur portée. Je m’attends à ce qu’ils freinent très bientôt, eux aussi, maintenant qu’ils nous savent prêts à combattre. »

Mais, à mesure que les minutes défilaient, la flottille syndic continuait de charger à 0,2 c. « Nous redescendons vers 0,1 c, rapporta Diaz, mais les Syndics filent toujours à 0,2 sur la même trajectoire que nous. S’ils ne freinent pas, ils nous croiseront à une vélocité relative de 0,1 c.

— Mauvais, ça », lâcha Marphissa. Les systèmes de contrôle de tir pouvaient sans doute se débrouiller convenablement pour faire mouche à des vélocités voisines de 0,2 c. Au-delà, leur précision diminuait rapidement. Mais, en deçà, elle augmentait tout aussi vite. « Leur puissance de feu leur procure un trop grand avantage sur nous pour que nous les croisions à 0,1 c. Nous risquerions d’être méchamment laminés au passage. Pourquoi ne freinent-ils pas ? Boucher serait-elle assez futée pour avoir deviné que ça compliquerait nos attaques ?

— Comment serait-ce possible ? protesta Diaz. Jua la Joie n’en sait pas assez pour… Oh, bon sang ! Voilà pourquoi !

— Voilà quoi ? »

Diaz indiqua son écran d’un geste furieux. « Vous et moi, nous examinons la situation en nous disant : “Parfait, il reste encore quarante minutes avant le contact.” Largement le temps de faire pivoter les vaisseaux et de nous préparer au combat. Mais Jua Boucher fait de même et constate que nous nous rapprochons d’elle. On lui a dit que, pour freiner, elle devait retourner ses vaisseaux pour nous présenter leur poupe, leur partie la plus vulnérable, à la puissance de feu la plus réduite. Et, parce qu’elle nous voit arriver et ne se rend pas vraiment compte de la distance qui nous sépare, elle n’en fera rien. À ses yeux, le moment du contact est trop proche pour qu’elle nous présente ses poupes. »

Bradamont se frappa le front de la main. « Mince ! Le kapitan Diaz a raison. Boucher ne nous complique la tâche que parce qu’elle ne sait pas ce qu’elle fait.