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Drakon chercha son regard. Il la défia, en dépit de la flagrante culpabilité qu’il éprouvait : « Nous ne pouvons pas nous fier entièrement l’un à l’autre. » Il s’interrompit puis ajouta encore plus sombrement : « Nous ne pouvons même pas entièrement nous fier à nos propres subordonnés.

— Vous reconnaissez donc que nous avions déjà de nombreux sujets d’inquiétude avant celui-ci. » Gwen se rejeta en arrière en soupirant pesamment. « Pourquoi vous ferais-je confiance, Artur Drakon ?

— Parce que vous y êtes contrainte. Pour la même vieille raison.

— Non. J’aurais pu tenter de vous faire assassiner. Où est-elle en ce moment ?

— Le colonel Morgan ? Dans ses quartiers.

— Dans ses quartiers ? » Iceni laissa longuement ces derniers mots en suspension. « Après qu’elle a abusé de sa position privilégiée de plus proche collaboratrice du général Drakon pour le trahir, vous vous en tenez là ? »

Drakon passa la main dans ses cheveux et détourna les yeux. « Je n’ai encore rien décidé. Je vous l’ai dit. Il y a eu des complications… »

Quoi qu’il s’apprêtât à dire, une alarme à haute priorité lui coupa la parole. Iceni tapa sur ACCEPTER en espérant que son tressaillement de surprise avait échappé au général. « Quoi ? » aboya-t-elle. L’image de son assistant personnel, garde du corps et spadassin Mehmet Togo venait d’apparaître devant son bureau.

« Un vaisseau vient d’émerger du portail de l’hypernet… » Tant la voix que le visage de Togo restaient aussi placides que si rien ne pouvait l’affecter ni l’agacer.

« Un vaisseau ? En quoi est-ce si urgent ?

— Un vaisseau syndic. »

Un frisson parcourut Iceni, aussi intense que sa récente flambée de colère contre Drakon et Morgan. « Un seul ? Les Syndics auraient-ils envoyé cette fois un seul cuirassé pour nous attaquer, sans escorteurs ?

— Il s’agit d’un vaisseau estafette, reprit Togo. Il nous informe qu’il a un passager, le CECH Jason Boyens. Il se dirige vers notre planète. Bien qu’il s’identifie officiellement sous pavillon syndic, il affirme opérer indépendamment.

— Boyens ? Seul ? » Iceni se tourna vers Drakon, qui fronçait de nouveau les sourcils.

« Que diable veut-il ? » grogna le général. Tous deux le connaissaient depuis ses longues années de service dans l’ancienne flottille de réserve, mais, après avoir contacté le Syndicat sous le prétexte de négocier l’arrêt des hostilités, il était revenu à Midway à la tête d’une flottille chargée de réinvestir le système. L’assistance apportée – à point nommé – à Midway par la flotte de l’Alliance commandée par Black Jack l’avait contraint à fuir cette fois-là, mais il revenait maintenant sans vaisseau de guerre.

« En tout cas, il se place entre nos mains. » Iceni se renversa dans son siège, écarta sa colère contre Drakon et Morgan et permit à la soudaine réapparition de Boyens de s’immiscer dans les tortueuses ornières que son expérience du système syndic avait gravées dans son esprit.

« Vous comptez l’éliminer ? s’enquit Drakon.

— Et vous ? »

Le général eut un sourire féroce. « Pas dans l’immédiat.

— Entendu. Voyons d’abord ce qu’il veut nous dire. » Iceni ne tenait pas à approfondir davantage, pour l’instant, la question de la trahison de Morgan, du moins n’éleva-t-elle aucune objection au départ précipité de Drakon, qui allait se livrer à ses propres préparatifs pour accueillir Boyens et les nouvelles qu’il apportait.

Cinq minutes après le retour du général dans son QG, Iceni lui relayait le message de Boyens qu’elle venait tout juste de recevoir.

Le colonel Bran Malin entreprit de quitter à reculons le bureau particulier de Drakon. « Je vous laisse discuter de cette affaire avec la présidente, mon général.

— Restez.

— Mon général, je suis pleinement conscient que la confiance que vous me portez a été rudement éprouvée et que je ne peux donc pas espérer avoir accès aux informations critiques tant que vous n’aurez pas dissipé vos inquiétudes à mon égard.

— S’il s’agit que je vous tienne davantage à l’œil dans les jours qui viennent, vous avez entièrement raison, déclara Drakon. Mais les récentes révélations vous concernant, Morgan et vous, n’affectent en rien la valeur que j’accorde à votre opinion et votre intuition. Voyons ensemble ce que Boyens a à nous dire. »

Malin lui-même ne put dissimuler un sourire fugace à ces mots. « Oui, mon général. Vous ne le regretterez pas », se contenta-t-il de répondre.

L’image du CECH Jason Boyens apparut, l’air tout à la fois piteux et sûr de lui. « Je n’insulterai pas votre intelligence en feignant de ne pas comprendre que je suis désormais celui qui se trouve contraint de passer un marché pour sa survie. J’aimerais que vous preniez conscience de tout ce que je peux faire pour vous. Lors de mon dernier séjour à Midway, j’ai pu donner l’impression que j’étais à la tête de la flottille syndic, mais ce n’était nullement le cas. J’avais un CECH sur le dos, littéralement, un serpent qui me surveillait constamment. Mon plus léger faux pas aurait pu se solder par ma mort, de sorte que vous vous seriez retrouvée à la merci d’une vipère du SSI plutôt qu’à celle de l’ami que je suis. »

L’ami ? songea Drakon. Espère-t-il vraiment me voir gober qu’il est devenu un ami ?

« J’ai des informations dont vous avez besoin, poursuivit Boyens. J’aurais pu aller n’importe où en m’échappant de Prime, mais c’est à Midway que je me suis rendu. Laissez-moi une chance de vous prouver que je puis vous aider. Boyens, terminé. »

Drakon se tourna vers Malin. « Eh bien ? »

Le colonel réfléchit un instant, la tête légèrement inclinée de côté. « Son histoire est plausible, mon général. Placer un CECH du SSI à ses côtés pour surveiller ses faits et gestes serait de la part du gouvernement syndic actuel une précaution raisonnable.

— Parce qu’il ne se fie pas non plus à Boyens ?

— Oui, mon général. Mais, s’il a effectivement eu accès aux projets du Syndicat, Boyens dispose peut-être de renseignements très importants. » D’un coup de menton, Malin désigna la place où s’était tenue l’image de Boyens. « Il semble n’avoir destiné son message qu’à la seule présidente Iceni.

— J’avais remarqué. » Gwen lui signifiait très clairement qu’en dépit des récentes découvertes sur les problèmes existant entre ses plus proches collaborateurs ils restaient des alliés. « Très bien. Nous avons visionné le message et nous en avons débattu. Parlons à présent de vous. »

Drakon fixait Malin en pianotant sur son bureau de la main gauche. Il n’avait eu que très peu de temps pour digérer la nouvelle du véritable lien qui unissait Morgan à Malin, ce terrible secret que le colonel avait gardé pour lui seul, à l’exception de tout autre. D’un autre côté, si ma mère était Roh Morgan, je n’irais pas non plus le chanter sur les toits. « Oublions le CECH Boyens. Puis-je encore te faire confiance ? »

Malin frappait d’ordinaire les gens par sa réserve proche de la froideur, mais, pour le coup, c’était lui que cette question semblait avoir glacé intérieurement. « Je… Mon général, je ne vous trahirais pas. Je ne l’ai jamais fait.

— Y a-t-il d’autres secrets que je devrais connaître ?

— Non, mon général. »

La multitude de senseurs braqués sur Malin fournirent leur verdict sur le dessus du bureau de Drakon ; les lettres étaient polarisées de manière à rester invisibles au colonel : Aucune duplicité constatée. Mais Malin était aussi entraîné qu’on pouvait l’être à tromper les senseurs qui décelaient les signes de tricherie. « Je veux la vérité toute nue, colonel. À qui va votre loyauté ? »