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La question parut intriguer Malin. « À vous, mon général. À vous par-dessus tout. »

Aucune duplicité constatée. « Avez-vous œuvré à mon insu avec le colonel Morgan ? Avez-vous pris part à des projets que je n’aurais pas ordonnés ?

— Non, mon général. »

Aucune duplicité constatée. « Tout autre à ma place vous aurait fait fusiller. Vous en êtes conscient, n’est-ce pas ? demanda Drakon. Vous avez été un de mes plus proches assistants, vous saviez tout ce qu’il y avait à savoir sur mes forces et mes plans de réserve et vous m’avez caché cela. Vous en savez trop pour un homme qui m’a égaré.

— On pourrait en dire autant du colonel Morgan, mon général », rétorqua Malin. Il s’exprimait avec la même prudence que s’il arpentait un champ de mines.

« J’en conviens. Et j’admets aussi que c’est également une des raisons qui m’incitent à me demander si je peux encore me fier à vous. Vous êtes trop doué dans votre partie. Je dois savoir si vous n’agissez que pour moi.

— Certainement, mon général. Vous vous attelez à une très lourde tâche pour l’instant. Si vous laissez vivre Morgan, vous avez besoin de moi pour vous protéger d’elle.

— Tu n’es pas à la hauteur. Si elle cherchait à me tuer, tu ne pourrais pas l’en empêcher. »

Malin eut un geste empreint d’autodérision. « Pas dans une attaque frontale, en effet. Mais Morgan ne s’y résoudra pas, mon général. Elle vous est foncièrement loyale, même si cette loyauté est biaisée. Elle ne cherchera pas à vous nuire physiquement, mais ça ne veut pas dire qu’elle ne tentera pas autre chose. Je peux la surveiller, éventer intrigues, complots ou autres activités illicites. Identifier tous ceux qui la contacteraient. Peu importent les moyens. »

Drakon réfléchit aux possibilités puis hocha la tête. Tant qu’il n’en saurait pas davantage sur ce que méditait Morgan, nul n’était mieux armé que Malin pour découvrir ses petits secrets. « Tâche de ne pas me faire regretter que je t’aie laissé cette seconde chance, déclara-t-il d’une voix aussi glacée que les yeux de Malin. Il n’y en aura pas d’autre.

— Compris, mon général. Merci de me donner cette occasion de vous prouver que ma loyauté vous est définitivement acquise. » Malin salua puis sortit.

Drakon regarda la porte se refermer hermétiquement après son départ en se demandant s’il n’avait passé un pacte avec un diable dans le seul but de déjouer les plans d’un autre. Mais Malin s’était montré d’une valeur inestimable par le passé et, en dehors du secret relatif à l’identité de sa mère biologique, il n’avait jamais fait preuve de déloyauté ni d’irresponsabilité. De toutes les manières possibles, il avait toujours été aussi stable, solide et ferme qu’un roc, ce qui, dans la mesure où Roh Morgan était sa mère, restait un exploit pour le moins impressionnant.

Il appela Iceni. « Je préconise que nous demandions à Boyens de prouver sa bonne foi en nous apprenant tout ce qu’il sait de la prochaine attaque syndic. Date prévue, effectifs, identité du commandant en chef et tout ce qui pourrait nous permettre d’en triompher. »

Iceni approuva, le regard voilé. « Je suis d’accord. J’informerai Boyens qu’il doit nous fournir ces renseignements au plus vite, avant toute négociation, s’il veut assurer sa survie. La kommodore Marphissa a détaché le Faucon pour “escorter” l’estafette qui l’amène sur notre planète. S’il tentait à nouveau de nous trahir ou de fuir, un vaisseau estafette lui-même ne saurait distancer un croiseur léger assez vite pour éviter sa destruction.

— Boyens en sera conscient.

— J’ai fait analyser les transmissions du CECH Boyens durant son dernier séjour à Midway », ajouta Iceni. Une image apparut près de la sienne, montrant Boyens sur la passerelle d’un cuirassé syndic. L’image zooma sur une femme debout à trois pas derrière lui. « On la voit dans toutes les transmissions, toujours à la même place légèrement en retrait. Vous la reconnaissez ? »

Drakon étudia le large visage jovial de la femme en cherchant à se rappeler s’il l’avait déjà vue. Un frisson parcourut son échine lorsqu’il crut l’avoir identifiée. « Jua la Joie ? C’est bien elle ?

— Vous l’avez déjà rencontrée ?

— Non. J’ai juste entendu parler d’elle. » Drakon fixa de nouveau la femme. « Disons plutôt qu’on m’a prévenu contre elle. Avant qu’elle ne soit connue de réputation, sa figure réjouie avait déjà de nombreuses victimes.

— C’est à présent une CECH du Service de sécurité interne, déclara Iceni. Elle a gravi très haut les échelons formés par les cadavres des ingénus qui ont pris son enjouement apparent pour le reflet d’une bonté d’âme. Si c’était là l’ange gardien que Boyens avait sur le dos, alors j’incline à penser qu’il était effectivement pieds et poings liés.

— Nous ne savons pas jusqu’à quel point, fit remarquer Drakon. Peut-être était-il parfaitement disposé à faire ce qu’exigeait de lui Jua. Et, autant que nous le sachions, il ne s’est pas vraiment échappé pour se rendre à Midway. On l’y a plutôt envoyé pour jouer les agents doubles.

— Général Drakon, je n’ai aucunement l’intention de me fier à cet homme. » Iceni le fixa sévèrement. « Je me demande parfois s’il existe un seul homme sur qui on peut compter. »

Conscient que sa réaction était liée à son sentiment de culpabilité, Drakon réprima la poussée de colère qu’avaient suscitée ces derniers mots. « Je n’ai rien cherché à vous dissimuler, madame la présidente. Pouvez-vous en dire autant ? »

Iceni éclata de rire. « Ah, général, vous ne saurez jamais tout ce que je vous cache. »

Son image disparut, laissant Drakon fixer le néant.

Même à une estafette filant vers l’intérieur du système à un train de 0,2 c, il fallait vingt heures pour couvrir les milliards de kilomètres séparant le portail de l’hypernet de la planète où l’attendaient Iceni et Drakon. Mais au moins franchissait-elle cette distance rapidement, en réduisant sans cesse le délai exigé par un message pour voyager du vaisseau à la planète, et vice versa, à la vitesse de la lumière.

Boyens avait l’air moins sûr de lui dans cette transmission que dans la première. « Je vous dirai tout ce que je sais sur l’attaque syndic imminente pour vous prouver ma bonne foi, affirma-t-il comme si Iceni n’avait pas déjà exigé de lui ces informations. J’estime qu’il vous reste une semaine avant qu’elle se produise. La flottille pourrait être légèrement retardée, mais, selon moi, elle n’atteindra pas Midway avant cinq jours au plus tôt. Elle est censée comprendre encore un cuirassé, ainsi que deux croiseurs lourds, six légers et dix avisos. » Il hésita. « Voici l’information importante. Je suis convaincu que le commandement de la flottille sera confié à la CECH Jua Boucher. Si vous ne la connaissez pas de nom, c’est une vipère, et particulièrement meurtrière. J’ignore quel commandant des forces mobiles elle fait. À ce que j’ai pu voir, elle n’a pas beaucoup d’expérience en ce domaine, mais elle sera impitoyable. Avec un seul garde-fou. Je sais que le gouvernement syndic ne lui permettra pas de bombarder Midway. Il tient à garder le système intact, avec toutes ses installations. Mais ça n’empêchera pas Boucher, si l’occasion se présente à elle, de massacrer par d’autres moyens à sa disposition.

 » C’est tout ce que je sais. Mais je vous le livre sans barguigner. Et il y a d’autres renseignements qui vous seront utiles. Si nous travaillons ensemble, si vous êtes disposée à négocier, vous aurez ce qu’il vous faut et moi ce qui m’intéresse. Boyens, terminé. »