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Un serpent au commandement ! Iceni réfléchit en se massant les yeux puis appela Togo. « Que sais-tu sur la CECH Jua Boucher ? »

Le visage du spadassin resta de marbre, mais des pensées s’agitaient dans ses yeux. « Elle appartient au SSI. Très dangereuse, madame la présidente. Je l’ai connue quand elle était encore cadre.

— Oh ?

— Mon unité de formation avait été soumise à un interrogatoire à propos de disparitions dans les réserves de vivres de la cafétéria. J’étais le seul à n’avoir pas été arrêté. »

Iceni arqua un sourcil approbateur. « Les autres avaient été abusés par la jovialité de Jua ?

— Oui, comme si elle était affable, madame la présidente. Sympathique.

— Comment l’as-tu démasquée ? Tu devais être très jeune et inexpérimenté à l’époque. »

Togo marqua une pause et, pour la première fois dans le souvenir d’Iceni, il parut troublé. « J’étais moi aussi subjugué par sa bonhomie, mais j’ai surpris une lueur dans ses yeux. »

Iceni se pencha légèrement, intriguée. « Et qu’y as-tu vu ?

— Rien, madame la présidente. » Togo soutint fermement son regard, sans plus trahir aucune émotion, et répondit d’une voix plate. « Il n’y avait rien dans ses yeux. C’était comme de fixer le vide, un espace sans étoiles ; ni lumière, ni vie, rien que le froid et le néant.

— Je vois. » Iceni se radossa pour le scruter. « Quels sont ses points faibles ?

— Elle est… très sûre d’elle. Je me souviens de cela. Ça ne la gênait pas que je regarde un de mes supérieurs au fond des yeux.

— Tu peux m’en dire plus ? »

Togo eut un geste méprisant. « Elle ne fera preuve d’aucune pitié à votre égard et n’honorera aucun marché. »

Iceni sourit. « Je l’avais deviné. Merci. »

Bien que congédié, Togo s’attarda. « Madame la présidente, j’ai entendu des bruits sur l’état-major du général Drakon, finit-il par dire.

— Oui, répondit Iceni sans cesser de sourire. Tu es passé à côté d’une information très critique concernant le colonel Morgan. »

Déstabilisé par cette déclaration, Togo hésita encore un instant. « J’ai appris que Morgan était aux arrêts.

— Ce n’est pas techniquement exact. Elle reste à l’écart. Tu comprends ?

— C’est une menace », lâcha-t-il. N’avait-elle pas perçu comme une certaine lassitude dans sa voix lorsqu’il avait répété cette mise en garde pour la vingtième fois peut-être. « L’éliminer vous mettrait à l’abri d’un danger sérieux, en même temps que ça enverrait un signal puissant.

— Mais un mauvais message. » Iceni fendit l’espace du tranchant de la main pour signifier à Togo que le chapitre était clos. « As-tu appris du nouveau sur les gens qui cherchent à semer la zizanie parmi les citoyens du système ?

— Non, madame la présidente. Mais je les démasquerai. »

Elle agita de nouveau la main, cette fois visiblement pour le congédier, et il se retira.

Iceni soupira, non sans regretter à nouveau de ne pouvoir régler ses problèmes par le seul meurtre de Morgan. Mais elle avait vu tomber trop de CECH parce qu’ils avaient cru se soustraire à toutes les difficultés par l’assassinat. C’était une solution boiteuse, qui engendrait de nouveaux ennemis plus vite qu’elle n’en supprimait.

Elle avait pour l’instant un plus gros problème sur les bras. Et plus pressant.

Elle activa au-dessus de son bureau un écran dont le centre était occupé par l’étoile Midway. Ses planètes et de nombreux autres objets célestes tournoyaient lentement autour. Les vaisseaux de guerre dont elle disposait pour défendre le système étaient représentés par des symboles brillants : quatre croiseurs lourds, six croiseurs légers, douze avisos. Une force qui serait sans doute relativement dangereuse dans une zone où l’autorité syndic se serait effondrée ou vacillerait, mais qui ne suffirait pas à repousser le cuirassé qu’amènerait la CECH Boucher. Iceni ne se fiait pas à Boyens, mais elle ne doutait pas de sa sincérité en l’occurrence.

Pour défendre correctement le système, elle aurait besoin de son propre cuirassé ; mais le Midway, flambant neuf, exigerait encore beaucoup de travail avant d’être opérationnel. Le croiseur de combat récemment confisqué à Ulindi en serait sans doute bien plus proche, dès qu’on aurait réparé les dommages infligés au vaisseau (rebaptisé Pelé) lorsqu’il avait été capturé aux forces du prétendu CECH suprême Haris. Le Pelé serait peut-être prêt à l’arrivée de la CECH Jua, mais que pouvait un croiseur de combat contre un cuirassé ?

Je n’ai aucune idée de la manière de procéder. Mais je connais quelqu’un qui en serait capable, si du moins c’est possible.

Cela ne mettait en jeu que les seules forces mobiles, de sorte qu’elle n’avait pas besoin de consulter Drakon à cet égard, même si elle n’était plus autant exaspérée par son comportement. Iceni vérifia son apparence, se redressa, se composa un visage avec toute l’aisance d’une longue pratique dans l’art de paraître maîtriser la situation, puis enfonça une touche pour envoyer un message.

« Kommodore Marphissa, une nouvelle flottille syndic arrive sur Midway, d’une force sensiblement égale à celle de l’agression précédente. On m’a appris qu’elle risquait d’atteindre notre système dans les cinq jours, mais partez du principe qu’elle pourrait surgir dans quatre. Nous avons de bonnes raisons de croire qu’elle sera commandée par la CECH Jua Boucher, une vipère qui manque un tantinet d’expérience dans le commandement des forces mobiles mais dont on peut prédire avec certitude la loyauté indéfectible au Syndicat. Elle sera sans doute trop sûre d’elle, se souciera comme d’une guigne des pertes infligées à son personnel mais aura vraisemblablement l’ordre de minimiser les dommages à ses vaisseaux lors de sa tentative pour réoccuper Midway. Ainsi que celui de ne pas bombarder le système.

 » Vous avez fait la preuve de vos capacités de commandement. Je ne vous donne pas d’instructions spécifiques en dehors de ce que vous savez déjà : vous devez défendre Midway. Il faut interdire aux vaisseaux syndics de mener leur mission à bien tout en protégeant au mieux nos citoyens. Je me fie à votre compétence et à votre jugement pour repousser cette menace aussi efficacement que par le passé. »

C’est là qu’une communication syndic traditionnelle aurait ajouté en point d’orgue quelques menaces stimulantes quant aux conséquences d’un éventuel échec. Mais Iceni se dispensait déjà d’une autre pratique instituée par le Syndicat (en l’occurrence des ordres détaillés, instruisant laborieusement Marphissa de la conduite à suivre, puisque la microgestion relevait autant des méthodes syndics que la paranoïa, la corruption et les coups de poignard dans le dos), et elle s’était aperçue qu’elle obtenait ainsi d’encore meilleurs résultats.

« D’autres questions se posent, poursuivit-elle. Je vais transmettre au kapitan Kontos l’ordre de prendre le commandement du Pelé et de faire son possible pour le rendre apte au combat dans les prochains jours. Je vous renvoie le Faucon avec le capitaine Bradamont. Placez-la où vous jugerez que ses compétences seront le mieux utilisées, mais gardez le Manticore comme pavillon. Je ne tiens pas à ce que Kontos et vous vous retrouviez tous deux à bord du Pelé, parce que je ne peux me permettre de vous perdre l’un et l’autre en même temps si d’aventure le pire se produisait.