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— À vos ordres, mon général. Ce sera fait.

— Et, Donal, si quelqu’un peut repousser cette attaque syndic imminente, c’est le capitaine Bradamont. Et la kommodore. »

Le sourire de Rogero était visiblement forcé. « Oui, mon général. En effet. Si quelqu’un le peut… »

Cette fois, l’alerte qui résonna sur la passerelle du Manticore ne mettait pas en garde contre un vaisseau aussi inoffensif qu’une estafette.

« Un cuirassé, annonça le chef des techniciens chargés de l’observation. Trois croiseurs lourds. Cinq croiseurs légers. Dix avisos. Tous émettent une identification syndic. Ils sont disposés en formation rectangulaire standard un. »

La kommodore Marphissa hocha la tête sans quitter son écran des yeux. Les forces mobiles du Syndicat se servaient aussi souvent de cette formation que l’impliquait sa désignation. Le cuirassé occupait le centre d’une boîte rectangulaire formée par les plus petites des unités qui l’escortaient, les trois croiseurs lourds occupant trois des angles de l’avant et un croiseur léger le quatrième, tandis que les quatre autres tenaient les angles de l’arrière-garde et que les petits avisos, aisément remplaçables, étaient disposés de manière égale dans l’espace séparant les croiseurs du cuirassé. « C’est le même cuirassé que la dernière fois ?

— Oui, kommodore. Il émet le code d’identification d’une unité BB-57E. La même que celle de la dernière flottille syndic. »

Le kapitan Diaz fixa son subalterne d’un œil désapprobateur. « Ce n’est pas parce que le cuirassé émet ce code que c’est le vrai. Voyez si vous pouvez distinguer des traits de la coque qui vous confirmeraient son identification.

— Oui, kapitan », lâcha précipitamment l’homme, l’air contrit. La situation avait sans doute changé à bord de ces vaisseaux depuis la rébellion contre le Syndicat, mais nul ne pouvait oublier ce qu’on avait vécu sous l’ancien régime. Ne pas répondre avec précision à la question d’un supérieur, serait-ce pour les meilleures raisons du monde, attirait fréquemment un chapelet d’injures, voire un châtiment plus funeste.

Cela étant, s’étant souvent trouvée elle-même vertement réprimandée, Marphissa avait pris le parti de réserver les coups de gueule à de réellement grosses boulettes. Elle se contenta donc de faire la grimace, tout en se demandant quels atouts la flottille syndic pouvait bien avoir encore dans sa manche. « Au moins les renseignements du CECH Boyens étaient-ils en majeure partie corrects. Voyons un peu qui est aux commandes de cette flottille. »

Le kapitan Diaz se tourna vers elle. « Voulez-vous que je… »

— Aucune manœuvre pour l’instant, commandant. Ils sont à dix minutes-lumière. Je tiens à voir ce qu’ils font avant de décider d’une ligne d’action. »

Le capitaine Honore Bradamont apparut sur la passerelle, marchant d’un pas précipité. « C’est eux ? »

La présence d’un officier de l’Alliance sur la passerelle d’un ex-vaisseau de guerre syndic restait un spectacle pour le moins étonnant. Que les techniciens et officiers y accueillissent son arrivée par des sourires soulagés l’était encore davantage. Bradamont était peut-être un officier de l’Alliance exécrée, mais aussi une protégée de Black Jack, qui avait joué un rôle essentiel dans le succès d’opérations récemment entreprises par les vaisseaux de Marphissa. Aux yeux des matelots du Manticore, elle n’était plus une ennemie mais une des leurs.

« Ce sont eux, confirma Marphissa en lui adressant un sourire fugace. Ils ont bel et bien un cuirassé.

— Zut ! » Bradamont s’approcha du fauteuil de la kommodore et loucha sur son écran. « Où est le Pelé ?

— Encore à vingt minutes-lumière. » Le croiseur de combat piquait sur le portail de l’hypernet depuis plusieurs heures, accompagné des croiseurs lourds Basilic et Griffon. Loin derrière, roulant massivement sur son orbite comme depuis d’innombrables années, on apercevait la géante gazeuse près de laquelle stationnait dans l’espace le principal bassin de radoub de Midway, l’air singulièrement abandonné maintenant que le Pelé, les croiseurs lourds et le cuirassé Midway l’avaient quitté.

Mais, contrairement au croiseur de combat, le Midway s’écartait lentement des autres vaisseaux. Sa trajectoire projetée dessinait dans l’espace une immense parabole qui finissait par fusionner avec l’orbite de la principale planète habitée, où vivaient et travaillaient la plupart des ressortissants du système. Compte tenu de son taux d’accélération passablement poussif, il mettrait une bonne semaine à couvrir la distance l’en séparant.

Bradamont se voûta pour chuchoter à l’oreille de Marphissa. « Le Pelé est-il réellement à ce point paré au combat ? Ses boucliers et son armement m’ont l’air en excellent état.

— Kontos ne feindrait pas d’être prêt à se battre, affirma Marphissa. Pas pour nous en tout cas. Je connais nombre de cadres supérieurs et de CECH qui s’y résoudraient pour s’attirer des faveurs provisoires, mais pas lui. Il est bien trop honnête. » Elle sourit derechef, avec amertume cette fois. « Il n’aurait pas duré un an de plus sous l’ancien régime. Dire la vérité aux CECH peut finir par vous conduire à la mort.

— Il ne s’est pourtant pas montré très honnête à propos de l’état du Midway, fit remarquer Bradamont en désignant d’un coup de menton la représentation du cuirassé sur l’écran de Marphissa. Ce bâtiment donne l’impression d’avoir souffert récemment de graves dommages à sa propulsion principale, plutôt que de bénéficier réellement de sa pleine capacité.

— Impressionnant camouflage, n’est-ce pas ? À croire que la moitié de ses unités de propulsion principale ont explosé. Mais c’est pour tromper l’ennemi, pas ses supérieurs. Ça me va parfaitement. Si le Midway passe pour un oiseau à l’aile brisée, la flottille syndic lui fichera la paix et prévoira de l’arraisonner ultérieurement, quand elle aura repris le contrôle du système.

— À moins qu’elle ne tente une grosse bêtise en le prenant pour une cible facile. Vous comptez conserver cette formation ? » demanda Bradamont en formulant le plus diplomatiquement possible cette question lourde de sens. Marphissa avait elle aussi disposé ses vaisseaux en formation rectangulaire standard un, encore que, en l’occurrence, ses deux croiseurs lourds (Manticore et Kraken) en occupaient le centre, tandis que les croiseurs légers Faucon, Balbuzard, Épervier, Busard, Milan et Aigle formaient six des angles de la boîte, et ses douze avisos les deux derniers s’ils n’étaient pas en position à l’intérieur de la boîte.

« Pour l’instant, répondit Marphissa. J’ai conscience que ce n’est pas la meilleure pour engager le combat avec cette flottille, mais je tiens à faire croire à son commandant que je me plie à la doctrine syndic.

— Bonne idée ! Plus il vous croira prête à combattre de manière convenue et prévisible, mieux ça vaudra.

— Kommodore, nous venons de recevoir une transmission de la flottille ennemie, annonça le technicien des coms. Elle est adressée au commandant de notre force.

— Basculez sur mon écran. »

La fenêtre qui s’ouvrit devant elle montrait une femme dont la bouche et les pommettes semblaient perpétuellement exprimer une douce béatitude. Elle aurait pu incarner l’archétype de la grand-mère gaie et chaleureuse si son complet élégamment coupé de CECH syndic n’avait pas formé un contraste saisissant avec cette physionomie bonhomme.