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« Jua la Joie, murmura Diaz, horrifié. C’est elle, n’est-ce pas ?

— Quand on parle d’apparences trompeuses… lâcha Marphissa. Même si je l’ai entendu dire, j’ai du mal à croire qu’une femme qui ressemble à ça puisse être la plus impitoyable salope du SSI. »

Jua prit la parole. Sa voix aurait pu être agréable à l’oreille, sauf que ses paroles dissipaient toute illusion de cordialité. « Au commandant des forces mobiles rebelles de Midway. Vous n’avez qu’une alternative. Ou vous vous rendez à moi avec vos vaisseaux, et on vous laissera alors l’occasion de donner la preuve de votre utilité au sein des Mondes syndiqués, ou vous mourez. J’attends une réponse immédiate. Au nom du peuple, Boucher, terminé. » Comme d’habitude dans les communications syndics, la CECH avait nasillé le « au nom du peuple » en mangeant ses mots, ôtant ainsi tout son sens à cette locution.

« C’était pour le moins maladroit, déclara Bradamont. Elle aurait pu tenter de nous inciter à la laisser s’approcher avant de nous balancer son ultimatum.

— C’est un serpent, corrigea Diaz. Elle n’a pas l’habitude de négocier avec ses proies. J’imagine que ces offres-là – “Rendez-vous” ou “Avouez et vous vivrez peut-être” – peuvent abuser des gens parce que c’est toujours ce qui se dit, mais aucun vrai coupable ne serait assez stupide pour y croire. »

Marphissa opina. « Ce miroir aux alouettes n’englue que les naïfs qui se croient protégés par leur innocence. Cette CECH m’a menacée d’emblée, Honore, parce qu’elle ne se rend pas compte de la difficulté qu’elle aura à arraisonner nos bâtiments avec son cuirassé. À moins d’avoir déjà participé à des opérations spatiales, on a du mal à appréhender exactement l’immensité du champ de bataille. Je parie qu’elle réfléchit en rampante. Elle peut nous voir, c’est donc que nous ne sommes pas si loin. » Marphissa s’interrompit pour cogiter. « Trans ! Ouvrez-moi un canal vers chaque vaisseau de la flottille syndic.

— C’est fait, kommodore. Touche deux.

— Préparez-moi aussi une copie de l’enregistrement dont nous disposons de la destruction du croiseur léger syndic à leur dernier passage. Celui qui s’est mutiné.

— Dans une seconde, kommodore. Un instant. Prêt ! Pièce jointe alpha. »

Marphissa fit signe à Bradamont de s’écarter de son siège afin que l’officier de l’Alliance n’apparaisse pas dans la transmission, puis elle prit une profonde inspiration et pressa la touche. « Aux équipages des forces mobiles encore soumises au contrôle du Syndicat, ici la kommodore Asima Marphissa du système stellaire libre et indépendant de Midway. Nous ne sommes plus les esclaves du Syndicat. Nous nous gouvernons nous-mêmes. Tous les serpents de notre système ont été exterminés, de sorte que nous ne dépendons plus des caprices de la sécurité interne ni ne tremblons plus pour la sécurité de nos familles et de nos êtres chers. Nous sommes libres et vous pouvez l’être aussi. Ne servez plus ceux qui ne voient en vous que du bétail et qui vous traitent comme tel ! Soulevez-vous et massacrez les serpents qui sévissent dans vos rangs puis ralliez-vous à nous ou rentrez chez vous pour aider les vôtres à regagner cette liberté pour laquelle nous nous sommes battus. Mais méfiez-vous des ruses des vipères. Elles vous égorgeront sans avertissement ni raison, comme elles l’ont fait pour l’équipage de ce malheureux croiseur léger appartenant à la dernière flottille syndic passée par Midway. Joignez-vous à nous, qui respectons et estimons les travailleurs autant que les superviseurs. Au nom du peuple ! conclut-elle en articulant soigneusement chacun de ces derniers mots et en leur insufflant de la force. Marphissa, terminé. »

Elle pressa la touche d’envoi de la pièce jointe, transmettant ainsi l’image de l’explosion du croiseur léger consécutive à la surcharge de son réacteur. L’équipage de ces vaisseaux syndics savait-il déjà que le croiseur léger en question avait été détruit pour interdire à ses matelots de s’en emparer ? Toujours était-il qu’il le saurait désormais.

« Ces bâtiments doivent grouiller de serpents, marmonna Diaz. Quelles chances leurs matelots ont-ils de mener une mutinerie victorieuse ?

— Probablement aucune, reconnut la kommodore. Mais ces serpents-là vont redoubler de méfiance, surveiller davantage leur équipage et s’inquiéter de ses réactions au lieu de nous épier et de se préoccuper des nôtres. Ils poseront des questions sur tout ce que feront les matelots, ce qui les ralentira et les fera tergiverser. Vous êtes passé par là, tout comme moi. Vous connaissez la musique.

— Ne m’en parlez pas ! Il m’arrivait parfois de craindre d’avoir respiré un peu trop fort. »

Le défi de Marphissa mettrait dix minutes à parvenir à la flottille syndic, mais le technicien des opérations annonça une réaction au bout de trois seulement. « Les forces mobiles syndics accélèrent et adoptent un vecteur d’interception de notre formation, kommodore.

— Manœuvre standard d’une formation basée sur un cuirassé, fit observer Diaz. Jua la Joie colle au manuel. »

Marphissa hocha encore la tête, le regard à nouveau rivé sur son écran. « Qu’en pensez-vous ? demanda-t-elle à Bradamont.

— Si cette CECH n’a vraiment aucune expérience du combat spatial, eh bien, à votre place, je ne fusionnerais pas cette formation avec celle du kapitan Kontos dès que le Pelé sera assez proche, mais j’ordonnerais à Kontos d’opérer indépendamment. Jua peinera encore davantage à appréhender la situation et à prendre des décisions si elle doit affronter les attaques de deux formations au lieu d’une.

— Elle va recourir aux systèmes automatisés, affirma Diaz. Vous ne croyez pas ? Jua Boucher ne se fiera pas aux travailleurs ni aux cadres de ses équipages, mais elle fera confiance aux logiciels parce que les gens d’un rang aussi élevé gobent toujours leur propre propagande sur l’excellence de leurs systèmes automatisés. »

Marphissa opina de nouveau puis réfléchit en se mordillant la lèvre. « Oui, kapitan, vous avez raison. Et vous aussi, capitaine Bradamont.

— Vos propres systèmes automatisés sont-ils si médiocres ? s’enquit l’officier de l’Alliance.

— Ce n’est pas tant qu’ils soient médiocres, encore que loin d’être parfaits, mais plutôt que nous les connaissons. Nos versions sont plus anciennes que celles de Jua Boucher, mais nous savons assez précisément ce que les siens vont lui souffler.

— Mettre un cuirassé hors circuit avec les forces dont vous disposez n’en sera pas moins effroyablement difficile. Les solutions dont nous avons discuté tout à l’heure restent vos meilleures options. Détachez ses escorteurs de leur formation, rognez-la, détruisez-les à coups d’assauts répétés et isolez le cuirassé de manière à continuer de le pilonner. Il sera probablement encore capable de s’en tirer par la fuite, mais, s’il reste combattre, vous réussirez probablement à le toucher assez durement pour le mettre hors d’état de nuire. Mais ce sera certainement très cher payé et, si vos passes de tir s’effectuent trop près et trop tôt, vos vaisseaux seront déchiquetés par sa puissance de feu.

— Je dois me montrer agressive, insista Marphissa.

— Oui. Mais patiente. Difficile de combiner les deux. Les cuirassés syndics… ceux de ce modèle sont plus vulnérables sur leurs flancs de poupe. C’est là que leur blindage et leurs boucliers sont les plus faibles. Vous affronterez davantage de puissance de feu que si vous le frappez pile dans la poupe, mais ses boucliers sont bien plus résistants à l’extrémité. »

Diaz décocha à Bradamont un regard troublé, ce que Marphissa comprenait parfaitement. Le capitaine de l’Alliance avait acquis son savoir d’expérience, en combattant des vaisseaux syndics tels que ce cuirassé et le croiseur lourd qui l’abritait actuellement. Ce rappel des nombreux combats qu’elle avait livrés, de tous les camarades qu’elle avait tués, tandis qu’eux-mêmes faisaient de leur mieux pour l’éliminer, était pour le moins déboussolant. Cette époque ne datait que de quelques mois, même pas d’années. « Eux étaient des Syndics, murmura Marphissa. Nous n’en sommes plus. »