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Diaz se mordit les lèvres et opina du bonnet, mais Bradamont détourna le regard, consciente de leur malaise. « Qui commande le Midway maintenant ? demanda-t-elle en changeant délibérément de sujet de conversation.

— Le kapitan Freya Mercia, répondit Marphissa. Une rescapée de la flottille de réserve que nous avons ramenée. Elle a beaucoup impressionné la présidente Iceni. »

Bradamont détourna de nouveau les yeux. C’était encore un terrain mouvant. Elle commandait le croiseur de combat Dragon de l’Alliance quand la flotte de Black Jack avait anéanti la flottille de réserve du Syndicat. « Je l’ai rencontrée. Si elle est moitié aussi compétente qu’il y paraît, le kapitan Mercia fera du bon boulot à ce poste.

— Mais le Midway ne participera pas à ce combat, déclara Marphissa en consultant de nouveau son écran. Et, si compétente soit-elle, le kapitan Mercia ne peut pas faire grand-chose sans armement. Nous allons nous repositionner et nous efforcer de compliquer autant que possible la tâche à la CECH Boucher. »

En dépit de leur inimitié réciproque, l’Alliance et les Mondes syndiqués avaient gardé les mêmes conventions simplifiées pour établir les directions dans les vastes étendues de l’espace où aucune n’était définie. Les planètes de chaque système solaire orbitent sur un plan. Les hommes désignent l’un des côtés de ce plan comme le « haut » et l’autre le « bas » ; est à « tribord » tout ce qui se trouve entre l’étoile et le vaisseau, à « bâbord » tout ce qui est par-delà le vaisseau. C’est sans doute imprécis mais ça marche, alors que le commandement « virez à gauche » risque d’envoyer les bâtiments tous azimuts.

La flottille syndic avait fini de virer dans la direction des vaisseaux de Marphissa, mais il lui faudrait encore plus d’une heure et demie pour les intercepter à cause du cuirassé qui, tout en restant le plus puissant atout de l’ennemi, grevait aussi sa capacité à accélérer. Dans la mesure où elle arrivait droit sur eux, en raccourcissant constamment la distance, elle restait sur leur gauche et légèrement en surplomb. Elle conserverait cette apparence, tout en se rapprochant de plus en plus, à moins que Marphissa ne se décide à manœuvrer, pourvu qu’elle s’y résolve.

Le Pelé était encore loin derrière elle, en dessous et à une quinzaine de degrés sur sa droite. Du moins était-ce vrai vingt minutes plus tôt. Le Midway, quant à lui, était encore plus éloigné, à près de trois heures-lumière, sous les vaisseaux de Marphissa et à une vingtaine de degrés sur leur droite. « Nous allons nous replier vers le Pelé de manière à mener avec le kapitan Kontos des assauts simultanés. Calculez-moi un vecteur qui nous amènera dans un rayon de deux minutes-lumière d’une interception avec le Pelé tout en maintenant jusque-là une distance de quatre avec la flottille syndic. Au boulot. »

Diaz fit signe à ses techniciens, qui entreprirent de procéder aux calculs. Avec l’assistance des systèmes automatisés, la tâche n’était pas trop ardue : entrez les variables, annoncez la destination aux systèmes et la réponse s’affiche toute seule en moins d’une seconde. Il s’agissait uniquement de physique et de mathématiques complexes tenant compte des capacités précises des vaisseaux placés sous le contrôle de Marphissa. Autant de tâches pour lesquelles les systèmes automatisés sont très doués. « Quatre minutes-lumière ? demanda-t-il à Marphissa.

— Ce n’est pas trop près, répondit celle-ci. Je ne tiens pas à me retrouver à la portée de la puissance de feu du cuirassé, sauf à le décider moi-même. Ces quatre minutes-lumière nous laisseront le temps de voir ce que font les Syndics et d’y réagir. Mais ce sera aussi assez près de la CECH Boucher pour la rendre enragée quand elle s’efforcera de réduire cette distance sans réussir à en découdre avec nous.

— Donc pas loin mais loin quand même ? fit Diaz en souriant.

— Exactement. C’est une vipère en chef. Elle a l’habitude que l’univers entier se prosterne sur son ordre. Nul ne lui désobéit. Mais, nous, nous allons la défier.

— La manœuvre est prête, kommodore », rapporta le chef des techniciens de l’observation.

Marphissa plissa les yeux pour étudier le plan de manœuvre sur son écran. Celui-ci montrait sa formation en train de décrire un large arc de cercle vers le haut et tribord, s’infléchissant pour s’achever en une courbe aplatie tendant vers une rencontre avec la projection de la trajectoire du Pelé et des deux croiseurs lourds qui l’accompagnaient. Des marqueurs horaires balisaient la ligne, chargés d’indiquer la seconde où devrait être initiée chaque étape de la manœuvre. Avec de tels systèmes pour générer des solutions efficaces, quelqu’un manquant d’expérience (comme la CECH Boucher) pouvait aisément se persuader qu’il n’en avait nullement besoin pour rivaliser avec des navigateurs spatiaux chevronnés.

« C’est jouable », décida Marphissa. Rien de trop fantaisiste, rien qui pût inciter Jua à s’inquiéter des talents ou de l’imprévisibilité de l’adversaire. « Laissons croire à Boucher que c’est ainsi que nous manœuvrerons au combat.

— Elle doit pourtant vous savoir plus douée, laissa tomber Diaz. Le Syndicat vous a vue aux commandes pendant des batailles ou à Indras.

— À condition que les enregistrements de ces batailles soient tombés entre les bonnes mains au lieu de rester enfouis dans les bases de données, rétorqua la kommodore. Et que ceux qui les ont visionnés y aient prêté attention. S’agissant de ce que Jua Boucher peut savoir de moi, je m’attendrais plutôt à un anonymat induit par l’ignorance ou l’arrogance. »

Cela étant, il ne restait plus qu’à attendre. Les vaisseaux allaient atteindre des vélocités effroyables, du moins en termes planétaires. Le Pelé arrivait maintenant sur la formation de Marphissa à 0,25 c, soit l’équivalent de soixante-quinze mille kilomètres par seconde, Kontos ayant accru sa vélocité dès qu’il avait vu arriver la flottille syndic. Le cerveau humain n’est pas vraiment capable d’appréhender de telles distances ni de telles vitesses. L’univers lui-même s’y refuse en partie. Quand un vaisseau spatial atteint 0,2 c, sa vision de l’univers extérieur commence à s’étirer et se déformer. Le matériel humain arrive sans doute à compenser ce gauchissement, à fournir une image « réelle » de l’espace, mais, cette limite dépassée, quand un vaisseau file à 0,3 voire 0,4 c, l’ingéniosité elle-même ne peut rien contre la distorsion relativiste, qui donne l’impression que le cosmos s’est distendu ou ramassé sur lui-même comme un tissu élastique. Et le vaisseau lui-même devient plus lourd, sa masse s’accroissant, de sorte qu’il lui est de plus en plus difficile d’augmenter sa vélocité. Le coût et les complications de telles célérités les rendent bien plus onéreuses, du point de vue commercial, que les jours supplémentaires exigés par le voyage à vitesse moyenne. Dans la pratique, seuls les vaisseaux de guerre atteignent les 0,1 et 0,2 c, et eux-mêmes ne cherchent pas à combattre à des vitesses supérieures parce qu’il leur est impossible de faire mouche quand leur vision de l’univers extérieur est à ce point déformée.