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En dépit des obstacles qu’ils doivent surmonter, les hommes ont trouvé plusieurs moyens de voyager d’étoile en étoile : la propulsion par bonds successifs, qui permet aux vaisseaux de passer dans un « ailleurs » où les distances sont plus courtes et où les lois de cet univers-ci ne s’appliquent pas ; l’hypernet, qui se sert de l’intrication quantique pour transporter les vaisseaux entre les étoiles sans même (techniquement parlant) les déplacer. Les hommes ont recouru à ces méthodes pour coloniser les planètes orbitant autour d’autres étoiles que le Soleil, faire du commerce entre elles et livrer des guerres interstellaires.

Comme celle du dernier siècle, initiée par les Mondes syndiqués puis alimentée par le refus de l’Alliance de se rendre et celui du Syndicat de cesser les hostilités. À la fin, alors que les deux camps vacillaient au bord du gouffre, à deux doigts de s’effondrer, un homme censément mort depuis un siècle, le légendaire Black Jack Geary, était réapparu à point nommé pour sauver la flotte de l’Alliance. Geary avait anéanti les forces du Syndicat lancées à ses trousses et il avait forcé la fin du conflit. Le gouvernement syndic vaincu, ses forces mobiles décimées et son économie ruinée par le coût de cette longue guerre, son gant de fer s’était finalement desserré et ses systèmes stellaires avaient commencé à briser leurs chaînes.

Ainsi Midway, par exemple.

« Manœuvre dans cinq minutes », annonça le technicien en chef des observations.

Marphissa se secoua pour sortir de sa rêverie. « Exécutez la manœuvre à T cinq. Systèmes automatisés. Asservissez tous les vaisseaux de la formation. » Pour les observateurs extérieurs, la précision avec laquelle se déroulerait la manœuvre serait la preuve flagrante qu’elle était automatisée. La CECH Boucher n’en serait que davantage portée à la suffisance.

« Relier tous les vaisseaux entre eux et faire exécuter la manœuvre par les systèmes automatisés, répéta le technicien pour s’assurer qu’il avait bien compris. Je comprends et j’obéis. »

Au signal, tous les bâtiments de la formation piquèrent vers le haut et latéralement pour se retourner sous la poussée de leurs propulseurs de manœuvre et des unités de propulsion principale. Ce retournement collectif simultané avait pour résultat de les maintenir dans la même position les uns par rapport aux autres. Ils changeaient de direction tous ensemble et accéléraient vers une rencontre avec le Pelé, mais leur disposition n’avait pas bougé.

« Vous savez quoi ? demanda Bradamont. Si l’amiral Geary avait demandé à ses vaisseaux de manœuvrer en pilote automatique, il aurait reçu des dizaines de plaintes de la part de ses commandants. »

Le kapitan Diaz lui adressa un regard sceptique. « Ils ne se seraient plaints qu’une seule fois, pas vrai ? Ensuite il les aurait remplacés.

— Non. Il a mis un bon moment à affirmer son autorité sur ses bâtiments et, même aujourd’hui, on continue à mettre en doute ses décisions. »

Marphissa décocha à Bradamont un regard irrité. « Sérieusement ? Avant le retour de Black Jack, on voyait les vaisseaux de l’Alliance attaquer en nuée plutôt qu’en formation rigide, mais nous pensions que telle était la doctrine de l’Alliance.

— C’était vrai, dans un certain sens. » Bradamont semblait elle-même agacée. « Nous avions oublié que le courage devait s’accompagner de discipline et l’initiative individuelle du soutien de nos camarades. L’amiral Geary nous a rappelé la supériorité du collectif sur le perso, de l’équipe organisée sur l’individualisme. Vous avez fait sauter bon nombre des restrictions imposées par le gouvernement syndic, Asima. Prenez garde à ne pas laisser trop de liberté à vos forces armées.

— Mais ça vaut mieux, protesta Diaz.

— Certes. Souvenez-vous seulement de l’exigence d’équilibre, du besoin de coordonner l’ensemble vers un même but : créer une équipe efficace qui tire le meilleur parti des talents individuels de chacun.

— Vous compliquez toujours tout », grommela Marphissa. Ses vaisseaux s’étaient désormais stabilisés sur leurs nouveaux vecteurs mais continuaient d’accélérer dans le but d’atteindre la même vélocité que celle de la flottille syndic en approche. « Ce que je me disais, c’est que vous avez affirmé que le Pelé pouvait combattre indépendamment de ma propre formation, et je continue de penser que c’est une bonne idée. Or, si je synchronisais ses attaques avec les miennes, sans doute compliquerions-nous encore la tâche de la CECH Boucher : elle aurait à affronter un double assaut simultané, ce qui lui laisserait malgré tout le temps de se remettre pendant que nous nous repositionnerions pour la suivante.

— C’est vrai, convint Bradamont.

— Mais, si je laisse la bride sur le cou à Kontos en lui ordonnant de frapper sans relâche les escorteurs et que je conduis mes passes de tir indépendamment de lui, la CECH Boucher devra alors affronter des assauts plus fréquents selon des angles différents. Il lui sera encore plus malaisé de suivre le déroulement des opérations et de décider entre les préconisations de ses systèmes automatisés. Et Kontos, ajouta Marphissa en souriant, est tout à fait capable d’une réaction inattendue que les systèmes de combat du cuirassé n’anticiperaient pas.

— Kontos n’a pas beaucoup d’expérience non plus, lui rappela Bradamont. Il est doué. Il est même parfois brillant. Mais il est encore jeune et ne pratique pas depuis très longtemps. Un mauvais calcul de sa part lui ferait prendre un risque dont, à cause de son inexpérience, il n’aurait pas pleinement apprécié la portée et qui pourrait avoir des conséquences désastreuses face à un cuirassé.

— C’est vrai aussi. » La kommodore rumina un instant la question, tandis que la vélocité de ses vaisseaux égalait enfin celle de la flottille ennemie. Les deux formations fendaient à présent l’espace, toujours séparées l’une de l’autre par quatre minutes-lumière, vers une interception bien plus rapide du Pelé. « Je crois que Kontos en est parfaitement capable, Honore. La présidente Iceni l’a placé aux commandes du Pelé parce qu’elle a confiance en lui. La présidente est un bon juge des personnalités. Vous savez comme moi que nous avons besoin d’un bonus. D’un très gros bonus. Nous pourrions sans doute détruire tous les escorteurs du cuirassé, mais l’arraisonner avec nos seules ressources exigerait un miracle.

— À vous de voir, kommodore. Quant à la difficulté qu’il y aura à mettre ce machin HS sans perdre tous nos vaisseaux dans la foulée, vous avez entièrement raison. »

Marphissa tapota sur ses touches de com. « Kapitan Kontos, je veux que vous meniez avec vos trois vaisseaux des passes de tir contre l’ennemi indépendantes de celles de ma formation. Il faudra éliminer les escorteurs du cuirassé, confondre son commandant, déjouer ses plans et, en dernier lieu, rogner les défenses de son bâtiment. Tenez-moi informée de vos intentions et des interventions que vous projetterez autant que vous le jugerez nécessaire. Au nom du peuple, Marphissa, terminé.

— La flottille syndic accélère, rapporta le technicien en chef des observations.

— Réglez votre vélocité sur la sienne en vous servant des systèmes automatisés, ordonna Marphissa au technicien des manœuvres. Maintenez une distance de quatre minutes-lumière.

— Vous pourriez laisser la CECH Boucher s’approcher, murmura Bradamont. Lui faire croire qu’elle gagne du terrain sur nous.

— Je ne compte la mener nulle part, répondit la kommodore. Je veux la narguer et la mettre en rage, comme un chat perché sur une palissade presque à la portée du chien qui cherche à l’attraper.