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— C’est vrai. » Drakon finit par se redresser pour l’observer. « Mais je ne peux pas y croire. Donal Rogero. S’il a comploté de sang-froid mon assassinat, celui des deux tiers de la division et celui de Gaiene qui était son ami, alors il fait un serpent si doué que je me demande comment je peux être encore vivant. »

Iceni fit la grimace puis hocha la tête. « Vous avez raison. D’autant qu’il aurait parfaitement pu trouver la mort, lui aussi, quand il s’est montré à la populace en compagnie de ses soldats. S’il entendait vous survivre et vous succéder, ce geste eût été absurde. » Elle inspira profondément. « Ce qui nous ramène à mon propre bord.

— Je suis certain de la loyauté de la kommodore Marphissa.

— Moi aussi. Les officiers de l’ex-flottille de réserve n’ont pas tous été scrupuleusement filtrés, mais aucun n’a eu accès aux renseignements concernant le départ assez tôt pour alerter le Syndicat.

— Que nous reste-t-il ? » demanda Drakon.

Iceni pianota sur le dessus de son bureau pour masquer le trouble qui l’agitait. « Mon assistant personnel.

— Aucun autre ?

— Pas de mon côté. Jusqu’au décollage, nous n’avons divulgué cette information qu’à ceux qui avaient besoin de la connaître.

— Où est votre assistant ? » Drakon regarda autour de lui. Ses mains s’activaient de telle manière qu’Iceni comprit qu’il devait préparer les armes et défenses incorporées à son uniforme.

« Je ne sais pas. » Elle soutint sans ciller son regard étonné. « Mehmet Togo a disparu peu avant que la foule n’envahisse les rues. Je n’ai rien découvert depuis le concernant. »

Drakon fixa le lointain en faisant la moue. « Votre Togo me fait l’impression d’un homme très difficile à liquider.

— Extrêmement difficile. Si quelqu’un s’en chargeait, ce serait une sérieuse menace.

— Si ? interrogea Drakon. Vous croyez qu’il a opté pour se mettre au vert ?

— Je n’en sais rien. » Elle montra son bureau. « J’ai pris la précaution de réinitialiser tous les mots de passe et accès qu’il connaissait. Ainsi que tous ceux qu’il n’était pas censé connaître.

— S’il a livré ces informations au Syndicat…

— Je sais ! » Iceni se calma. « Mais il ne peut pas être loyal au Syndicat. S’il l’était, il l’aurait prévenu avant notre rébellion. Aucun de nous n’aurait survécu. Et, s’il ne voulait que votre mort, il lui aurait suffi de faire passer le mot de vos plans à feu le peu regretté CECH Haris assez tôt pour me laisser le temps de dissimuler ma propre implication. » Elle se mâchouilla la lèvre et fixa Drakon d’un œil soucieux. « Togo sait beaucoup de choses. Il existe des moyens très accessibles d’extorquer des informations même à ceux qui résistent aux méthodes d’interrogatoire traditionnelles.

— S’il décide de ne pas les donner spontanément, ajouta Drakon. Mais, après leur passage, ces moyens dont vous parliez ne laissent pas de l’homme grand-chose de reconnaissable.

— Je sais cela. Et aussi qu’ils ne sont pas infaillibles, qu’ils peuvent parfois détruire l’information qu’ils cherchent à obtenir et que le Syndicat lui-même n’y recourt que très rarement. Mais je ne peux pas non plus négliger cette éventualité. Togo m’a trahie pour des raisons que j’ignore. À moins, peut-être, qu’on ait recueilli l’information qu’il détenait. Je fais tout mon possible pour le localiser.

— Le colonel Rogero n’a pas mentionné son intervention.

— Je n’ai pas demandé l’assistance des forces terrestres, répondit Iceni en éludant le problème d’un geste tranchant. Ça m’a paru une affaire purement interne.

— Elle l’était peut-être jusqu’à ce que nous apprenions qu’on avait divulgué cette information au Syndicat, dit Drakon. J’aimerais en faire part à mon état-major. Votre assistant connaît aussi beaucoup de mes propres secrets, secrets que j’ai partagés avec vos services.

— Zut ! » Iceni se frappa le front. « Les codes ! Togo aura sans doute réussi aussi à accéder à certains des vôtres. Oui. Oui. Dites à vos travailleurs de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger vos données et vos réseaux. »

Drakon fixa le sol, rembruni, puis releva les yeux. « Si votre assistant a bien passé un marché avec le Syndicat, celui-ci entendait certainement le doubler. Le plan des Syndics prévoyait un suivi rapide à notre débâcle d’Ulindi sous la forme d’une attaque immédiate de Midway. D’abord nous balayer à Ulindi, puis convoyer tous leurs soldats jusqu’ici avec la flottille de la CECH Boucher pour vous frapper sans aucun avertissement. »

Iceni prit une profonde inspiration pour digérer l’information. « Boucher ne m’aurait pas fait de quartier, à moi ni à personne, quel qu’ait été le marché qu’aurait passé Togo. Mehmet a été impliqué dans assez d’opérations décisives pour savoir que le Syndicat a un lourd passé de promesses non tenues à ceux qui ont retourné une première fois leur veste, en faisant publiquement leur éloge puis en les éliminant secrètement pour leur interdire tout nouveau revirement. Mais nous ne sommes toujours pas certains qu’il nous a trahis. Pourquoi s’éclipser s’il avait l’assurance que vous trouveriez la mort à Ulindi ?

— J’espère que vous ne prendrez pas en mauvaise part mes soupçons qui subsistent, déclara Drakon, ouvertement sarcastique. À propos de secrets dévoilés, comment avez-vous appris pour ce traquenard à Ulindi ? Tout ce qu’en savaient Freya et Bradamont, c’était que vous aviez reçu une information d’une source très crédible.

— Le CECH Boyens. » Elle flaira aussitôt son scepticisme. « Par pur intérêt personnel. »

Drakon grogna. « Ça rend la chose plus plausible, en effet. Dommage que le CECH Boyens n’ait pas craché ce renseignement avant mon départ.

— Je lui ai clairement fait part de mon désappointement.

— Est-il mort ? Ou regrette-t-il de ne pas encore l’être ?

— Ni l’un ni l’autre. Pour l’instant.

— J’aimerais m’entretenir personnellement avec lui, dit Drakon. Son petit jeu de dissimulation a failli nous coûter le maximum.

— Vous n’avez nullement besoin de le souligner. » Iceni fixait ses mains. « Jusqu’à ce que le Midway revienne avec la nouvelle de votre victoire et de votre survie, j’ai passé de longs moments à imaginer des moyens de lui faire regretter de n’avoir pas parlé plus tôt. Mais vous êtes là. En un seul morceau. Avec plus de soldats que vous n’en aviez embarqués, et de plus nombreux vaisseaux. Vous êtes franchement sidérant, vous savez. »

Drakon se radossa à son siège et lui décocha un regard énigmatique. « Si vous le croyez vraiment, alors peut-être pourrez-vous aussi m’expliquer une autre chose qui m’intrigue.

— Oh ? Quoi donc ?

— J’ai eu le loisir de m’entretenir un peu avec votre kommodore. » Le général inclina la tête de côté sans cesser de scruter la présidente. « Elle m’a dit avoir reçu de mon commandement un message-texte lui apprenant que nous avions pris la base et que nous avions besoin de son assistance contre les troupes syndics qui nous attaquaient du dehors. Mais il y a dans ce message quelque chose que je ne comprends pas. La kommodore Marphissa m’a aussi déclaré qu’elle a su aussitôt qu’il était authentique et qu’il ne pouvait s’agir d’une ruse du Syndicat puisqu’il contenait une phrase codée. Phrase codée dont elle a affirmé que la présidente Iceni l’avait confiée aux rares personnes auxquelles elle faisait confiance pour ne s’en servir qu’en cas d’urgence. » Drakon se pencha de nouveau vers Iceni, les coudes en appui sur ses cuisses. « Votre kommodore croyait que c’était moi qui avais envoyé ce message contenant cette phrase particulière. Sauf que ce n’est pas moi. »