Выбрать главу

— Un lieutenant ?

— C’est le responsable de la sécurité dans le Boudayin. Vous avez entendu parler de ce quartier de notre ville ? »

Elle acquiesça. « Mais pourquoi le lieutenant veut-il parler à Lutz ? Lutz n’a rien à voir avec le Boudayin, non ? »

Je souris. « Pardonnez-moi, ma chère, mais vous me paraissez un rien candide. Notre ami est un homme très pris, très affairé. Je doute qu’il puisse se passer quelque chose dans cette ville sans que Seipolt soit au courant.

— Je suppose, effectivement. »

C’était entièrement du pipeau : Seipolt était, au mieux, à mi-échelle du pouvoir. Ce n’était certainement pas un Friedlander bey. « Ils nous envoient chercher en voiture, pour que nous puissions nous rencontrer comme prévu. Ensuite, nous pourrons décider comment organiser le reste de la soirée. »

Son visage s’illumina de nouveau : cette occasion d’étrenner sa nouvelle robe et de faire la tournée des grands-ducs n’allait pas lui passer sous le nez, en fin de compte.

« Voulez-vous boire quelque chose, pendant que nous attendons ? » lui demandai-je. Et c’est ainsi que nous fîmes passer le temps jusqu’à ce qu’un duo de pandores en civil se radine vers nous en traînant la semelle sur l’épaisse moquette bleue. Je me levai, fis les présentations et notre petite troupe quitta le hall de l’hôtel comme les meilleurs amis du monde. Nous poursuivîmes notre agréable petite conversation jusqu’à l’entrée du commissariat. Nous prîmes l’escalier mais là, le sergent Hadjar m’intercepta. Les deux types en civil escortèrent Trudi jusque chez Okking.

« Qu’est-ce qui s’est passé ? » demanda Hadjar, sans douceur. J’avais l’impression qu’il était redevenu cent pour cent flic. Histoire de me montrer qu’il savait encore faire.

« À votre avis ? Xarghis Khan, qui travaillait pour Seipolt et votre patron, s’est encore chargé d’effacer ses traces. Très méticuleux, le mec. À la place d’Okking, je serais vachement nerveux. Je veux dire, comme trace visible à cent lieues à la ronde, le lieutenant se pose là.

— Il le sait ; je ne l’ai jamais vu aussi secoué. Je lui ai offert trente ou quarante Paxium. Il s’en est avalé une poignée en guise de déjeuner. » Grand sourire d’Hadjar.

Un des flics en uniforme ressortit du bureau d’Okking. « Audran », me dit-il avec un signe de tête. J’étais devenu un membre de l’équipe, on me montrait beaucoup de respect.

« Une minute. » Je me retournai vers Hadjar. « Écoutez, je vais avoir besoin d’examiner ce que vous avez pu ramasser dans les tiroirs et classeurs de Seipolt.

— Je m’en doutais, dit Hadjar. Le lieutenant est trop accaparé pour se préoccuper de ça, alors il va s’en décharger sur moi. Je vais m’arranger pour vous filer ça en première exclusivité…

— Très bien, c’est important, enfin, j’espère. » Je me dirigeai vers le cagibi vitré d’Okking juste comme les deux types en civil raccompagnaient Trudi dehors. Elle me sourit et me dit « Marhaba ». C’est à ce moment que je devinai qu’elle parlait aussi l’arabe.

« Asseyez-vous, Audran », dit Okking. Il avait la voix rauque.

Je m’assis. « Où l’emmenez-vous ?

— On va simplement la cuisiner un peu plus en profondeur. On va lui passer la cervelle entièrement au crible. Puis on la laissera rentrer chez elle, où qu’elle puisse crécher. »

Ça me semblait du travail policier bien fait ; je me demandai simplement si Trudi serait en état d’aller où que ce soit, une fois qu’ils auraient fini de la passer au crible. Ils avaient recours à l’hypnose, aux drogues et à l’électrostimulation du cerveau : on avait tendance à en sortir un rien vidé. Enfin, c’est ce que j’avais entendu dire.

« Khan se rapproche, dit Okking, mais l’autre n’a pas encore montré le bout du nez depuis Nikki.

— Je ne sais pas ce que ça cache. Dites voir, lieutenant, Trudi n’est pas Khan, non ? Je veux dire, est-ce qu’elle aurait pu être James Bond ? »

Il me regarda comme si j’étais cinglé. « Merde, comment voulez-vous que je sache ? Je n’ai jamais rencontré Bond en personne, nos seuls contacts ont eu lieu au téléphone, par courrier. À ma connaissance, vous êtes la seule et unique personne en vie à l’avoir vu en tête à tête. C’est bien pourquoi je ne peux me défaire de ce petit soupçon irritant, Audran. Il y a quelque chose de pas clair chez vous. »

Pas clair, moi. C’était bougrement gonflé, venant d’un agent de l’étranger qui touchait des chèques des national-socialistes. Ça m’embêtait d’apprendre que Okking serait infoutu de découvrir Khan dans une rangée de suspects si jamais l’occasion s’en présentait, mais sans doute disait-il la vérité. Il savait qu’il était en haut de la liste, pour ne pas dire le premier, des prochaines victimes. Il avait d’ailleurs pris soin de ne plus quitter cette pièce : il y avait installé un lit de camp et un plateau-repas – inachevé – traînait sur son bureau.

« La seule chose que nous sachions sans doute avec certitude est que l’un comme l’autre se servent de leurs mamies non seulement pour tuer mais aussi pour répandre la terreur. Ça ne réussit pas mal non plus, remarquai-je. Votre gars » – Okking me lorgna d’un sale œil mais, merde, c’était la vérité –, « votre gars est passé de Bond à Khan. L’autre est resté le même, autant que je sache. J’espère simplement que le dégommeur des Russes est retourné chez lui. J’aimerais bien pouvoir être assuré qu’on n’aura plus à s’en préoccuper.

— Ouais, dit Okking.

— Avez-vous tiré quelque chose d’intéressant de Trudi avant de l’expédier en bas ? »

Okking haussa les épaules et retourna un demi-sandwich sur son plateau. « Juste des renseignements polis. Son nom et tout ça.

— J’aimerais bien savoir comment elle a fait son compte pour se retrouver avec Seipolt. »

Okking haussa les sourcils. « Facile, Audran. Seipolt avait fait l’enchère la plus haute de la semaine. »

Je laissai échapper un soupir exaspéré. « Ça, j’avais deviné, lieutenant. Elle m’a dit lui avoir été présentée par une tierce personne…

— Mahmoud.

— Mahmoud ? Mon ami, Mahmoud ? Celui qui était une des filles de Jo-Mama avant son changement de sexe ?

— Tout juste.

— Qu’est-ce que Mahmoud a à voir là-dedans ?

— Pendant que vous étiez à l’hôpital, Mahmoud a eu de l’avancement. Il a pris le poste laissé vacant quand Abdoulaye s’est fait rétamer. »

Mahmoud. Passé de la gentille petite chose bossant dans les clubs grecs à l’artiste des coups minables puis au gros bonnet de la traite des Blanches en deux temps, trois mouvements. Tout ce qui me venait à l’esprit, c’était : « Où, ailleurs qu’au Boudayin ? » Parlez-moi d’égalité des chances pour tous. Je grommelai : « Faudra que je parle à Mahmoud.

— Prenez la queue. Il va pas tarder à débarquer, sitôt que mes gars auront pu le coincer.

— Vous me direz ce qu’il vous aura raconté. »

Okking ricana. « Bien entendu, l’ami ; ne vous l’ai-je pas promis ? Ne l’ai-je pas promis à Papa ? Que puis-je faire d’autre pour vous ? »

Je me levai et me penchai par-dessus son bureau. « Écoutez, Okking, vous avez peut-être l’habitude de contempler des bouts de corps étalés partout dans le séjour des gens sympas, mais moi, j’y arrive pas sans dégueuler. » Je lui montrai mon dernier message signé de Khan. « Je veux savoir si je peux disposer d’une arme, ou je ne sais quoi.

— Qu’est-ce que j’en ai à foutre ? » murmura-t-il, presque hypnotisé par le billet de Khan. J’attendis. Il leva enfin la tête, rencontra mon regard, soupira. Puis il ouvrit un des tiroirs du bas de son bureau et sortit plusieurs armes. « Laquelle ? »