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Il y avait une paire de lance-aiguilles, une paire pistolets électrostatiques, un gros paralysant, et même un automatique à projectiles de gros calibre. Je choisis un petit lance-aiguilles Smith & Wesson et le canon paralysant General Electric. Okking déposa pour moi sur son buvard une boîte de chargeurs d’aiguilles calibrées, douze aiguilles par chargeur, cent chargeurs dans la boîte. Je ramassai le tout et le planquai vite fait. « Merci.

— On se sent protégé, à présent ? Ils vous donnent un sentiment d’invulnérabilité ?

— Vous vous sentez invulnérable, Okking ? »

Chute en vrille du sourire narquois. « Mon cul, oui. » D’un geste de la main, il me fit signe de décamper ; pas chien, je sortis.

Quand je quittai le bâtiment, le ciel s’assombrissait à l’est. J’entendis les appels enregistrés des muezzins résonner du haut des minarets dans toute la ville. La journée avait été chargée. J’avais envie d’un verre mais j’avais encore quelques trucs à régler avant de m’accorder un petit répit. Je regagnai l’hôtel et montai dans ma chambre, retirai tunique et coiffure et pris une douche. Je laissai l’eau brûlante me crépiter sur le corps pendant un bon quart d’heure, tournant sous le jet comme un mouton à la broche. Puis je me lavai les cheveux, me savonnai le visage deux ou trois fois. C’était regrettable mais nécessaire : la barbe allait devoir disparaître. J’étais devenu malin mais le petit rappel de Khan dans ma boîte aux lettres prouvait à l’évidence que je ne l’étais pas encore suffisamment. Je commençai d’abord par raccourcir ma toison de cheveux brun-roux.

Je n’avais pas vu ma lèvre supérieure depuis que j’étais ado, si bien que les premiers coups de rasoir engendrèrent en moi quelques petits pincements de regret. Ça passa vite ; un moment après, j’étais devenu curieux de l’apparence que je pouvais bien avoir en dessous de tout ça. Un quart d’heure encore, et j’avais totalement éliminé la barbe, repassant partout sur le cou et le visage jusqu’à en avoir le feu aux joues et des perles de sang le long de grandes estafilades rouge vif.

Quand je compris ce que mon présent aspect m’évoquait, je devins incapable de contempler plus longtemps mon reflet dans la glace. Je m’aspergeai d’eau le visage et m’essuyai. Je m’imaginai en train de faire un pied de nez à Friedlander bey et au reste des indésirables blasés de cette cité. Ensuite, je pourrais reprendre le chemin de l’Algérie pour y passer le restant de mes jours, à regarder crever les chèvres.

Je me brossai les cheveux et retournai dans la chambre où j’ouvris les paquets du tailleur pour hommes. Je me vêtis avec lenteur, ressassant certaines pensées. Une notion éclipsait tout le reste : quoi qu’il arrive, il n’était plus question que je m’enfiche à nouveau un module d’aptitude mimétique.

J’étais prêt à utiliser tous les papies susceptibles de me fournir une aide, mais ces périphériques ne faisaient que prolonger ma propre personnalité. En revanche, qu’elle soit la copie d’une personnalité réelle ou imaginaire, aucune machine pensante n’avait le moindre intérêt pour moi – aucune n’avait jamais eu à affronter une telle situation, aucune n’avait mis les pieds dans le Boudayin. J’avais besoin de mobiliser toutes mes aptitudes, pas celles de quelque reproduction totalement hors de propos.

Ça faisait du bien de voir cette question réglée. C’était le compromis que je recherchais quasiment depuis que Papa m’avait annoncé pour la première fois que j’étais volontaire pour me faire câbler. Je souris. Je sentis un poids – négligeable, un quart de livre, peut-être – quitter mes épaules.

Je ne vous dirai pas combien de temps il me fallut pour nouer ma cravate. Il existait bien des cravates à agrafer, mais elles étaient mal vues dans la boutique où j’avais acheté toute ma garde-robe.

Je glissai mes pans de chemise dans le pantalon, attachai tout ce qu’il y avait à attacher, mis les chaussures et enfilai le veston. Puis je me reculai pour contempler mon nouveau moi dans la glace. Je nettoyai quelques croûtes de sang séché sur le cou et le menton. J’avais belle allure, le supercanon avec pas grand-chose en poche. Si vous voyez ce que je veux dire. En fait, j’étais toujours le même : mais question fringues, c’était la classe. C’était impeccable parce que la plupart des gens ne regardent de toute façon que la mise. Plus important, c’était que pour la première fois je croyais le cauchemar proche de sa conclusion. J’avais parcouru la plus grande partie du chemin dans un tunnel obscur et seules deux silhouettes indistinctes dissimulaient encore la lumière tant attendue, à son débouché.

Je passai le téléphone à ma ceinture, invisible sous le veston du costume. Puis, réflexion faite, glissai dans une poche le petit lance-aiguilles ; il faisait à peine saillie et j’étais d’humeur « mieux vaut prévenir que guérir ». Mon esprit malicieux me soufflait « prévenir et guérir » ; mais l’heure était trop tardive pour que j’écoute mon esprit, j’avais fait ça toute la journée. Je comptais juste descendre quelques instants au bar de l’hôtel, un point c’est tout.

Toujours est-il que Xarghis Khan savait à quoi je ressemblais tandis que je ne savais rien de lui, hormis qu’il ne ressemblait sans doute en rien à James Bond. Je me souvins de ce que m’avait dit Hassan quelques heures plus tôt : « Je ne me fie à personne. »

Bon, ça, c’était le plan, mais était-il applicable ? Était-il même possible de passer ne fût-ce qu’une seule journée perpétuellement sur ses gardes ? À combien de personnes pouvais-je me fier sans même y penser ? – des gens qui, si l’envie leur prenait de se débarrasser de moi, auraient pu me liquider vite fait ? Jasmin, déjà. Le demi-Hadj, je l’avais même invité à monter chez moi ; tout ce qu’il lui fallait pour se muer en assassin, c’était utiliser le mauvais mamie. Même Bill, mon taxi préféré ; même Chiri, qui possédait la plus vaste collection de mamies du Boudayin. J’allais devenir cinglé si je continuais à penser de la sorte.

Et si Okking était lui-même l’assassin qu’il prétendait traquer ? Okking, ou Hadjar ?

Ou encore Friedlander bey ?

Voilà que je me mettais à penser comme le Maghrebi mangeur de haricots que j’étais pour eux tous. J’y mis le holà, quittai la chambre et descendis en ascenseur jusqu’à la mezzanine. Il n’y avait pas grand monde dans le bar aux lumières tamisées : il n’y avait déjà pas beaucoup de touristes, en plus c’était un hôtel cher et plutôt tranquille. Je parcourus du regard le comptoir et remarquai trois hommes installés sur des tabourets et qui, penchés, devisaient ensemble tranquillement. Sur ma droite, quatre autres groupes, en majorité masculins, étaient attablés. Une bande de musique européenne ou américaine passait en sourdine. L’ambiance du bar semblait être exprimée par les fougères en pots et les murs de stuc aux tonalités orange et rose pastel. Quand le barman leva vers moi un sourcil, je lui commandai un gin-bingara. Il me le prépara juste comme je l’aimais, jusqu’au trait de Rose. L’avantage d’être cosmopolite.

Ma boisson arriva et je la réglai. Puis je sirotai mon verre en me demandant pourquoi je m’étais imaginé que rester planté ici m’aiderait à oublier mes problèmes. Et puis, voilà qu’elle se laissa dériver jusqu’à moi, évoluant avec un ralenti surnaturel, comme si elle était assoupie ou droguée. Ça ne se traduisait toutefois ni dans son sourire ni avec son élocution. « Ça ne vous dérange pas si je m’assois avec vous ? demanda Trudi.

— Bien sûr que non. » Je lui adressai un sourire gracieux mais les pensées se bousculaient dans ma tête.