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Cher Marîd,

Merci pour tout. Tu es vraiment un homme charmant, adorable. J’espère qu’on se reverra un jour

Il faut que j’y aille maintenant, aussi je suis certaine que tu ne verras pas d’objection à ce que je me serve directement dans ton portefeuille.

Bises,

Trudi
(mon vrai nom, c’est Gunter Erich von S. Tu veux dire que tu ne te doutais vraiment pas, ou c’était juste par délicatesse ?)

J’ai à peu près tout essayé dans mon existence, question sexe. Mes fantasmes secrets ne portent pas sur quoi, mais plutôt sur qui. Je crois bien que j’avais à peu près tout vu et tout entendu. La seule chose qui à ma connaissance restait impossible à simuler – jusqu’à la nuit dernière, la preuve du contraire – c’était ce halètement animal qu’adoptait la respiration d’une femme au tout début de l’acte amoureux, avant même que celui-ci devînt rythmique. Je regardai à nouveau le billet de Trudi, me rappelant toutes ces fois où Jacques, Mahmoud, Saïed et moi, tous les quatre assis à une table du Réconfort, nous regardions passer les gens. « Oh ! celle-là ? C’est une sexchangiste femelle-mâle en travesti. »

J’étais capable de démasquer absolument n’importe qui. J’étais réputé pour ça.

Je jurai de ne plus jamais affirmer quoi que ce soit sur personne. J’en étais à me demander si l’univers se lassait jamais de ces plaisanteries ; non, ce serait trop vouloir demander. Les plaisanteries continueraient à l’infini, toujours pires. Pour l’heure, j’étais certain que si l’âge et l’expérience ne pouvaient les arrêter, rien, sinon la mort, n’y parviendrait.

Je repliai soigneusement mes habits neufs et les rangeai dans le sac de sport. Aujourd’hui, je remettais ma tunique blanche et mon keffieh, changeant à nouveau d’apparence – habillé en Arabe, mais rasé de près. L’homme aux mille visages. Aujourd’hui, je voulais mettre à l’épreuve la promesse d’Hadjar de me laisser consulter les fichiers informatiques de la police. J’avais envie d’orienter mes recherches sur la police elle-même. J’avais envie d’en apprendre le plus possible sur les liens entre Okking et Bond-Khan.

Plutôt que d’y aller à pied, je pris un taxi pour me rendre au commissariat. Non pas parce que l’argent de Papa m’avait donné des goûts de luxe ; mais simplement parce que je sentais la pression des événements. Je pressais le temps autant que le temps lui-même me pressait. Les papies me grésillaient dans la tête et je ne ressentais ni courbatures, ni faim, ni soif. Je n’éprouvais non plus ni peur ni colère ; d’aucuns auraient pu m’avertir du danger de ne pas avoir peur. Peut-être qu’en effet j’aurais dû, un peu.

Je regardai Okking manger un petit déjeuner tardif dans sa fragile forteresse en attendant que Hadjar eût regagné son bureau. À son entrée, le sergent me jeta un regard distrait. « Z’êtes pas le seul fondu à me tanner, Audran, me dit-il avec aigreur. On a déjà une trentaine d’autres tordus pour nous refiler des tuyaux fantaisistes et des confidences piochées dans leurs rêves ou le marc de café.

— Alors, vous serez ravi que je n’aie pas le moindre tuyau pour vous. Au contraire, je suis venu vous en demander. Vous m’aviez dit que je pouvais me servir de vos fichiers.

— Oh ! ouais, sans problème ; mais pas ici. Si jamais Okking vous voyait, il me fendrait le crâne. Je vais les prévenir, en bas. Vous pourrez utiliser le terminal du second.

— Peu m’importe où il se trouve. » Hadjar passa son coup de fil, me tapa un laissez-passer et le signa. Je le remerciai et descendis au fichier informatique. Une jeune femme aux traits asiatiques me conduisit à un écran inutilisé, me montra comment passer d’un menu au suivant et me dit que si j’avais des questions à poser, la machine se chargerait d’y répondre. Elle n’était ni informaticienne ni bibliothécaire ; elle se contentait de répartir les flux de circulation dans la vaste salle.

Je consultai en premier lieu le fichier général, qui ressemblait furieusement au trombinoscope d’une agence de presse : quand je tapais un nom, l’ordinateur me donnait tous les renseignements disponibles concernant la personne. Le premier nom que j’entrai fut celui d’Okking. Le curseur s’immobilisa une ou deux secondes puis déposa régulièrement son sillage sur l’écran, de droite à gauche, en arabe. J’appris tout d’abord le prénom d’Okking, son patronyme, son âge, son lieu de naissance, ce qu’il avait fait avant de venir dans notre ville, bref, tout ce qu’on met sur un formulaire au-dessus du double trait de séparation. En dessous, commencent les choses vraiment sérieuses : selon le type de fichier, ce pourra être le dossier médical du sujet, son casier judiciaire, ses archives bancaires, ses orientations politiques, son ou ses penchant(s) sexuel(s), ou tout ce qui peut un jour ou l’autre se révéler pertinent.

Dans le cas d’Okking, sous le double trait, il n’y avait rien. Absolument rien. Al-sîfr, zéro.

Au début, je mis ça sur le compte d’un quelconque problème d’ordinateur. Je repris la procédure de zéro, remontant au premier menu, sélectionnant le genre d’information que je désirais puis tapant le nom d’Okking. Et j’attendis.

Mâ shî. Rien.

C’était Okking qui avait fait ça, j’en étais sûr. Il avait masqué ses traces, exactement comme son petit copain Khan à présent. Si j’avais envie de me rendre en Europe, dans son pays natal, je pourrais en savoir plus, mais seulement jusqu’au moment de son départ pour notre ville. Depuis lors, il n’avait plus aucune existence, officiellement parlant.

Je tapai Universal Export, le nom de code du groupe d’espionnage de James Bond. Je l’avais vu l’autre fois sur une enveloppe qui traînait sur le bureau d’Okking. Là encore, pas d’entrée à ce nom.

J’essayai James Bond sans grand espoir, et n’obtins rien. Idem avec Xarghis Khan. Le vrai Khan et le « vrai » Bond n’avaient jamais visité la cité, de sorte qu’il n’y avait aucun fichier les concernant.

Je réfléchis aux autres personnes que je pourrais contrôler sur ma lancée – Yasmin, Friedlander bey, moi-même – mais décidai de laisser ma curiosité insatisfaite jusqu’à une occasion moins urgente. J’entrai le nom d’Hadjar et ne fus pas surpris par ce que je lus. D’à peu près deux ans mon cadet, jordanien, un casier judiciaire modérément chargé après son arrivée dans la cité. Profil psychologique recoupant point par point ma propre estimation ; vous ne lui auriez pas donné vos chameaux à garder. Il était soupçonné de trafic de drogue et de devises avec les prisonniers. Il avait été impliqué une fois dans une affaire de disparition de biens confisqués, mais rien de bien concluant n’en était sorti. Le dossier officiel mettait en avant la possibilité qu’Hadjar pût profiter de sa position dans les forces de police pour exercer des trafics d’influences avec des particuliers ou des organisations criminelles. Le rapport suggérait qu’il n’était peut-être pas au-dessus d’abus de pouvoir tels que l’extorsion de fonds, l’escroquerie, les trafics et la conspiration, entre autres faiblesses à faire respecter la loi.

Hadjar ? Allons donc, qui t’a donné cette idée ? Allah m’en préserve !

Je hochai lugubrement la tête. Tous les services de police du monde étaient identiques sous deux aspects : tous avaient un net penchant à vous fendre le crâne pour un oui ou pour un non, et tous étaient parfaitement incapables de reconnaître la vérité toute nue, même étendue devant eux les cuisses ouvertes. Les flics ne font pas respecter la loi ; il faut attendre qu’elle soit enfreinte pour qu’ils daignent commencer à se casser le cul. Et même là, ils n’élucident les crimes qu’avec un taux de succès pitoyable. La police, pour être honnête, c’est une espèce de bureau d’enregistrement chargé de consigner les noms des victimes et les dépositions des témoins. Une fois que s’est écoulé un temps suffisant, ils peuvent tranquillement classer l’information dans le fond du tiroir pour laisser de la place aux suivantes.