Eh bien d’accord, s’il fallait qu’on marche ainsi… Je fonçai chez Chiri et jetai un jeune Noir à bas de mon tabouret habituel. Maribel descendit de son siège au bout du comptoir et tituba vers moi de sa démarche d’ivrogne. « J’ t’attendais, Marîd, fit-elle d’une voix épaisse.
— Pas maintenant, Maribel. J’ suis pas d’humeur. »
Le regard de Chiriga oscilla entre moi et le jeune Noir, qui se tâtait pour déclencher un esclandre. « Gin et bingara ? » demanda-t-elle en haussant les sourcils. Ce fut la seule expression qu’elle se permit. « Ou tendé ? »
Maribel s’assit à côté de moi. « Faut que t’écoutes, Marîd. »
Je regardai Chiri ; c’était une décision délicate. J’optai pour la vodka citron.
« J’ me rappelle qui c’était, dit Maribel ; çui qu’ j’ai ramené chez moi. Avec les cicatrices, çui qu’ tu cherchais. C’était Abdoul-Hassan, le jeune Américain. Tu sais ? C’est Hassan qu’avait dû l’arranger. J’ t’avais bien dit qu’ ça m’ reviendrait. À présent, tu m’ dois des sous. »
Elle était toute fière. Elle essaya de se redresser sur son tabouret.
Je regardai Chiri et elle m’adressa juste l’esquisse d’un sourire.
« Oh, et puis merde, tiens… lançai-je.
— Tu l’as dit », fit-elle.
Le jeune Noir était toujours planté là. Il nous jeta un regard intrigué et sortit de la boîte. Je venais sans doute de lui économiser une petite fortune.