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— C’est un Français, au moins ?

— Il a même essayé de me flatter en disant que j’étais un acte contre nature, mais j’ai très bien compris qu’il essayait seulement de me faire plaisir.

— Vous devriez venir me voir de temps en temps, monsieur Cousin, on apprend des choses avec vous. Mais essayez de prendre les noms et les adresses. Il est toujours utile de se faire des amis.

— Je lui ai fait remarquer que les erreurs de la nature ne se corrigent pas les armes à la main.

— Attendez, attendez. Il vous a parlé les armes à la main ?

— Non, pas du tout. Les mains nues. Les mains nues, c’est sa spécialité. Il distribue ça à tout le monde. Ça m’est venu comme ça, tout seul, à cause du vol de l’imagination. Les armes à la main, vous pensez bien, lorsqu’il s’agit des pythons, c’est des effets vibratoires. Oratoires. Les armes à la main, c’est une expression du langage, une vieille locution francophone avec habitude.

— Et qu’est-ce qu’il a dit, quand vous l’avez menacé ?

— Il s’est foutu en rogne. Il m’a dit que j’étais un fœtus qui refusait de naître à l’air libre et c’est là qu’il m’a parlé de l’avortoir, à propos de la prise de position du professeur Lortat-Jacob, vous savez, de l’Ordre des Médecins.

— Qui ?

— C’est un grand Français, il ne souffre plus. Il n’a absolument rien à voir. Je lui ai dit : « Bon, bien, mais qu’est-ce que vous faites pour me faire naître ? »

— Au professeur Lortat-Jacob ? Mais ce n’est pas un médecin accoucheur ! C’est un célèbre chirurgien ! Un des plus grands !

— Justement, il y a une question de chirurgie qui se pose. Comme il l’a dit, le garçon de bureau dans le couloir du neuvième étage, dans « acte de naissance », il y a acte. Une intervention chirurgicale. Une césarienne si vous voulez. C’est pour en sortir. Il n’y a pas de sortie, alors il faut pratiquer l’ouverture. Vous comprenez ?

— Évidemment que je comprends, monsieur Cousin, si je ne comprenais pas on ne m’aurait pas nommé commissaire dans le cinquième. C’est les étudiants, les universités, ici. Il faut les comprendre, si on veut réussir.

— Alors, là, il s’est vraiment mis en rogne. Quand j’ai refusé de me dérouler sur trois kilomètres de longueur de la Bastille au Mur des Fédérés, avec folklore. C’est là qu’il m’a retraité d’acte contre nature… Il m’a lancé que j’avais peur de naître, que je faisais seulement semblant et il m’a même traité de pauvre con, ce qui fait toujours plaisir quand on en manque. Et il est parti. Quand il est sorti, je lui ai dit que j’étais certainement un acte contre nature comme tout ce qui est en souffrance et que j’étais fier de l’être et que quand on respire c’est pour aspirer et qu’aspirer c’est un acte contre nature comme les premiers chrétiens et que la nature j’en avais plein le cul, révérence parler, et que j’avais besoin de tendresse et d’affection et d’amitié et merde.

— Vous avez très bien fait et je vous en félicite. La police est là pour ça, justement.

— Je n’ai pas dit que vous êtes contre nature, monsieur le commissaire, soit dit sans vous vexer. Je fais des nœuds tout le temps, à cause de ma démarche intellectuelle, je colle simplement à mon sujet, alors vous avez cru que je vous faisais une fleur. La police, au contraire, est une chose tout à fait naturelle et bien de chez nous.

— Je suis heureux de vous l’entendre dire, monsieur Cousin.

— Voilà. Vous m’avez demandé pourquoi j’ai adopté un python et je vous le dis. J’ai pris cette décision amicale à mon égard au cours d’un voyage organisé en Afrique, avec ma future fiancée Mlle Dreyfus, qui a les mêmes origines. J’ai été très frappé par la forêt vierge. De l’humidité, de la pourriture, des vapeurs… les origines, quoi. On comprend mieux, après avoir vu ça. Des bouillonnements, des proliférations… C’est marrant, la nature, lorsqu’on pense à Jean Moulin et Pierre Brossolette…

— Attendez, attendez. Quels noms déjà ?

— Non, personne, je parle comme ça, au figuré. Il n’y a pas lieu d’enquêter. Ils sont déjà au point.

— Si je comprends bien, vous avez adopté votre python à cause de cette rencontre avec la nature, dans un moment de communion ?

— Écoutez, j’ai des angoisses. Des terreurs abjectes. J’ai des moments où je ne crois pas que je vais donner autre chose. Que la fin de l’impossible, ce n’est pas français. Descartes, au grand siècle, ou quelqu’un comme ça, a dû dire, j’en suis sûr, une chose formidable, que je ne connais pas, mais j’ai quand même décidé de regarder la vérité en face pour avoir un peu moins peur. Mon grand problème, monsieur l’angoisse, c’est le commissaire.

— Vous n’avez rien à craindre. Vous êtes ici dans un poste de police.

— Alors, quand j’ai vu le python devant l’hôtel, à Abidjan, j’ai tout de suite compris qu’on était fait l’un pour l’autre. Il s’était à ce point enroulé sur lui-même, que je voyais bien qu’il essayait de disparaître à l’intérieur, se refouler, se cacher, tellement il avait peur. Il fallait voir les petites mines dégoûtées que les dames de notre groupe organisé prenaient en regardant la pauvre bête. Sauf Mlle Dreyfus, justement. L’autre jour, elle m’a même remarqué sur les Champs-Élysées. Le lendemain, au bureau, elle me l’a fait sentir, très discrètement. Elle m’a dit : « Je vous ai aperçu dimanche sur les Champs-Élysées. » Bref, j’ai tout de suite adopté le python, sans même demander combien. Le soir, à l’hôtel, il a rampé sur le lit et il m’a fait un gros câlin et je l’ai appelé comme ça. Quant à Mlle Dreyfus, elle vient de la Guyane et elle doit son nom à la francophonie, car le faux capitaine Dreyfus, qui n’était pas coupable, est là-bas très populaire, à cause de ce qu’il a fait pour le pays.

J’aurais voulu prolonger cette conversation, car il y avait là peut-être une amitié en train de naître, à cause de l’incompréhension réciproque entre les gens, qui sentent ainsi qu’ils ont quelque chose en commun. Mais le commissaire paraissait épuisé et il me regardait avec une sorte de peur, ce qui nous rapprochait encore, parce que moi aussi j’avais une peur bleue de lui. Il fit cependant d’une main tremblante un effort pour s’intéresser à moi.

— Vous avez une vignette ? me demanda-t-il.

J’achète chaque année la vignette pour sentir que je vais bientôt avoir une voiture, pour l’optimisme. Je lui expliquai tout ça.

— Si vous voulez bien, nous pourrions aller au Louvre ensemble, dimanche, lui proposai-je.

Il parut encore plus épouvanté. Je le fascinais, c’était clair. C’est dans tous les ouvrages. J’étais là, debout devant lui assis, et je m’approchai de plus en plus de lui, mine de rien, en détours, il y avait une demi-heure déjà, qu’il s’intéressait à moi. Je m’attache très facilement. C’est un besoin, chez moi, de protéger, de m’offrir à quelqu’un d’autre. Et un commissaire de police, c’est bien quelqu’un d’autre. Il semblait gêné, peut-être parce que je lui faisais de la sympathie. Dans ces cas-là, d’habitude, on regarde ailleurs. C’est la dignité humaine qui fait ça, comme pour les clochards. On regarde ailleurs. D’ailleurs, le grand poète François Villon a prévu ça dans un vers. Frères humains qui après nous vivez… Il a prévu l’avenir, les frères humains. Qu’il y en aura un jour.

Il s’est levé.

— Bon, je vais déjeuner…

Ce n’était pas une invitation, mais il y pensait tout de même. Je pris un crayon et marquai mon nom et adresse, pour les rondes de police, de temps en temps.

— Ça me ferait plaisir. La police, ça sécurise.

— Je manque un peu d’hommes, en ce moment.

— Je comprends, je sais. L’état de manque.