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Une mouche passa dans la chambre noire, lourde, suicidaire. Lentement, le policier revint à la réalité. C’était plutôt moche et sans joie ; les hommes s’étaient trompés de planète, il ne savait plus qui avait dit ça mais quand les femmes s’occuperont de la guerre ça s’appellera la paix, en attendant la mort dans sa jungle chiapanèque, Marcos secouait les hardes d’une troupe d’analphabètes idéalistes et lui avait perdu l’envie de l’aider… Il enfila un pantalon de toile noire, un tee-shirt sans marque et ses vieilles chaussures anglaises.

Il était onze heures du matin, la chaleur ne fléchissait pas, un café fumant attendait sur le bar américain, Helen chantonnait dans la cuisine, tout l’énervait.

— Bonjour ! lança-t-elle.

— Mff ! grogna-t-il en se forçant à émettre un son.

Helen lui tendit son café. Quand il sortait d’un cauchemar, l’homme qu’elle aimait en faisait participer son entourage. Elle le regarda sous ses mèches d’un brun naturel et ne put s’empêcher d’admirer ses bras : puissants, véloces, les muscles encore saillants… Helen adorait quand ces bras la serraient contre lui. Si un gouffre les séparait, elle aimait tout, même ce vide. Le sentir, c’était déjà tenter de le combler. Et si leur amour était tombé dans ce gouffre, il ne restait que l’autre à l’un, et réciproquement.

Helen avait revêtu une robe légère qui cachait sa taille tout en laissant nues ses jolies jambes. L’attention était louable : c’était la robe que Jack préférait. Il lui avait même dit une fois qu’« il la trouvait sexy là-dedans ».

Helen avait rougi — vingt ans de moins, d’un coup.

Mais aujourd’hui, l’homme qu’elle aimait ne posa même pas un cil sur l’habit : il partit après deux gorgées de café mal avalées, sans un signe, sans un mot.

Helen regarda le petit paquet qui attendait toujours, posé à côté de la tasse vide. Elle lui avait fait un cadeau, au cas où… Bien entendu, Jack l’avait remarqué. Mais il ne l’avait pas ouvert, comme s’il se sentait indigne de recevoir quoi que ce soit. Il ne l’aimait pas assez pour ça.

Le malaise était bref mais profond.

La femme resta seule avec son petit paquet et une féroce envie de pleurer. Même si aucun homme n’avait daigné lui offrir un enfant, Helen aimait beaucoup Noël. C’est tout ce qu’elle voulait dire à Jack. Mais il ne comprenait même pas ça.

*

Queens Wharf. Fitzgerald déjeunait dans un restaurant en compagnie de Mc Cleary.

Ce repas était devenu un rite pour les deux hommes. Comme Jack refusait obstinément de partager le réveillon avec la famille de Mc Cleary — malgré l’amitié qu’il leur portait —, ils déjeunaient ensemble le lendemain.

Attablés face au port, les deux amis dégustaient un plateau de fruits de mer en regardant partir les ferries pour Waiheke. Selon leur pacte moral, ils ne parleraient du boulot qu’après les langoustes. En attendant, Mc Cleary lui raconta son réveillon. Il exagérait volontairement les anecdotes mais comme son but était de faire rire, Jack le laissait faire.

Selon son ami, l’estomac du grand-père aurait capoté entre le dessert et le cognac, faisant du même coup hurler le petit et vomir la plus grande. Le grand-père finit par expulser vomi et dentier dans la cuvette des toilettes, lequel dentier se perdit sous l’épaisse couche de grumeaux. La grand-mère manquant de tourner de l’œil, les gosses en rajoutant tour à tour et sa femme refusant catégoriquement de plonger les mains dans la mélasse fraîche, c’est à lui qu’échut le privilège de ramasser le dentier du grand-père. Autant dire que le reste de la soirée fut expédié et tout le monde couché en vitesse.

Jack sourit. Mc Cleary vérifiait à lui seul la devise nationale : « Je suis britannique, mais je me soigne. » Il rêvait de latinité avec un faux dédain pour l’Angleterre — ce qui n’empêchait pas les sunday papers de déblatérer sur le compte de la famille royale — et un cynisme malsain envers l’Amérique qui, de par le monde, forment une inquiétante unanimité. Le coroner aimait l’Espagne et surtout la France, préférant y voir comme ambassade un rugby fantaisiste plutôt que l’entêtement d’un gouvernement à des essais nucléaires au milieu de coraux et autres poissons multicolores…

Le professeur Waitura arriva à l’heure au rendez-vous, un tailleur inédit sur les épaules. La voyant débarquer de loin, Mc Cleary siffla entre ses formidables moustaches :

— Dis donc ! Pour une fois, ça donne envie d’être capitaine à la police d’Auckland !

— Tu ne vas pas me faire une thèse sur le fantasme des femmes en tailleur ?! rétorqua Fitzgerald tandis qu’Ann slalomait entre les tables.

— Pas du tout ! Mais je t’assure, regarde-la bien. Cette fille a quelque chose. Une puissance désinvolte, redoutable. Et tu connais la fidélité que je tiens envers ma femme !

— Dragueur, va !

Ann arrivait. Jack dut reconnaître qu’elle marchait comme une Salammbo cerclée de pythons royaux ou quelque chose comme ça : depuis le temps, il ne lisait plus que des rapports de police et autres paperasseries abêtissantes.

La criminologue lança avec un brin de provocation :

— Alors, on se tait quand j’arrive ?

— C’est comme les oiseaux à l’approche du grand fauve, ma chère ! rétorqua Mc Cleary, toutes ailes dehors.

Ann haussa les sourcils et plia ses belles jambes entre les deux hommes. Le coroner sortit un calepin, à deux doigts de bander. D’un revers de serviette, il essuya sa moustache et quelques taches de rousseur le long de ses lèvres. Mc Cleary commença son petit speech sous l’oreille attentive des enquêteurs. Il ne bandait alors plus du tout.

— Un : Carol a été tuée entre quatre et cinq heures du matin. Deux : elle a été étranglée de face. Bien qu’elle se les rongeât, je n’ai décelé aucune trace de peau sous ses ongles. Si on l’avait torturée au préalable, Carol se serait défendue avec énergie : puisque je n’ai trouvé ni marques de contusion, ni cheveux ni rien, on peut supposer que le meurtrier l’a totalement surprise. Trois : j’ai trouvé des traces d’alcool dans l’estomac de la victime. Pas de drogue. Carol a donc bu pas mal avant de mourir. Du gin.

— Carol est allée dans une boîte de nuit, coupa Jack. Mais elle est sortie peu avant trois heures du matin : il y a un trou d’une heure et demie entre la sortie du Sirène et le meurtre…

— Ça, c’est ton affaire. Je continue : le tueur l’a donc étranglée, et cela sur la plage. J’ai retrouvé du sable un peu partout sur son corps. Carol s’est allongée sur la plage mais ils n’ont pas fait l’amour. Notons au passage que le tueur ne la menaçait pas encore de son couteau : aucune marque de pointe acérée sur le corps. Carol était sans aucun doute consentante. Mais il s’est passé quelque chose, quelque chose qui a poussé notre homme à l’étrangler…

— Un impuissant ? proposa Jack en se tournant vers Ann.

— Probable.

— Un homosexuel détraqué ?

— Possible, fit-elle dans une moue. Mais je vous rappelle qu’il a touché au sexe et non au rectum. Or, un pédoclaste dénie le sexe de la femme. Je pencherais plutôt pour un homme séduisant dont la sexualité est mal définie. Le scalp est un symbole. Fétichisme, mutilation…

— Revenons à l’autopsie et gardons cette piste.

— O.K., poursuivit Mc Cleary. Une fois Carol étranglée, le tueur a scalpé le pubis. D’après l’analyse, l’acier de l’arme provient d’un couteau à lame très effilée, couteau, scalpel, voire rasoir. Trouvez l’arme du crime et vous trouverez le coupable.