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— On a drainé le port et les environs de Devonport, sans succès jusqu’à présent. Les recherches continuent.

— Inutile : l’acier provient de la même arme. Je veux dire que Carol Panuula et Irène Nawalu, la première victime, ont subi le même sort avec la même arme. Je tiens d’ailleurs à remercier le professeur Waitura ici présent pour le rapport détaillé qu’elle m’a remis, ajouta Mc Cleary en agrémentant le compliment d’un sourire franc du collier.

Mais Jack était un obsédé du crime.

— Bon Dieu. La même arme… (Son cerveau marchait à toute vitesse :) Prof, qu’en dites-vous ?

— La psychiatrie n’est pas une science exacte. Les psychanalystes vous diront même qu’il n’y a que des cas isolés. Procédons donc par élimination. Notre homme n’est certainement pas un paranoïaque : son angoisse trop sectorisée fait de lui un coincé. Jamais il n’aurait pu approcher sexuellement sa victime d’aussi près. Elles sont rarement dangereuses mais il pourrait s’agir encore d’un homme atteint de crises d’épilepsie aggravées. On parle vulgairement de réminiscence pour évoquer l’état de rêves dans lequel se trouve le malade lors de ses crises. On parle aussi de transport, d’états seconds capables, lors des crises, de mettre le malade dans des états incontrôlés. Cela est dû à une activité épileptique ou à une désinhibition du lobe frontal…

— Tout ce charabia n’évoque rien pour moi : faites comme si vous parliez à un crétin ordinaire.

Le professeur eut un sourire narquois qui mit l’espace d’une seconde ses belles dents carnassières en cinémascope.

— Je veux dire que les épileptiques connaissent parfois des états mentaux vagues et pourtant excessivement compliqués aux premiers assauts de la crise. Cet état mental, appelé aussi « aura intellectuelle », est toujours le même, ou essentiellement le même dans chaque cas.

— Vous voulez dire que lors de ses crises, le malade est sujet aux mêmes rêves ?

— C’est à peu près ça.

— Sauf que celui qui nous intéresse est morbide.

— Autrement je ne serais pas là, rectifia-t-elle. Le malade a subi un traumatisme. Il a pu se produire très jeune. Son inconscient l’a fortement enregistré mais son préconscient le refoule dès qu’il s’approche trop de sa conscience. L’inconscient est le pôle pulsionnel de la personnalité : il pourrait se révéler dangereux pour lui, et sa propre conscience, de réaliser l’effroyable contenu de son inconscient, celui-là meurtrier et sauvage.

— Une sorte de Docteur Jekyll et Mister Hyde ?

— Pour vulgariser la médecine, oui, en quelque sorte.

— Mais pourquoi notre meurtrier ne se doute-t-il de rien en dehors de ses crises ? Il doit bien y avoir des preuves, du sang sur ses vêtements par exemple, qui pourrait lui montrer les forfaits qu’il commet ? contra Fitzgerald avec une aversion naturelle envers les élucubrations.

Ann connaissait ce genre de personnage.

— Une forme de schizophrénie, avec élément déclencheur, ce qui expliquerait ses crises meurtrières. Le délire est morcelé, le coup éclate, une sorte de déclic si vous voulez, et il tue. Notre malade peut être sujet à des hallucinations, positives ou négatives : c’est-à-dire apparition ou disparition d’objets, choses, êtres… Carol, ou un des objets qu’elle portait sur elle peut avoir été un élément déclencheur. (Ann laissa passer le silence avant de poursuivre :) Mais à mon avis, je pencherais plutôt pour un psychotique, avec un univers interne particulier. Parce qu’il refoule instantanément toutes sortes de dangers venant de son inconscient, il nourrit son délire…

— Vous oubliez les mutilations infligées à ses victimes : il leur découpe le cul, madame ! rétorqua Jack en se faisant plus bourru qu’il n’était.

— D’accord, capitaine. Le cul. Mais il nourrit son délire pour se guérir. C’est une façon de soigner sa maladie. Vous savez, on est tous obsédés par quelque chose. Une petite chose qui peut nous paraître grande, si grande qu’on s’efforce de la refouler : par honte, pudeur ou douleur. L’homme peut aisément se persuader n’avoir jamais vécu tel ou tel événement. Et plus cet événement est important, plus il fera d’efforts pour le refouler. C’est le cas de notre homme. Seuls les imbéciles s’imaginent n’avoir rien à cacher. Et je pense que le tueur, tout monstre qu’il est, a un puissant code moral qui l’a poussé dans ses derniers retranchements. Si le traumatisme subi lui était apparu comme une chose bénigne, il tuerait aujourd’hui à l’aveuglette. Tendances schizophrènes. Or, il le fait à une date précise : décembre. Noël. L’enfance. Tout vient de là. En suivant cette idée, on peut supposer que notre homme a subi un traumatisme lors de son enfance, traumatisme qu’il refoule depuis. Jusqu’en décembre 96, année de sa première rechute. Imaginez les années de lutte pour refouler cet événement au plus profond de lui ! Sa rechute d’aujourd’hui est le signe qu’il n’arrive pas à oublier, que son traumatisme lui réapparaît presque consciemment. Bien sûr, il fait un effort terrible pour continuer à le refouler. Mais la deuxième rechute est la confirmation de cette impression. Et à mon avis, il va bientôt recommencer. Le tueur a désormais besoin d’alimenter son délire…

À ces mots, les deux hommes sentirent un froid spectral s’immiscer dans leurs chairs. Jack songeait à son bureau, aux centaines de photos accrochées aux murs, aux dossiers entassés sur les étagères… Mc Cleary, lui, observait les yeux bruns de la criminologue. Ils n’avaient pas cillé un seul instant. Elle enchaîna :

— Sa conscience le pousse à retrouver le chemin de son enfance. Il va bientôt se réveiller, et voir ainsi de quoi il est fait. Avec horreur. Il y aura alors deux solutions : ou il se suicidera, ou il supprimera tout ce qui bouge avant qu’on le tue à son tour.

— C’est ce que je veux empêcher.

— Je suis aussi là pour ça, renchérit Ann. (Une puissance tranquille émanait de ses pupilles :) Mais mon métier n’est pas de tuer des hommes. Si on le prend vivant, nous pourrons bien sûr le condamner mais aussi le soigner…

— Il mérite la corde, souffla Jack en songeant uniquement à Elisabeth — et pas du tout à ses idées propres.

— Cela servira à quoi ? À prévenir les fous alentour que la mort les guette ? Ils s’en moquent, capitaine ! Imaginez plutôt les enseignements que pourrait nous procurer cet homme ! En faisant son parcours à rebours, nous pourrions trouver la base du traumatisme, le processus de refoulement et celui de « réapparition ». Je ne suis pas la chercheuse d’une science exacte : depuis Freud, les hypothèses se succèdent, s’empilent. Si notre homme coopère, nous pouvons faire avancer la recherche, connaître ce type de maladie et ainsi prévenir ceux qui en sont sujets.

— Au prix d’une saine torture mentale, hein ! Nous n’avons pas la même vision de la justice. Moi, je pense aux deux gamines mortes sur la plage, à leurs familles et leurs amis.

— C’est aussi le discours d’Hickok ! se moqua-t-elle.

— Je me fous d’Hickok. Tout ce qui l’intéresse, c’est la com’, voire la mairie d’Auckland…

Mc Cleary comptait les points, assez amusé qu’une femme si jeune contrât le grand Fitz. Ann conclut :

— C’est un autre problème. Pour le moment, faisons avec ce que nous avons. Avant de traiter l’effet, évertuons-nous à trouver la cause de nos malheurs.

Waitura et Fitzgerald se regardaient en chiens de faïence.

Mc Cleary calma leurs ardeurs.

— Les mutilations ont une signification pour le tueur. Scalper le pubis d’une femme en est une : reste à trouver laquelle.

— Bon. À vue de nez, ce type a souffert durant son enfance, résuma le policier. Suivons la thèse de décembre comme un symbole. Les fêtes lui rappellent son enfance, et donc son traumatisme. Depuis, il en veut aux femmes. Mais il les aime, et les séduit. Encore une dualité qui ne va pas arranger nos affaires. Cependant, le fait que le tueur ne les pénètre pas sexuellement confirme l’hypothèse de l’impuissant chronique. Pour se venger de son incapacité, il scalpe le pubis des femmes ; c’est pour lui un trophée. Alors, prof ?