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Hickok s’étala sur son siège de cuir avec l’air satisfait d’un César condamnant les dix-neuf ans de Vercingétorix à la fosse aux lions.

— Une collaboration unie entre vous et moi. Vous sur le terrain, comme vous l’aimez. Moi, dans le bureau, assurant les rapports avec la presse que vous détestez tant.

— Ce n’est pas la presse que je déteste mais les hommes qui s’en servent à des fins racoleuses.

— Laissons de côté ce débat stérile. Je sais que vous ne m’aimez pas, Fitz. Personnellement, je n’irai pas jusqu’à vous détester. Seulement vous êtes le meilleur flic d’Auckland et je ne peux pas me passer de vous. Je sais aussi que vous ne me dites pas tout sur vos enquêtes et les bruits courent dans les couloirs des palais de justice. On vous a couvert une fois pour ce qu’on pourrait appeler une bavure policière, mais d’autres gens moins compréhensifs vous attendent au tournant.

— Franchement, je m’en fous.

C’était vrai.

Mais Hickok avait de l’expérience et le droit de son côté.

— Ne soyez pas idiot. On dit que vous réglez vos comptes de manière arbitraire. Et ce n’est pas les types que vous amochez sur les docks qui me contrediront… (Le vent tournait à l’orage.) On ne pourra pas passer notre temps à vous protéger, Fitz. Coopérez. Ne me cachez rien de cette affaire. Ainsi, je verrai de mon côté quelle est la meilleure façon d’envisager l’enquête et quoi laisser filtrer à la presse. Nous marchons sur des œufs dans cette histoire et nous avons tous les deux besoin d’une victoire. Qu’en pensez-vous, capitaine ?

Waitura avait raison : ils savaient tout. Jack écrabouilla l’allumette qui lui avait pourtant servi à allumer sa cigarette.

— Je ne vois pas ce que notre pseudo-union sacrée vient faire dans cette histoire ? À moins que vous n’envisagiez de mener une enquête parallèle d’après les informations que je vous fournirai…

— Prenez ça comme ça vous arrange, capitaine…

Le procureur du district laissa planer un doute, lourd comme un remords. Jack saisit le stratagème. Après tout, il s’en moquait. Tout ce qu’il voulait, c’était mener l’enquête à sa guise avant de se pulvériser comme bon lui semblait.

— Vous aurez mon rapport dans les vingt-quatre heures. Avant ça, j’ai besoin d’un mandat de perquisition chez Carol Panuula et sa colocataire, Katy Larsen.

Clignement de l’œil. Hickok dégagea un bras.

— Aucun problème. Vous pouvez compter dessus dès demain matin.

Jack quitta le bureau avec la désagréable impression qu’on lui faisait un petit dans le dos.

Ce type avait vraiment un sale caractère.

Deux étages plus bas, dans une pièce enfumée où ronronnait une escadre d’ordinateurs, un groupe de policiers travaillaient malgré le jour férié. Jack shoota dans les poubelles trop pleines et vint se planter devant un jeune homme aux cheveux châtain foncé.

Osborne était l’agent chargé de faire la liaison entre Fitzgerald et le reste du monde. Un bon flic. Pas aussi bon que son frère mais depuis que cette tête de mule l’avait laissé tomber, Jack avait pris le benjamin sous son aile. Doué, rapide, intelligent, organisé, les qualités d’Osborne feraient de lui un excellent sergent. Fitzgerald n’était pas pressé de le voir passer du côté des officiers : il avait besoin d’un type sérieux pour les vérifications ingrates inhérentes à ses enquêtes et Osborne faisait merveille depuis les deux années où il travaillait pour lui. Et puis, sa jeunesse lui faisait du bien.

— Bonjour, capitaine, fit le vieux gamin, une chemise bleu ciel entrouverte sur son torse imberbe.

— Salut. Alors ?

— J’ai vérifié les rentrées sur le compte en banque de Carol Panuula, dit Osborne. Depuis six mois, il a sérieusement gonflé. Regardez les rentrées : que du liquide ! fit-il en désignant du doigt une série de chiffres sur son ordinateur.

— Bon, ça confirme ce que je savais déjà : Carol faisait le tapin en dehors de l’usine. Et la série de billets de cent dollars ?

— Impossible de trouver leur provenance : aucun n’était marqué.

— Et la vérification des talons de chèques et des cartes bleues pour le paiement des entrées à la boîte de nuit ?

— J’ai une série de noms, mais aucune de ces personnes n’est fichée.

— Vérifie quand même, bougonna-t-il familièrement.

Jack commençait à douter que le meurtrier ait jamais pénétré au Sirène. C’était pourtant le seul moyen de finir la nuit sur la plage avec Carol… À moins qu’ils ne se soient donné rendez-vous après la disco, ce qui était peu probable : Carol comptait bien rentrer avec Pete…

— Et Lamotta ? coupa-t-il au milieu de ses propres supputations.

Les yeux bruns du jeune inspecteur gagnèrent en intensité.

— Son petit réseau de prostitution paraissait clean : pas de mouvements notables, aucun soupçon d’activités annexes, bref, le train-train jusqu’à il y a environ cinq mois. À partir de là, Lamotta a commencé à transférer ses fonds sur le compte d’une banque étrangère. Il a mis sa maison en vente et même son minable hôtel de passes. À mon avis, Lamotta s’apprêtait à quitter le pays.

Les choses commençaient à se mettre en place dans sa tête.

— Intéressant. Bon, et les jeunes types qui me sont tombés dessus ?

— Alors là, un vrai mystère ! s’esclaffa Osborne, les yeux pétillants de curiosité. J’ai passé leurs portraits-robots au crible, ils n’apparaissent nulle part.

— Bon Dieu ! Ça m’étonnerait que ces gars soient des petits saints ! pesta l’officier.

— J’irai au Corner Bar dès l’ouverture. Aujourd’hui, c’est fermé. Qui sait, peut-être en apprendrai-je plus auprès du patron ?

— Je l’ai déjà interrogé. Ce minable n’avait jamais vu ces gars. Vérifie les emplois du temps des types venus au Sirène la nuit du meurtre et tâche de me retrouver la bande de Maoris. N’oublie pas que l’un d’eux a un trou dans le pied et un autre une double luxation aux épaules…

À vos ordres, capitaine ! ponctua Osborne en mimant un salut non réglementaire (il savait que Jack détestait les saluts réglementaires).

— Et établis la liste des peintres de la région, amateurs ou professionnels ! lâcha-t-il en filant déjà parmi les allées du commissariat.

Osborne glissa la main dans ses cheveux courts. Cette affaire le passionnait. À vingt-deux ans, la mort est encore si abstraite…

Fitzgerald passa le reste de sa journée à secouer les puces des libérés sur parole, les exhibitionnistes chroniques, les obsédés de tout poil, ses indicateurs personnels et ceux des autres inspecteurs, sans résultat. Conclusion : le meurtrier n’appartenait pas aux réseaux des petits truands de banlieue, ni aux cracks de la dope.

Auckland est une ville tranquille malgré son million d’habitants : en échange d’une paix globale sur le territoire, on fermait les yeux sur les champs de cannabis exploités par des petits malfrats sans envergure — leurs meilleurs indicateurs. Le tueur n’était pas de ce genre.

L’affaire se compliquait : Carol travaillait le jour à l’abattoir, se prostituait un soir sur deux et le modèle pour un peintre mystérieux. Elle enregistrait ses coïts sur un dictaphone et croquait de l’homme dans l’espoir d’alpaguer un prince charmant, riche de préférence…

L’après-midi touchait à sa fin — rencontre terrible de l’immatériel. Avant de rentrer, Jack passa voir Kirsty. Son indicatrice préférée le renseignerait peut-être au sujet des Maoris qui l’avaient tabassé la veille.