— Tu as confiance en moi ?
— Oui, je crois.
— Sois-en sûre. Je ne te laisserai pas tomber, Eva. Jamais.
Un bref sentiment d’impuissance fléchissait à la lueur tourmentée de ses yeux. Comme il ne plaisantait plus, Eva fouilla dans ce regard perdu. Enfin, elle sourit : Eurêka ! Elle avait trouvé la formule magique : lui, c’était elle.
Le petit matin pointa son nez rose sur Eden Terrasse. Eva frissonna. Un vent violent venait de chasser son passé, le présent qu’elle imaginait vivre, et l’avenir qu’elle n’avait de toute façon jamais envisagé. Alors, elle murmura :
— Je t’aime.
Mais ça ne voulait rien dire. Sauf que cet amour si dérisoire serait leur baroud d’honneur.
Maintenant, c’était sûr. Ils avaient vécu séparés ; ils mourraient ensemble.
16
Les véhicules de police roulaient des gyrophares devant la maison de Katy Larsen. Trois agents en uniforme et une poignée d’inspecteurs en civil attendaient sur le perron l’arrivée du patron. Bashop comptait parmi ceux-là, une cigarette brune à la bouche.
Fitzgerald arriva enfin. Il se dirigea vers le sergent.
— On a retrouvé Katy Larsen ?
— Pas encore, capitaine, fit Bashop en écrasant sa cigarette sous ses semelles de crêpe.
— Qu’est-ce que vous foutez ?!
— Nous manquons d’effectifs, capitaine. C’est Noël… Faut pas en vouloir aux gars : ils sont débordés en ce moment, glapit-il derrière ses Ray Ban fumées.
D’un tour de reins, le Maori filait déjà vers la maison. Jack n’aimait pas Bashop (il le soupçonnait de servir de taupe au procureur du district) mais il avait son mandat de perquisition en main.
Katy restant introuvable, un serrurier commença à crocheter la porte d’entrée. Ann Waitura traversa alors à son tour le cordon de policiers.
— Bonjour, répondit-elle au regard sombre de son partenaire. Dites donc, vous avez un visage fatigué !
— Vous aussi, dit-il sans un regard.
— Qu’avez-vous encore fait cette nuit ?
— J’ai couru après un fantôme, rumina Jack.
— Et alors ?
— Il s’est envolé.
— Com…
Mais la porte de la maison venait de céder.
Les policiers entrèrent dans le hall. Salon en désordre, cendriers pleins, vêtements et papiers épars sur une caisse retournée, des pots de yaourt vides… Rapide inspection des lieux : dans la chambre de Katy, des affaires jetées sur le sol, un lit défait. Les marques d’un départ précipité. Or, Katy était soigneuse et se plaignait à l’occasion du manque de propreté de Carol.
— Fouille en règle, annonça-t-il aux policiers présents. Passez-moi cette baraque au peigne fin.
— Qu’est-ce qu’on cherche ? demanda un sous-fifre.
— Un dictaphone ou des bandes audio de même standard.
Les hommes se mirent au travail, un détecteur de métaux dans les mains qu’ils commencèrent à passer contre les lattes du plancher. Jack fonça dans la chambre de Carol et la mit à sac. Les tiroirs volèrent, le matelas fut découpé en morceaux, les lampes s’écrasèrent sur le sol tandis qu’il martyrisait la moquette. Un impressionnant attirail de maquillage vola dans l’air. Fitzgerald se vengeait sur le matériel.
Ann le regardait faire, un frémissement dans le dos. Pour la première fois depuis leur rencontre, elle comprenait que ce type était à moitié fou. Jack cessa le carnage lorsqu’il sentit la présence de sa partenaire dans l’embrasure de la porte. Un instant de confusion, trois fois rien.
— Rien dans cette chambre. Carol avait certainement les bandes sur elle…
Ann prit sur elle.
— J’ai interrogé des amis de Pete hier soir : il n’avait pas de voiture. Puisque le véhicule de Carol est toujours devant la maison, comment se sont-ils enfuis ?
Jack observa les clés qui trônaient encore sur la table de nuit. Soudain, son visage se déforma, comme dégoûté par lui-même.
— Putain, quel con !
Et il traversa la pièce, prenant soin de ne prendre soin à rien.
Après avoir bousculé Ann lors de son furtif passage dans le couloir, le métis se retrouva sur le perron, hors d’haleine. La tête lui tournait. Il tituba un instant, prétexta un excès de chaleur quand un gars en uniforme vint s’inquiéter de lui, le repoussa d’une manchette agacée et se dirigea vers la Ford en stationnement contre le trottoir. Il enfonça les clés dans la serrure : aucune ne correspondait. Alors, Jack sortit un autre trousseau, celui retrouvé dans le sac de Carol après le meurtre. Ces clés-là fonctionnaient.
Il fila jusqu’à sa voiture. Les fouilles dans la maison ne serviraient à rien.
Ann eut à peine le temps de grimper sur le siège du passager : Jack écrasa l’accélérateur de la Toyota. Les rues de Takapuna défilèrent très vite dans l’angle mort de ses yeux : il fixait la route comme si le temps imparti lui était compté.
— Pourquoi ces excès de vitesse ? Vous croyez peut-être me séduire, capitaine ? lança Ann pour détendre l’atmosphère.
— Arrêtez vos conneries. Les bandes sont dans la voiture de Carol. Pas dans celle de Katy. J’aurais dû y penser avant.
Ann ne comprenait plus.
— Mais pourquoi ?
Un appel radio coupa : « Capitaine ? On a retrouvé un cadavre dans la soufrière de Rotorua. »
Il se tourna vers Waitura et répondit alors à sa question :
— Pour ça…
Ça fit son petit effet. La jeune femme s’enfonça dans son siège.
— Des noms ? demanda-t-il à la boîte noire qui lui envoyait des ondes parasitées.
— Le corps est abîmé. Pour le moment, aucune piste.
— Il s’agit d’un homme ou d’une femme ?
— Un homme, répondit la machine.
— Appelez le coroner Mc Cleary et dites-lui de se rendre immédiatement à Rotorua, dit-il en retour. Affectez un hélico et envoyez une équipe de spécialistes là-bas. J’arrive. Tout ça à fond, et terminé.
Il raccrocha l’émetteur. L’enquête rebondissait. Et le propre des ricochets est de finir noyé.
La Toyota tressautait sur la nationale défoncée qui relie Auckland au reste de l’île du Nord. Seul intermède à ce voyage stressant, un appel à Osborne, chargé d’organiser l’enquête en son absence. Perdue dans ses pensées, Ann Waitura parcourait sans les voir les monts où jadis les tribus maories célébraient leurs dieux.
Aujourd’hui, on avait gardé les noms et respecté les cimetières où les grands chefs étaient encore enterrés : ces collines ne sont pas cultivables…
Rotorua était une ville paisible, avec ses maisons rangées sur le bas-côté, ses couleurs mélangées d’une façon très britannique, et surtout cette effroyable puanteur qui prend au nez, émanations de la soufrière, à deux kilomètres de là.
Ils atteignirent le domaine préservé des marécages du parc de Rotorua. Jaune, vert, rouge, ocre, les trous béants recrachaient des arcs-en-ciel boueux qui se répandaient dans les ruisseaux alentour. Spectacle étonnant, donc touristique.
Les portières expédiées contre l’amas de taule, Ann et Jack passèrent l’entrée du parc, exceptionnellement fermé. Puis, ils se dirigèrent vers les cabanons. Là, des policiers en uniforme discutaient en attendant les ordres des huiles d’Auckland.