Выбрать главу

Le sergent pénétra dans le salon et glissa quelques mots à l’oreille d’un agent de police. L’homme en uniforme opina du chef avant de filer aux étages. Enfin, Bashop s’approcha du canapé. Eva frémissait dans le peignoir blanc qu’elle tenait près du corps. Un infirmier lui tendit un cachet qu’elle avala sans demander de quoi il s’agissait. Elle regarda le sergent d’un œil torve tandis qu’il se présentait. Eva semblait réellement bouleversée. Les policiers bourdonnaient dans la pièce. Certains relevaient les empreintes, d’autres prenaient des photos.

Bashop ne put s’empêcher de reluquer le décolleté généreusement je-m’en-foutiste de la femme.

— Bonjour, madame. Je suis le sergent Bashop…

Eva leva la tête de son café et évalua le policier d’un regard incendiaire.

— Edwyn White était votre mari ?

— Non, c’était mon chien de traîneau.

O.K. Méthodiquement, Bashop posa les questions d’usage à la veuve flambant neuve. Eva y répondit du mieux possible, les pommettes luisantes de larmes tièdes. C’en devenait touchant, à force de mensonge.

L’interrogatoire ne dura qu’un quart d’heure. John avait prévu les réponses pour Eva, et Eva la vie avec John.

Tout se déroulait selon leur plan jusqu’à :

— Vous savez comment votre mari s’est blessé à la main ?

Les traits grossiers du sergent s’étaient affinés. Eva resta bouche bée devant sa face sournoise. La panique gagnait du terrain. John ne l’avait pas préparée à ça. Ses lèvres s’agitèrent mais elles ne savaient plus que balbutier. Un agent apparut dans le salon de luxe.

— Sergent, on a trouvé quelque chose dans la poubelle de la salle de bains…

Le cœur d’Eva battait à tout rompre. Bashop la pria de s’excuser et rejoignit le policier : dans un sachet de plastique, une lame de rasoir ensanglantée montrait sa gueule coupante.

Le sergent grimpa aux étages et transporta sa bedaine naissante jusqu’à la chambre. Les draps étaient aussi défaits que la mine de la propriétaire. Bashop renifla trois fois : une forte odeur de whisky persistait.

*

— Que pensez-vous de cette affaire ? demanda Hickok, bien calé entre les accoudoirs de son fauteuil amovible.

Bashop fit la moue. Évidemment, Edwyn White n’était pas n’importe qui. Mais déjà plusieurs détails le chiffonnaient.

Le procureur du district était un homme de flair ; il connaissait les White et le milieu dans lequel ils évoluaient. Le couple avait d’ailleurs participé au réveillon organisé chez lui l’avant-veille. Hickok avait des prétentions et il était toujours mauvais de voir un de ses invités en première page du New Zealand Herald. Cet accident sentait le coup fourré. L’instinct du procureur le trompait rarement. Après tout, il était policier avant d’être homme de loi.

Edwyn n’avait pas succombé à une overdose. Bien sûr, le jeune homme avait des mœurs curieuses : son homosexualité était un secret de Polichinelle et son mariage avec Eva O’Neil un pittoresque alibi. Mais, s’il se droguait à l’occasion, Edwyn n’était pas un idiot. Il tenait à sa situation, à son niveau de vie et à son indépendance. Jamais il ne se serait injecté une dose intraveineuse aussi vertigineuse : car d’après les dires de sa femme, Edwyn, se sentant mal, aurait pris l’air sur le balcon. Fatiguée, elle l’aurait laissé seul. Puis, inquiète par son absence prolongée, elle aurait quitté ses draps pour finalement retrouver son mari mort, deux étages plus bas.

Au-delà de la véracité de cette déclaration, cette histoire sentait le soufre : les journalistes d’opposition allaient mettre le nez dans cette affaire et ils feraient vite le rapprochement avec lui. Même s’il n’était pas impliqué dans la mort d’Edwyn White, le nom d’Hickok serait mêlé à l’enquête. Et, plus qu’ailleurs, la culture britannique et ses tabloïds se nourrissent des vagues d’une vie publique. Mieux valait montrer patte blanche, quitte à laver son linge sale en famille. Pour toutes ces raisons — et d’autres — il fallait un homme de confiance au procureur du district : Bashop était celui-là.

— D’après les premiers indices, dit-il, Edwyn White serait tombé sur la tête depuis le balcon du deuxième étage. Il y a une trace de piqûre sur son bras gauche. Or, White était gaucher. Secundo : la paume de sa main était entaillée. Une blessure récente, assez profonde. Il portait d’ailleurs un pansement. Sa femme assure n’être au courant de rien. De notre côté, on a retrouvé ça dans la poubelle de la salle de bains… Bashop sortit de la poche de sa veste beige un sachet de plastique au travers duquel luisait une lame de rasoir. Hickok approcha son visage soigné de l’objet incongru. Le sergent poursuivit son petit exposé :

— Je l’emmène au labo. Il y a fort à parier que le sang de cette lame provient de la main d’Edwyn White. Curieuse façon de se blesser, vous en conviendrez avec moi…

— En effet… rumina Hickok. Vous ne croyez pas au suicide, bien entendu ?

— Non.

Bashop était catégorique. Pas un super flic, mais pas un imbécile non plus.

— Un accident ?

— Difficile à déterminer.

— Meurtre ?

— Même chose. Sa femme est une rusée. Toutefois, je ne crois pas qu’elle ait commis le meurtre.

— Pourquoi ? s’étonna Hickok, visiblement nerveux.

— Passer un corps de soixante-quinze kilos par-dessus un balcon d’un mètre vingt n’est pas chose aisée pour une femme. Et quand bien même elle y serait parvenue, il reste trop de points obscurs. Elle semblait… comme dépassée par les événements, incapable de répondre clairement à des questions toutes simples comme la provenance de la blessure de son mari. Un tueur aurait prévu des réponses concrètes à des questions si évidentes…

Il y eut beaucoup plus qu’un silence dans le temps qui passa entre les deux hommes.

— Vous pensez qu’une tierce personne serait dans le coup ?

— S’il y a meurtre, oui. Sans hésitation.

Hickok frotta son menton rasé de près. Une idée venait de germer. Oui : c’est ainsi qu’il faudrait procéder…

21

Le coup de fil d’Osborne réveilla Fitzgerald avant l’aube. Il avait veillé jusqu’à trois heures du matin dans la chambre d’hôtel pour taper son rapport : Carol, les gosses qui l’avaient tabassé, Lamotta, Pete, les mutilations, Jack avait pris des risques inconsidérés, comme si cette enquête allait déterminer le reste de sa foutue vie. Il tenta le coup. Au pire, c’était un cocktail Molotov jeté à la mer…

Toujours calme, Osborne signala à son supérieur la disparition de Kirsty. Personne ne l’avait vue depuis la veille, son téléphone ne répondait pas et elle n’était pas venue travailler. L’événement ne s’était pas produit depuis une trentaine d’années. Il s’était donc rendu chez elle.

— Kirsty n’était pas là mais la porte de sa maison était ouverte, dit-il. J’en ai donc profité pour y jeter un œil. Je ne sais pas où elle est passée mais la fenêtre de la salle de bains a été forcée. J’ai aussi relevé des traces de terre sur une serviette, comme si l’intrus était passé par le jardin et qu’il avait grossièrement essuyé les traces de son passage. Celui qui a fait ça n’est en tout cas pas très discret puisque le parterre de fleurs sous la fenêtre a été piétiné ; le terreau était encore humide après l’orage d’hier. J’ai trouvé une trace de pas, du moins celle d’un talon. À vue de nez, je pencherais pour des grosses chaussures, type Rangers. J’ai aussi comparé l’empreinte avec la mienne, parfaitement ridicule : conclusion, le type qui a piétiné les fleurs de ta copine Kirsty chausse au moins du 50.