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— Lamotta m’a parlé de deux gars qui l’avaient agressé : un petit trapu et un géant…

— Peut-être le même homme. Vous voulez que j’aille faire un tour sur les docks ?

— Non… Non, je m’en charge. On est là dans deux ou trois heures…

Fitzgerald raccrocha, anxieux. Kirsty n’était pas une amie — il ne connaissait que Mc Cleary — mais il éprouvait pour elle une certaine affection. Sa disparition venait comme une lettre de rupture.

Ann dormait paisiblement dans la chambre d’à côté. Il la réveilla par téléphone. Mc Cleary resterait à Rotorua pour finir l’autopsie de Pete — un parent était venu reconnaître le macchabée et cette histoire de fémur le tarabustait…

La criminologue fut prête en même temps que Jack, ce qui représentait une belle performance pour une femme aussi soignée. Jupe à mi-cuisse, cheveux attachés, deux mèches plus blondes en liberté, l’œil souligné d’un trait de crayon, Ann était presque jolie. Sans un mot superflu, ils passèrent prendre Wilson. Pas mécontent de quitter Rotorua et son atmosphère pleine de soufre, le policier attendait déjà sur le perron de sa bicoque, une cigarette entre les dents, trente-deux carnassières, et un sac de voyage à l’épaule.

— Bonjour.

— Bonjour.

Ils prirent la route d’Auckland.

Comme personne n’avait eu le temps de prendre un café, les discussions se résumèrent à un silence comateux. Ann Waitura sombra dans un second sommeil, bouche entrouverte contre la portière de la Toyota (un bon moment). Jack conduisait vite. Seul Wilson semblait en pleine forme. Ce type lui avait tout de suite plu : simple, direct, ambitieux, froid comme tout. À l’arrière de la voiture, le jeune flic sirotait un pack de jus d’orange, jetant çà et là un regard amusé sur la criminologue dont la tête endormie cognait contre la portière.

Ann se réveilla à mi-chemin, les yeux dans le vague du pare-brise enfumé.

— Que pensez-vous de cette disparition, Jack ? finit-elle par demander, la bouche pâteuse.

— Kirsty ? C’est une de mes meilleures informatrices. Pas une sainte mais on pouvait lui faire confiance…

— Vous en parlez au passé ? Vous croyez qu’on l’a tuée ?

— Oui.

Il avait répondu sans hésiter. Étrange : on sentait de la sympathie dans le son de sa voix quand il parlait d’elle mais la certitude de sa mort ne semblait pas l’affecter outre mesure. De quoi était donc cet homme ?

— Je ne sais pas où cette affaire va nous mener, reprit-il, mais j’ai l’impression qu’il n’y a pas un tueur mais plusieurs. Quelqu’un a intérêt à ce qu’on en sache le moins possible sur les « extra » de Carol et sur le milieu de la prostitution en général…

Jack alluma une nouvelle cigarette. Auckland était encore loin et les camions lui bouchaient la vue. Il se demanda quand le gouvernement se déciderait à prolonger l’autoroute. Ils échangèrent leurs points de vue sur ces affaires sans trouver le lien. Pour le moment, ils avançaient en aveugle.

À l’arrière de la Toyota, Wilson n’en perdait pas une miette.

Ils arrivèrent à Auckland en fin de matinée. Le ciel était lourd, eux fatigués par la route. Ils déposèrent Wilson au commissariat central où l’attendait Osborne ; entre jeunes gens intelligents, le courant passerait. Et puis Osborne avait besoin d’aide pour le boulot ingrat qu’il lui demandait.

Fitzgerald conduisait à toute vitesse sur Karangahape Road. Ann se taisait. Derrière le pare-brise, Quay Street et le quartier des prostitués se profilaient. Ici beaucoup de Maoris, la plupart paumés, mais aussi des blancs-becs au look grunge, des filles sans joie et une impression de rouge à lèvres sur un tas de bites. Le policier fit le tour de ses indicateurs. Il tenait à voir les délateurs en chair et en os. Au téléphone, on pouvait encore lui mentir, pas en face.

De fait, tous étaient au courant de la disparition de Kirsty mais personne n’inventa son destin. La nouvelle de sa disparition était un peu surréaliste. Qui pouvait en vouloir à cette vieille fille inoffensive ? Kirsty méritait peut-être une fessée (pour avoir trop donné et pas assez reçu en échange), mais guère plus. On ne comprenait pas.

Comme le policier n’avait rien à se mettre sous les crocs, il invita Ann à déjeuner. Ils étaient debout depuis six heures et la matinée avait été longue à devenir midi.

Ils dévorèrent un poulet chinois dans une des boutiques souterraines de Vulcan Street ; ça ne coûtait rien, il faisait frais et l’endroit était tranquille. Finalement, ils s’entendaient plutôt bien pour un flic quadragénaire infecté de l’intérieur et une gamine assez douée pour occulter sa vie privée.

L’appel d’Osborne à la radio de la voiture les dispensa de café.

— Capitaine, j’ai peut-être du nouveau. D’abord merci pour le petit cadeau ! (Il parlait de Wilson.) On est en ce moment au Corner Bar, le bar où Lamotta et les jeunes gus vous sont tombés dessus. J’ai travaillé un peu le patron. Vous aviez raison : manifestement, il ne connaît pas les délinquants qui vous ont agressé. Par contre il a vu Kirsty avant-hier soir dans son bouge. Je ne sais pas si c’est une piste valable mais elle portait des produits thaïlandais dans son sac. Il y a une échoppe dans Quay Street. Je pensais que vous aimeriez y faire un tour…

— Bonne déduction.

À peine Jack avait-il raccroché l’émetteur que la Toyota dérapait déjà sur les gravillons des docks.

Cinq minutes plus tard, ils se tenaient dans une échoppe de produits thaïlandais un peu miteuse, au milieu de laquelle trônait Mizo, un petit homme de type asiatique à la moustache clairsemée.

— Bonjour, monsieur Fitz ! fit-il sans ciller. Qu’est-ce qui vous amène dans ma demeure ?

— Arrête tes conneries, tu veux.

D’une seule main, Jack le souleva de terre. Ann fut absolument subjuguée par la force de son partenaire.

— Mais, capitaine…

Jack lui cogna la tête contre le mur avant de l’envoyer valser à travers les étalages. Le petit homme s’écrasa au milieu des conserves de soja et disparut dans un fracas de comptoir renversé. Quand il se releva, le Maori avait déjà pulvérisé le large frigo qui tenait les produits laitiers à l’écart des bactéries. Le bras pressé de frapper, il brandit un tuyau arraché au passage.

— Tu me racontes tout ce que tu sais avant que je ne réduise en miettes ta boutique, compris ?

— Je… Je ne sais pas grand-chose, je vous le jure ! implora-t-il en forçant sur son accent.

— Dépêche-toi avant que je ne fasse une crise de nerfs.

Fitzgerald souleva le malheureux par le col de sa chemise et le plaqua violemment contre un pilier. Mizo allait parler. Ann le remarqua à ses traits soudain détendus :

— J’ai vu Kirsty hier, il balbutia. Elle… elle est venue acheter mes produits mais elle avait l’air bizarre. Comme si elle avait peur que quelqu’un ne la suive. Comme j’étais intrigué, j’ai passé un œil par la vitrine. Là, j’ai cru apercevoir un homme dans la rue…

— Quel genre de type ?

— Un grand ! il glapit.

Jack dévoila ses canines.

— Qui était ce type ? Tu l’avais déjà vu avant ?

— Je sais pas qui c’est, je vous jure, capitaine, je sais juste qu’il traîne dans le coin depuis quelque temps. À vrai dire, il fout une trouille bleue à tout le monde mais personne n’en parle. Surtout depuis la mort de Lamotta. Et puis, il faut voir son visage : atroce !