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Les pancartes devinrent plus rares. En filant vers le nord, la population s’étiolait. Une succession de champs incultes défila sous leurs yeux.

— Que savez-vous des gamines ? demanda-t-il en expédiant la fumée de sa cigarette par la vitre.

— Pas grand-chose. Irène, la première victime, travaillait dans un petit magasin de fleurs. D’après les témoignages recueillis, Irène était ce qu’on appelle une pauvre fille qui réussissait à vendre des fleurs sans se tromper en rendant la monnaie. Sa patronne, une veuve âgée, la prenait plus par bon cœur que par nécessité. Irène était aussi connue pour être une fille facile avec les garçons. Une piste qui n’a jamais abouti. On a épluché l’alibi de ses petits amis mais aucun d’eux n’avait le profil d’un tueur. En fait, Irène sortait beaucoup mais couchait peu.

— Une allumeuse ?

— Plutôt une fille naïve, romantique, un peu idiote, mais pas une traînée. Son cadavre a été retrouvé environ cinq jours après sa mort, on n’a jamais pu déterminer si le meurtrier avait abusé sexuellement d’elle ou non…

— Les choses sont différentes en ce qui concerne Carol Panuula : elle a été tuée la nuit dernière.

De la dernière victime, ils ne connaissaient que le nom — on avait trouvé ses papiers sur elle — et le job qu’elle exerçait — employée à l’abattoir du coin…

Ils n’échangèrent plus le moindre mot : Devonport se profilait derrière le pare-brise moucheté d’immondices.

Au large, l’été infusait dans le Pacifique.

Devonport était une petite ville où les retraités mollissaient dans les cafés italiens durant la saison estivale. De l’autre côté de la baie, les docks d’Auckland se profilaient. Cinq mille personnes vivaient dans cette paisible station balnéaire, avec son port de pêche entouré d’arbres et de collines. Une grande rue divisait la ville touristique, flanquée de drugstores, boutiques dernier cri et autres fish’n’chips où le poisson se mange frais dans du papier gras. Quelques exilés du Tonga ou des îles Fidji regardaient passer l’ennui, assis sur le trottoir. Çà et là vaquaient des gamins en rollers, une ou deux filles à la mode et, pour la plupart, des gens coincés entre deux cultures si différentes — anglaise et polynésienne — qu’ils ne savaient toujours pas vers laquelle incliner.

Bref, on y vivait au ralenti depuis un siècle jusqu’à ce matin de décembre. La nouvelle de « la fille morte » relayée par les médias avait déjà fait le tour du comté, propageant une fièvre malsaine.

Fitzgerald traversa le hall de l’institut médico-légal. Dans son dos, les regards convergeaient sur les formes d’Ann Waitura. Après avoir montré sa carte d’un revers de la main, il fila directement au sous-sol. Ils entrèrent sans frapper dans la chambre mortuaire et découvrirent aussitôt le cadavre étendu sur le lit d’acier : Carol Panuula leur souriait. Son visage était livide, comme vidé de son sens commun.

Ann Waitura eut un brusque haut-le-cœur en voyant son sexe, torsion intestinale qu’elle réprima. Jack se contenta de respirer très fort pour remplir ses poumons au plus vite ; une violente odeur de mort flottait dans l’air.

Mc Cleary était encore penché sur la victime quand Fitzgerald fit les présentations. Remarquant enfin la présence de l’experte, le coroner arrêta la course de son scalpel.

— Dis donc, Jack, c’est pas souvent que tu sors accompagné !

Mc Cleary haussa les sourcils et sourit à la criminologue.

— Prof, je vous présente Mc Cleary, le meilleur médecin légiste du pays.

Sans gêne, le coroner admira les seins avenants de la jeune femme sous le tissu du tailleur.

— Enchantée, fit-elle en comprimant sa poitrine, trop forte à son goût.

— Rassurez-vous, je suis marié, sourit Mc Cleary dans une franche poignée de main. Mais ça n’empêche pas d’apprécier les jolies choses…

Engoncé dans une blouse blanche qui laissait peu de place à son corps d’athlète, Mc Cleary allait vers une quarantaine tranquille. C’était un de ces bons bébés élevés au lait de ferme et aux grands bols de céréales, les cheveux épais parsemés de gris, une grosse moustache qu’on qualifie de sympathique, moustache dont les longs poils se mêlaient à ceux des narines. Il aimait les enfants, surtout les siens, son métier, les sports violents, son vieux pote Jack et l’aspect pacifiste de son pays. Et par-dessus tout Mc Cleary aimait les femmes.

— Si nous passions à ce qui nous intéresse, proposa-t-elle.

— Si vous êtes capable d’entendre ce que je vais vous raconter…

Nue, Carol paraissait incroyablement jeune. La petite rigole qui entourait son lit de mort était déjà remplie de sang. La Polynésienne reposait, les membres et les seins flasques, un étrange sourire figé sur son visage sans beauté. Mises à sac, plusieurs parties du corps étaient proprement repoussantes.

— J’ai presque terminé d’examiner le corps, commenta Mc Cleary. Le meurtre se situe vers quatre heures du matin. Carol Panuula n’a pas été violée. Aucune trace de sperme dans le vagin, ni sur le reste du corps. En revanche le pubis a été découpé, et une partie des lèvres. On n’a pas retrouvé le scalp. Le clitoris a été également sectionné. Quant à l’arme, elle était tranchante : couteau, rasoir… J’ai envoyé les résidus d’acier au labo. Nous en saurons plus long après l’analyse. En revanche, l’utérus, les trompes et les cloisons vaginales n’ont pas été touchés…

Ann Waitura avait les yeux rivés sur le sexe mutilé de Carol et ne pouvait plus s’en détacher.

— Comment la fille a-t-elle été tuée ? demanda Jack.

— Étranglée.

Le policier perdit pied un court instant. Étranglement… Il réprima une grosse nausée d’adrénaline.

— Elisabeth.

— Difficile de savoir si le tueur a commis ces atrocités avant ou après le meurtre, poursuivit Mc Cleary, mais il y a de fortes chances qu’il l’ait tuée d’abord : je n’ai relevé ni griffures, ni contusions, ni traces de peau sous les ongles de la victime. Je suis navré mais vous allez être déçus : pas de cheveux, pas d’empreintes, pas de sang, pas de poils, jusqu’à présent je n’ai rien trouvé.

— Et les traces de strangulation ? renchérit Fitzgerald, soudain pâle.

— Les marques d’un homme, assura le coroner. D’abord, je doute qu’une femme puisse étrangler une fille aussi robuste que Carol, et l’emplacement des doigts sur le cou est trop espacé pour qu’il puisse être l’œuvre d’une femme…

— Élabore un petit scénario, proposa Jack.

Mc Cleary fit la moue :

— Eh bien, d’après moi, Carol connaissait le meurtrier. Vu l’heure, je suppose qu’ils sont sortis ensemble. Après quoi ils se sont baladés en bord de mer. Là, le tueur l’a étranglée avant de lui infliger son petit rituel. Vous vous souvenez du meurtre d’Irène Nawalu ?

— Oui. Même crime, mêmes circonstances. Je ne m’occupais pas de cette affaire à l’époque mais le professeur Waitura est une spécialiste…

Ann décrocha enfin ses yeux de la morte. Une teinte rose colora ses joues : elle revenait à la vie.

— Oui… Oui…

Jack n’insista pas.

— Que portait la victime ?

— Un petit ensemble assez sexy, répondit Mc Cleary en reluquant ses jambes. À part ça, elle avait un sac à main. Le meurtrier n’a touché ni à l’argent, ni aux papiers. Tout est consigné dans le rapport…

— Je l’ai lu. Autre chose ?