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Helen était nue. Son corps avait été déplacé pour la mutilation ; plus loin dans le couloir, on apercevait sa chemise de nuit en lambeaux. Sa langue sortait encore de sa bouche comme un petit serpent rose. Sur le cou meurtri, des marques de doigts très nettes. Étranglée, comme les autres. Mutilée comme les autres.

Ne pensant à rien, absolument à rien, Jack inspecta le sexe de son amie. La blessure était semblable à celle infligée à Carol : pubis sectionné depuis le sommet, puis descente rectiligne jusqu’au clitoris, amputant une partie des lèvres. Le vagin semblait intact mais avec tout ce sang… Mc Cleary saurait lui dire avec certitude… Il continua d’examiner le corps et remarqua qu’un ongle de doigt de pied était ébréché. Helen s’était probablement enfuie devant le tueur, nu-pieds, et avait buté contre un objet dur, lui donnant l’occasion de fondre sur elle.

Il posa ses mains sur le cou : ses doigts concordaient presque avec la poigne du meurtrier. Celui-ci était cependant un peu plus petit que lui. Sans bouger le corps, il inspecta ses ongles : pas de traces de peau, pas de tissu visible à l’œil. Il nota chaque détail. Puis il se mit à quatre pattes et commença à arpenter la moquette du salon, frénétique.

Mais il ne trouva rien.

Rien.

Alors il se releva, abasourdi.

Le reste n’était plus que l’affaire de Mc Cleary.

Son travail terminé, Jack posa alors son premier regard sur Helen. Il observa son visage bleui, pensa au vide, à la suffocation, à cet appel qu’il n’avait pas entendu. Helen était belle et laide, noble et défigurée, les yeux révulsés derrière les paupières mi-closes. De son sexe mutilé, un léger filet de sang continuait de s’épancher sur le tapis. Alors Fitzgerald plongea dans ses pupilles vides afin de sentir la mort qui l’avait rencontrée ; la terreur étincelait encore, à cheval sur une larme refroidie. Elle qui ne savait qu’aimer…

Il murmura :

— Je le tuerai… je les tuerai tous. Je te le jure.

Une vague larme coula sur sa joue. De la haine pure, donc liquide.

*

La maison d’Helen Mains était maintenant le centre d’activité de la ville. Les curieux faisaient place aux journalistes. Fitzgerald accompagna le cadavre jusqu’à la rue. Même Sweety, le chat, s’était faufilé dans ses pattes. L’homme le chassa, agacé. Il regardait la petite foule de la rue comme s’il y cherchait son pire ennemi, il cherchait parmi tous ces loups et n’y trouvait que des chiens, une bouffée de rage qui le submergeait.

L’ambulance ouvrit ses portes sur le brancard, emportant d’un coup de sac plastique le corps mutilé de sa maîtresse. Aucun sentiment sur son visage.

À ses côtés, sortie d’un bref sommeil, Ann Waitura avait le profil bas des grands compatissants. Elle ne savait pas qui était Helen — Jack s’était contenté de répondre par un grognement dissuasif — mais cela lui suffisait. N’osant rien par pudeur, la criminologue restait près de lui, comme une ombre sur laquelle il pourrait s’adosser de temps en temps, s’il le souhaitait.

Mc Cleary arriva enfin, les cheveux ébouriffés et la mine grave. La main qu’il posa sur son épaule sentait la fraternité des hommes mais son ami s’en fichait complètement : les portes de l’ambulance se fermaient. Les agents en uniforme repoussèrent les badauds pour laisser passer l’ambulance en partance vers la morgue. Jack suivit le véhicule des yeux. Discrète mais à ses côtés, Ann Waitura attendait. D’un signe de tête, il l’invita à le suivre jusqu’à la Toyota. Un seul mot pour Mc Cleary :

— Prends bien soin d’elle.

Les lèvres du médecin légiste se contractèrent sous ses moustaches. Helen lui était chère. Il songea aux moments passés ensemble, à eux et leur drôle de relation : Jack ne la présentait jamais comme sa maîtresse, plutôt comme une vieille amie, mais ils étaient complices, Mc Cleary en était sûr. Helen était une femme simple, attentive, solidaire. Férue de mythologie grecque, incollable sur les histoires de labyrinthe et de cuisse de Zeus, lui et Jack aimaient sa culture agréable, sa voix douce et passionnée…

Mc Cleary était malheureux. Son vieux copain souffrait pour elle. Ça lui donnait envie de pleurer. Oui, il prendrait bien soin d’elle : c’est l’ami et non le coroner qui lui donna sa parole. En silence.

Jack dépassa les badauds imprudents. Ann Waitura était son ombre froide.

*

Parnell. Le bistrot était presque désert. Ann avait un dossier sur les genoux et trois heures de sommeil dans ses yeux, sincères et désolés. Fitzgerald ne s’était pas détendu d’un centimètre mais écoutait les propos de sa jeune partenaire, toujours concentrée sur l’affaire. Selon elle, Gallager, le psychiatre qui a rencontré Malcom Kirk en 96, était mort de façon suspecte ; son accident de la circulation pouvait très bien être un meurtre déguisé. Kirk ne figurait nulle part, à tel point que son apparition dans les fichiers de la police revêtait du hasard, ou pire, d’un oubli : toutes les autres preuves de son passage sur terre avaient été effacées. Même son dossier de l’orphelinat avait disparu. Il ne restait qu’une brève note en bas d’une liste d’adolescents jugés inaptes à partir en vacances dans les villages sociaux prévus pour eux, note griffonnée par un psychiatre en mission bénévole aujourd’hui disparu.

Il fallait creuser le sujet. Ann ne demandait que ça.

— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? dit-elle.

— On va faire un tour du côté de South Auckland.

Le Maori eut un rictus déplaisant. Waitura resta de marbre : elle ne connaissait pas South Auckland.

Au volant de la Toyota, ils arpentaient la banlieue la plus mal famée du pays. Dans la bouche, comme un avant-goût d’ultra-violence. Ici, les gangs rivalisent avec la police, laquelle n’intervient qu’épisodiquement dans ces quartiers pauvres laissés en charge aux délinquants de tous acabits. C’est devant un des magasins miteux que Jona Lomu avait vu périr son oncle, massacré à coups de machette. Mais si le célèbre All Blacks avait réussi à s’en sortir, il était bien esseulé parmi les jeunes autochtones. Avec la crise, le néolibéralisme et l’argent sale, les bandes s’étaient organisées. L’autorité de la police avait reculé. Il régnait désormais un univers de violence à peine contrôlée par ceux qui la généraient. Les Maoris, souvent sans travail, ruminaient les rancœurs colportées par leurs ancêtres depuis que le Royaume-Uni avait volé leurs terres d’origine. Malgré les accords passés au siècle dernier, les avantages donnés aux premiers natifs et les récentes restitutions de la reine d’Angleterre, les jeunes avaient la sensation d’être nés en marge et que tout était fait pour qu’ils y restent.

D’origine maorie, Fitzgerald avait son point de vue sur le sujet. Mais aujourd’hui, il y avait les bons (et il s’en fichait) et ceux qui, symboliquement, étaient responsables de la disparition de sa famille, d’Helen… Tous étaient coupables. Leur couleur était bien le dernier de ses soucis.

Le bitume fumait du goudron sous le soleil. Le métis connaissait mal le quartier. Ann pas du tout.

Après un parcours fléché de doigts vecteurs, ils arrivèrent chez un tatoueur réputé, lequel les envoya chez un confrère, le plus ancien de South Auckland : les tatouages de Tuiagamala avaient été dessinés par un Maori sans âge, aux gestes lents et sûrs de leur talent. Lui-même portait une multitude de tatouages. Un homme étrange, calme, aimable et discret.

Jack lui présenta les photos des œuvres gravées sur la peau du géant abattu la veille : le tatoueur reconnut avoir été l’auteur de ces curieux dessins sans en connaître la signification. « Rite maori », se contenta-t-il de dire, évasif. L’artiste se souvenait de Tuiagamala : depuis quelque temps, il se faisait plus rare, mais on le trouvait parfois au Blackbird, un bar du coin.