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— Kamate ! Kamate ! (Voici la mort !)

Jack connaissait ces paroles vengeresses. Tous les Néo-Zélandais les connaissent. C’était le cri de guerre des Maoris, le haka, accompagné d’une série de gestes rituels dont la signification échappe aux pakehas, étrangers venus d’Europe. À chaque exclamation, tapant du pied sur le sol, les guerriers avançaient d’un pas si bien qu’ils se retrouvèrent bientôt nez à nez avec les policiers : leur langue frémissait comme des petits serpents sous leurs lèvres bouillantes de rage. Fitzgerald ne bougea pas. Ann retenait son souffle. La danse martiale s’acheva après un cri commun qui fit lever les hommes. Ils restèrent alors immobiles, grimace figée, narguant les policiers face contre face. Les rangs se serrèrent autour d’eux. Jack se tourna vers Zinzan Bee mais le chef maori avait disparu. Il ne l’avait même pas vu s’envoler !

— Ne restons pas là, glissa-t-il à l’oreille de sa partenaire.

Tétanisée. Il saisit Ann par le poignet et traversa la foule agglutinée. Bouclier humain, les épaules du métis roulaient contre les torses bombés. Des insultes fusèrent tandis qu’il tirait la criminologue vers la sortie. Des mains avides lui tâtaient le corps : Ann se sentait comme aspirée par ces gestes obscènes…

Jack ne vit pas le signe qu’adressa Zinzan Bee à l’un de ses acolytes, stationné à une table voisine. Le Maori souriait : Fitz avait mordu à l’hameçon.

Sur le parking, même l’air semblait prisonnier du climat. Ann avait pâli. Ils claquèrent les portières de l’automatique. Les Maoris se tenaient dans le hall pour s’assurer de leur départ. La Toyota démarra et, d’un bond sans consistance, les emporta loin d’ici.

La jeune femme, d’abord livide, finit par reprendre ses esprits.

— Qu’a-t-il voulu dire en affirmant que Malcom Kirk n’était plus de ce monde ? Vous croyez vraiment qu’il est mort ? (Comme Fitzgerald restait hermétique, elle s’écria, encore sous le choc :) Bon Dieu, Jack ! Qui est ce Zinzan Bee ?

Pas de réponse. Le policier semblait perdu dans ses pensées. La criminologue saisit son ordinateur de bord et cliqua sur les commandes.

— Je vais demander à Wilson de transférer les informations sur ma machine…

— Laissez tomber, fit Jack. Zinzan Bee ne figure sur aucune fiche de la police. C’est… une sorte de chaman.

Ann resta stupéfaite.

— Vous voulez dire une sorte de sorcier ?

— En quelque sorte.

Même lui paraissait mal à l’aise.

— Mais pourquoi n’est-il répertorié nulle part ?

— Un petit privilège maori, lança-t-il, toujours évasif.

— Il y a une raison valable à ce traitement de faveur ?

— Les autochtones ont accepté tant bien que mal les Blancs sur ces terres. N’oubliez pas que ce sont les leurs. Bee est un chaman, reconnu par les siens. Cessez une seconde de penser comme une Occidentale. Les questions existentielles de ce peuple ne sont pas les mêmes que les nôtres. Seulement aujourd’hui les choses ont changé. Beaucoup de Maoris ont adopté une attitude occidentale mais une partie d’entre eux, appelez-les traditionalistes plutôt que réfractaires, ont gardé les bases de leur culture ancestrale. Zinzan Bee est considéré comme un représentant honorifique, un chef spirituel si vous voulez. Ses pouvoirs sont limités pour vous mais pour eux il est un chaman, une entité que vous ne pouvez pas concevoir comme ça, depuis vos yeux…

— C’est la raison pour laquelle la population maorie le protège ?

— Sans doute.

— Et vous dans tout ça ?

— Quoi moi ?

— Vous vous situez où ?

— Je suis flic.

— Ils vous le font payer ?

— Non. J’assure aussi leur sécurité.

— Zinzan Bee a eu jusqu’à présent un traitement de faveur.

— Il est jugé inoffensif. Et puis on a déjà assez de problèmes avec les gangs, le chômage, la délinquance et les revendications territoriales.

— Dans ce cas que faisait-il dans ce bar ?

Jack ne répondit pas. Il semblait étrangement calme. Ça ne lui ressemblait pas. Il parlait de Zinzan Bee comme d’une entité spirituelle alors que cet homme nuisait à son paysage…

— Si je comprends bien, Zinzan Bee connaît Tuiagamala et Malcom Kirk mais on ne peut pas l’obliger à coopérer avec les autorités, c’est ça ?

— Exact. Touchez un de ses cheveux et c’est toute la communauté maorie qui s’embrase. Et ça, personne n’y tient.

Ann bouscula leurs arrangements.

— Putain, Jack ! Vous déconnez ! Livrez-moi le fond de votre pensée : que pensez-vous de ce type ?

— Il est au courant de tout. Je le sens.

C’était à son tour de se parler à lui-même. Ann avait la même sensation. Bee la terrorisait. Il avait la beauté du diable et la puissance prophétique du Millenium.

Conduisant au jugé par les avenues plombées, Jack songea au ticket de ferry sur la table du bar : malgré l’inélégance du Blackbird, on devait changer les cendriers après chaque client. Tous les bars font ça. Ca signifiait donc que le ticket bleu appartenait à Zinzan Bee, qu’il aurait utilisé ce ticket dernièrement…

Il déposa Ann au commissariat et informa ses équipiers de son prochain déplacement : Ferry Berth.

9

Ticket bleu : destination Waiheke. Jack trouva une place in extremis dans le ferry d’une heure. Entouré d’une joyeuse marmaille, il s’installa à l’un des bancs du pont supérieur.

Les rares nuages furent chassés par les alizés, faisant place à un ciel d’un bleu pur jus. Plus loin dans la baie, les voiliers de la prochaine coupe de l’America s’entraînaient afin de défendre le glorieux trophée. Les gens filèrent vers le bar du ferry pour l’inévitable soda.

Une demi-heure plus tard, le bateau garait sa lourde carcasse dans le port de Surfdale. Les mouettes jouaient les gravures de mode dans l’air marin mais Jack n’était pas un contemplatif : si sa piste était bonne, Zinzan Bee avait séjourné ici dernièrement. Dans quel but ? Kirk était-il mort comme semblait l’insinuer le Maori ? Dans ce cas, pourquoi le chaman s’était-il rendu à Waiheke ?

Fitzgerald se rendit à pied au seul poste de police présent sur l’île, sorte de baraquement à la climatisation déglinguée. Là, il tomba sur un flic aux cheveux crépus dont les bottes sales reposaient sur un tas de paperasse.

Ieremia avait une trentaine d’années, un uniforme trop petit pour sa musculature et une belle tête cuivrée. « Un Samoan », pensa Jack en lui montrant sa carte et la photo laser de Kirk.

— Vous connaissez cet homme ?

Ieremia retira ses pieds du bureau et inspecta la photo.

— Non, désolé.

— Vous travaillez seul ici ?

— Oui. Sauf pendant les congés. Un autre flic me relève. Vous savez, ici, je ne sers qu’à régler les petits problèmes des insulaires…

Ieremia n’avait pas l’air débordé.

— Vous connaissez quelqu’un susceptible de me renseigner ?

Il sembla réfléchir. Jack le trouvait aimable mais nerveux. Sans qu’aucune lueur n’éclaire ses yeux, il finit par dire :

— Je crois avoir ce qu’il vous faut. Le vieux Jones habite Waiheke depuis toujours. C’est un pêcheur. Il saura peut-être vous renseigner.

— Et on le trouve où, ce Jones ?

— Au bout de l’île, du côté d’Onetangui. Mais il faut s’y rendre en voiture. L’endroit est sauvage. Jones habite une cabane pas loin de la plage, sans téléphone évidemment.