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— Vous avez un véhicule ?

— Je vous accompagne ; ça me fera une promenade…

Les deux hommes roulèrent près d’une demi-heure. L’île se dépeuplait au fur et à mesure qu’ils suivaient la route goudronnée. Ieremia ne posait pas de question, se contentant de conduire la Ford banalisée le long des champs encore verdoyants. Il allait parfois de son petit commentaire sur les beautés de l’île. Jack se taisait. Il pensait à Helen, à leurs promenades à Waiheke.

Enfin, le flic stoppa sa guimbarde en bord de route. Il essuya sa sueur d’une main et dit :

— C’est là. Jones ne doit pas être très loin…

Sur la droite, un chemin à peine visible se glissait sous les fougères. On devinait plus haut le toit d’une maison en partie cachée par les branches d’arbres exotiques. Petit frisson. Trois fois rien. Un danger. Jack rumina :

— Attendez-moi là, je reviens dans un petit moment…

N’ayant rien de mieux à ajouter, Ieremia opina du chef.

Il emprunta le chemin et disparut parmi les fougères. La maison était semblable à celles croisées le long de la route, avec un préau, un étage sur pilotis et une terrasse repoussant tant bien que mal l’avancée du bush. Hormis les incessants battements d’ailes lilliputiennes, on ne percevait aucun bruit. Fitzgerald avança jusqu’au préau : des traces d’huile encore fraîches s’épanchaient sur le sol… Il emprunta l’escalier et poussa la porte de l’étage. Pas un bruit ; la maison semblait vide. Sur une table trônait un bouquet de fleurs. Le canapé, couleur fuchsia, était neuf. Fitzgerald dégaina son arme, le cœur battant plus vite, passa à la cuisine : un frigo, un énorme congélateur, un lave-linge neuf, four micro-ondes high-tech… Il se pencha sur l’évier. Ses poils se hérissèrent : une paire de bas flottait dans une cuvette.

Des bas de femme.

Jack se jeta immédiatement à terre. Une série de coups de feu éclata près de lui. Le Maori roula vers la porte, cherchant d’abord à sauver sa peau : il ne vit pas l’homme qui, dans un nuage de fumée blanche, venait de surgir du congélateur, un pistolet-mitrailleur dans les mains.

Un projectile avait détruit le barillet de son .38 et il filait désormais mains nues vers la terrasse sous les cris perçants de l’automatique. Les balles percutaient le mur, ricochaient sur le parquet et fusaient dans l’air tandis qu’il se réfugiait à toute bombe vers le salon. Tout explosait autour de lui. Depuis la cuisine le tueur arrosait la pièce au jugé. Jack fut littéralement chassé de la maison, ahanant dans sa fuite éperdue, poursuivi par une meute de balles gros calibre.

Il atteignit la terrasse. Sous lui, un bush à peu près inextricable encerclait la maison : le policier plongea sans hésiter.

Une rafale cueillit les feuilles présentes. Le tueur fonça sur la terrasse, tira de nouveau mais un cliquetis familier lui indiqua que son chargeur était vide.

Dans sa chute, Jack avait dégringolé plusieurs mètres à travers les ronces. Il se retrouva englué dans un amas de verdure qui le rendait invisible depuis la maison. Il saignait du cuir chevelu, la brûlure était celle laissée par le passage d’une balle, les épines le déchiraient, ses épaules étaient meurtries, mais le bush avait amorti sa chute : il était vivant. Ce petit bonheur ne dura pas : le type était au-dessus, sur la terrasse, et lui n’avait plus dans sa main qu’une longue estafilade à la place du .38.

Il avait bien un canif à la ceinture… Empêtré dans les branches, Fitzgerald cherchait un moyen de sortir de ce traquenard quand il entendit le bruit d’une porte qui se claque. Plus haut, le tueur avait rechargé son PM mais il y avait maintenant un nouvel arrivant dans la maison. Quelqu’un que les balles avaient alerté. Ieremia ?

La voix qui parla la première était un mélange de mauvais anglais et d’argot.

— Qu’est-ce que tu fous là, toi ! On t’a pourtant dit de rester où t’étais !

— Je suis ici chez moi ! répondit l’autre d’un ton criard. Ce serait plutôt à moi de vous demander ce que vous faites là ?!

Cette voix-là était féminine, haut perchée, presque trop. Fitzgerald tendit l’oreille.

— T’inquiète pas, ma vieille. J’suis là pour te protéger.

Silence : manifestement, la personne qui habitait ces lieux n’en croyait pas un traître mot. Jack risqua un œil depuis sa cachette mais le bush lui barrait toute vision.

— Qu’est-ce que vous cherchez ? demanda la voix étrange.

— Y’a des traces de sang : je crois que je l’ai touché. T’as vu personne sur le chemin ? (Pas de réponse. Il insista.) Un flic. Un sale flic.

Le tueur s’approcha du bord de la terrasse et tira une salve aveugle dans le bush. Quatre mètres plus bas, Jack se terrait contre une grosse racine, les mains protégeant la tête. Plusieurs branches se fissurèrent près de lui mais aucun projectile ne l’atteignit. La drôle de voix s’écria :

— Arrêtez ! Arrêtez !

— Oh ! Ta gueule, salope ! grogna l’autre en cherchant du canon une nouvelle cible.

— On avait passé un accord ! se mit à hurler la fille. Je n’appartiens plus à ce salaud de Bee ! Vous n’avez rien à faire ici. Ni vous ni personne de sa bande !

— Tu es mal placée pour parler de ça. Et Carol, qu’est-ce que tu en fais ?

— Ce… Non ! Ce n’est pas moi ! Vous le savez très bien ! C’est pas moi ! Oh ! Non… Pas moi ! (Le son baissa jusqu’au balbutiement.) C’est pas moi… Pas ma faute à moi…

Cette voix était celle d’un damné, un être malade qu’on écorchait vif.

— Ah ouais ? Tu veux qu’on vérifie ? menaça l’autre.

— Non ! non !! Laissez-moi tranquille !

— Bon, c’est comme tu veux, ma vieille. De toute façon, j’suis pas là pour ça. Faut que j’retrouve l’autre flic. (Il pesta :) Bullshit ! Où il est ce fils de pute ?!

Il y eut le cliquetis sournois d’un automatique que l’on arme.

Fitzgerald s’ébroua. Le bush ne le protégerait pas longtemps. La meilleure défense étant, paraît-il, l’attaque, il s’extirpa tant bien que mal des ronces. Depuis la terrasse, l’autre vidait son chargeur à travers la jungle.

Jack dévala l’enchevêtrement de conifères, trouva une fougère particulièrement gigantesque et mit genou à terre. Après quoi, il tira le canif de son étui, haletant. Une minute passa. Il attendait toujours, de l’angoisse collée aux boyaux. Enfin il perçut un bruit de pas, un bruissement, trois fois rien… Ses oreilles s’agrandirent : le silence emplissait tout. Alors, un autre bruit, maintenant très net. Là, sur la gauche… L’homme approchait.

Jack évalua la lame de son canif. L’idée jaillit. Il lança un appel sur l’émetteur qui le reliait à sa partenaire, le déposa à bout de bras sous une fougère voisine et glissa un peu plus loin.

Quand le Maori arriva dans son champ de vision, Jack attendait, le canif serré dans la main droite. Au premier bip, l’homme se tourna brusquement et détruisit la fougère voisine d’un tir tendu. Les branches tombèrent comme des mouches. Il bondit sur son flanc gauche. Le Maori qui tenait le pistolet-mitrailleur n’eut pas le temps de repousser l’assaut fulgurant ; le canif s’enfonça jusqu’à la garde dans son thorax. Il chercha alors à retourner son arme contre l’agresseur mais Jack lui tordit brutalement le poignet. La rafale s’envola dans l’air du temps.

Le canif toujours planté dans le torse, il saisit le policier à la gorge et, malgré la douleur intense, tenta de l’étrangler. Jack se dégagea d’une manchette teigneuse, puis il propulsa une droite sèche à la pointe du menton : l’homme subit l’onde de choc de plein fouet. Son cerveau cogna dans son crâne, il tituba un instant avant de tomber à terre.