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Quand Ann Waitura passa le barrage qui bloquait l’accès à la plage de Devonport, Fitzgerald était déjà penché sur les lieux du crime. Il venait d’interroger le policier qui avait trouvé le corps mais lui et son rapport n’avaient pu lui apporter le moindre indice supplémentaire.

On avait balisé l’emplacement du cadavre à l’aide de piquets. Fitzgerald tendit une série de polaroids à la criminologue et examina les traces de sang mêlé au sable. Waitura reconnut Carol sur les photos mais son visage grimaçait d’une douleur que Mc Cleary avait su dissiper sur la table d’autopsie : les yeux exorbités de la gamine avaient vu la mort en direct.

Le Maori se releva, la mine austère : il cherchait quelque chose et ne l’avait manifestement pas trouvé.

Le soleil plombait la plage. Waitura laissa le policier suivre les traces anonymes sans dissiper son attention. Jack nota que le meurtrier avait traîné le corps sur quelques mètres : c’était la preuve qu’il avait tué Carol avant de la mutiler. À quatre pattes, il fouilla dans le sable alentour. Sa main survolait l’étendue granuleuse avec une douceur surprenante. Waitura ne savait toujours pas ce qu’il cherchait. Enfin, Jack se releva, un air de triomphe sur le visage : ses doigts tenaient un petit bout de chair.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda-t-elle.

Il lui lança un regard mauvais.

— Le clitoris.

Ann sentit grimper une sorte de reptile entre ses jambes. Très désagréable.

Il enfouit la chose dans un sachet de plastique avant d’inspecter les éventuelles traces de pas mais le sable était trop meuble pour tirer la moindre conclusion. Quand il se retourna, Waitura examinait toujours les photos. Elle releva la tête, se fendit d’un regard étonnamment doux (ses yeux noisette semblaient s’allonger à ce moment précis) et dit :

— Alors, capitaine, qu’en dites-vous ?

— Ce salaud ne l’emportera pas au paradis.

Il avait dit ça avec calme mais un inquiétant rictus déformait son visage. Pauvre diable.

*

Ils achetèrent un sandwich à la volée d’une échoppe. Midi tapait dans le temps comme une brute ordinaire. La Toyota roulait le long de champs encore verdoyants. Jack balança la fin de son sandwich au thon par la vitre ouverte. Une mouette en vol le manqua de peu. Ann avait à peine entamé le sien. Les tomates avaient un sale goût rance. Elle reprit le dossier où elle l’avait laissé.

— Carol travaillait à l’abattoir de Devonport, un endroit où j’imagine la sensualité réduite à un tablier de plastique pour éviter que le sang des bestiaux n’infeste la peau. Son premier job après le collège et une année passée à glander…

— Qui vous a raconté tout ça ?

— Katy Larsen, sa colocataire. Je l’ai eue tout à l’heure au téléphone. Quant à Carol, inutile de chercher du côté de ses parents : ils habitent Wellington et ont coupé les ponts avec leur fille depuis deux ans. C’est une famille très croyante qui avait mis tous ses espoirs dans leur fille unique. Ils n’ont jamais accepté qu’elle abandonne ses études.

— Vous leur avez téléphoné aussi ?

— Oui. J’ai jugé que cela nous ferait gagner du temps.

Fitzgerald ne protesta pas. Il en avait marre de jouer au dictateur.

Ann commençait à saisir la façon de prendre ce type : être discrète, poser les questions pertinentes au moment où il s’y attendait le moins et défendre son territoire coûte que coûte. Après quoi, il deviendrait doux comme un agneau — si aucun prédateur ne venait à traîner dans ses environs.

Ils passèrent les grilles de l’abattoir à cochons, un des rares en Nouvelle-Zélande qui, grosso modo, possède un humain par tonne de moutons.

L’usine était un endroit à la stérilité sordide où pesait l’effroyable odeur d’une mort réglementée. Plus loin, du sang coagulé faisait une pyramide gluante dans un hangar. Un vieux Maori aux paupières lourdes nettoyait les résidus d’hémoglobine à l’aide d’un Karcher. Waitura détourna les yeux pour oublier l’odeur de tripes qui lui nouait le ventre. Jack était déjà dans le bureau du petit chef, un dénommé Moorie.

Le recruteur ne connaissait pas bien Carol, et encore moins ses éventuels ennemis. L’interrogatoire dura le temps d’une cigarette. Fitzgerald connaissait ce type. On l’avait embarqué l’année dernière parce qu’il tabassait sa femme. Et un type qui tabasse sa femme est trop lâche pour commettre des crimes. Les ouvriers, eux, faisaient la pause : Bashop se chargerait de les interroger… Dès lors, la cigarette écrasée sous sa semelle, Jack se fendit d’un direct :

— Bon, tirons-nous. Cet abruti ne nous apprendra rien de plus.

La criminologue envoya un regard stupéfait au recruteur, lequel haussa les épaules comme s’il avait l’habitude de se faire envoyer sur les roses.

Dans la cour, le policier croisa un camion rempli de bestiaux effrayés. Les groins jaillissaient entre les grilles de la remorque, cherchant l’air susceptible de les sauver.

*

Katy Larsen et Carol Panuula habitaient une maison proprette dans un lotissement aux allées fleuries : Takapuna, ville côtière sans grand intérêt au nord d’Auckland. Comme beaucoup de nouveaux arrivants sur le marché du travail, les deux gamines louaient la maison à la semaine : deux cents dollars, jardinier et charges inclus. Le fait d’habiter assez loin de la cité leur permettait de vivre dans un endroit agréable et malgré la promiscuité d’une colocation, d’être très tôt indépendantes.

Bien que sa mine fût défaite, Katy Larsen était une blonde aux yeux bleu satiné, taille moyenne, bien faite. Sa frimousse parsemée de taches de rousseur assez discrètes pour être remarquées lui rendait en charme ce qu’elle perdait en plastique pure.

Le salon était une pièce improvisée deux ans plus tôt et jamais achevée. Une caisse retournée faisait office de table. Aux murs, quelques photos où les gamines se pavanaient aux bras de jeunes types souriants. Jamais les mêmes. Le reste était simple et sans véritable goût, avec des couleurs pastel et de la récupération.

Katy prit place sur une chaise de jardin. Jack demanda s’il pouvait fumer après avoir allumé sa cigarette. Katy poursuivait ses études de chinois à l’université ; la nouvelle du décès de Carol l’avait plongée dans un état pitoyable. Après une période de mise en confiance, la criminologue entra dans le vif du sujet :

— Carol avait-elle des amis ? Vous m’avez dit au téléphone qu’elle connaissait beaucoup d’hommes…

— Beaucoup, façon de parler… rectifia Katy sans saisir les subtilités d’un interrogatoire. Disons que Carol aimait plaire. C’est humain. Elle était jeune, pas timide, gaie et, malgré son physique plutôt commun, attirait beaucoup les hommes.

Jack sourit : décidément, les gamines ne peuvent pas s’empêcher d’assassiner leur meilleure copine.

— Quel genre d’hommes ? Des jeunes ou des gens plus âgés ?

— Des Blancs. Souvent un peu plus vieux…

— Vingt-cinq, trente ans ?

— Rarement plus vieux. Des étudiants, des avocats, des artistes parfois…

— Artistes ?

— Carol m’a raconté une histoire bizarre, un peintre qui la prenait comme modèle…

— Vous connaissez son nom ?

— Non.

— Où est son atelier ?