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Sur la table de nuit, un ticket de cinéma daté de l’avant-veille, une boîte de capotes entamée et un livre d’amour à l’eau de rose écrit par une Australienne idiote. Dans les tiroirs, pas la moindre trace de carnet secret. Juste quelques photos d’elle enfant, seule sur une balançoire, vous regardant avec des yeux de gamine bientôt grande…

Jack souleva le matelas : des billets de cent dollars firent un reflet sale dans ses yeux.

Le peintre.

L’officier en compta trois. Sans doute gardait-elle cet argent pour un prochain départ…

Jack enfouit la somme dans une pochette de plastique. Le passage dans la salle de bains ne lui en apprit guère plus : Carol semblait être plus préoccupée par son tour de poitrine que par celui de son esprit. Après tout, elle connaissait ses points forts.

Dans le salon, Waitura en finissait avec Katy. Les deux femmes n’avaient que six ans de différence mais si l’une avait un visage franchement attrayant, l’autre gagnait en intelligence ce qu’elle cédait en séduction à sa jeune adversaire. Ce fut sa dernière observation notable : Jack sortit de la maison et se dirigea vers la Ford rouge que Carol avait empruntée la veille. Il revêtit des gants de plastique et fouilla l’habitacle — de nouveau sans résultat.

Il retourna vers la maison. Sur le perron, Ann remercia la jeune fille qui, au contact de la police, s’était ressaisie. Un jour, elle oublierait Carol et une bonne partie de son adolescence avec…

Avant de partir, Katy leur demanda de la tenir au courant de l’affaire. Fitzgerald se taisait. Waitura le lui promit.

Depuis Waitemata Harbour, la vue était magnifique : avec la brume de chaleur, Auckland semblait emmêlé à la mer.

— Qu’en pensez-vous, doc ? demanda-t-il.

— Je ne suis toujours pas docteur, capitaine. À part ce petit détail agaçant à la longue, Katy Larsen ne nous a menti qu’une fois : lorsqu’elle a parlé de Pete, le dernier petit ami de Carol.

Jack reconnut que sa partenaire avait vu juste.

— Je connais la boîte où il travaille. J’irai ce soir.

— Je vous suivrai, si ça ne vous dérange pas. (Pas de réponse.) Bon : et cette histoire de voiture ? renchérit-elle en recalant sa barrette.

— Carol l’a déposée devant la maison avant de se rendre sur la plage, trois kilomètres plus loin. Je ne crois pas qu’elle ait eu le courage, ni le temps, de faire ce chemin à pied. À mon avis, le meurtrier était déjà avec elle. Ce qui confirme la thèse qu’ils se connaissaient…

— Je le pense aussi. Le peintre ?

— Allez savoir…

Ils passèrent l’Harbour Bridge. Jack appela le central afin qu’une équipe relevât d’hypothétiques empreintes dans la Ford utilisée le soir du meurtre.

— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda Ann.

— Je vous dépose en ville. Vous êtes descendue où ?

— Au Debrett Hotel. Dans le centre…

— Oh ! je connais ! s’esclaffa-t-il comme s’il avait passé la majorité de ses nuits à y boire des verres sans importance.

— Et vous ?

L’œil du policier se teinta de noir.

— Je vais faire un petit tour sur mon territoire…

La Toyota stoppa au milieu de Queen Street, la plus grande avenue d’Auckland — c’est-à-dire du pays. Ici, pas d’embouteillage. Les rues étaient propres, dégagées.

Waitura propulsa sa silhouette vers l’hôtel. Un énorme Maori filtrait l’entrée du bar à l’heure où les jeunes avocats venaient boire un verre après le boulot. Les plus loufoques avaient déjà gobé des acides, prenant ainsi de l’avance sur les fêtes. Jack laissa un peu de gomme sur l’asphalte brûlant et prit la direction de Quay Street.

5

Quay Street, six heures du soir. Fitzgerald commençait à se faire une idée du personnage ambigu de Carol Panuula et le quartier était l’endroit idéal pour se renseigner : putes, maquereaux, informateurs, pervers tranquilles, ici tout le monde avait quelque chose à vendre ou à acheter.

Il longea les baraquements minables, les entrepôts et les bars louches du port. Son horizon quotidien. Tout au fond, vers les docks, les prostituées rehausseraient leur Wonderbra, suppléants modernes de dérisoires insuffisances. Ici tout se consommait pour cent dollars au mieux, cinquante en fin de droits.

Jack recherchait Kirsty — « la grosse pute », comme il disait amicalement.

Prostituée, Kirsty l’était du fond de l’âme. Là, des traces de rouge à lèvres écrasé sur le miroir poussiéreux de sa bouche, des billets échangés vite, deux, trois raclées, un type qui avait promis et jamais rien tenu, beaucoup de bites et peu de sentiments. Kirsty arrondissait ses fins de mois en collaborant avec la police. Fitzgerald la protégeait, cela ne faisait pas de mystère. Prostituée ou indic, pour elle, ça revenait à la même chose : on rend service en se couchant. Kirsty s’en fichait. Ce n’est pas à cinquante-quatre ans qu’on refait sa vie. Surtout celle d’une pute.

Malgré l’imminence du réveillon, le quartier n’avait rien perdu de son animation. Les clients rasaient les murs des bouges où des filles maussades s’exhibaient. Derrière le pare-brise de la Toyota, Fitzgerald passait sa fine troupe en revue. Kirsty roulait des seins devant un gars cherchant le fond de ses poches quand un coup de klaxon les fit sursauter. La prostituée lança un soupir sans équivoque quant à la joie éprouvée de revoir son protecteur. Le gars disparut aussitôt, laissant pour unique messager un coup de vent tiède. De dépit, Kirsty emporta son lourd fessier jusqu’à la Toyota et posa son incroyable poitrine sur la vitre ouverte. Un mamelon menaça de gicler dans l’habitacle. Elle s’écria :

— Fuck you, Fitz ! Tu viens de me faire rater une affaire en or !

— Tu parles d’une poule ! ricana son ange gardien.

Kirsty empoigna son décolleté et proféra :

— Moque-toi ! Des seins comme ça, mon vieux, ça donne envie de goûter au reste !

— Merci, je viens de manger… rétorqua-t-il d’un geste sans façon. Bon, trêve d’enfantillage, il faut que je te parle, ma grosse. Monte.

Comme Kirsty fit semblant d’avoir abîmé ses précieux bas d’argent, Jack se fendit d’un très insistant « Allez ! » Elle étala une moue caillée sur son visage laiteux et clopina jusqu’à la portière du passager, martelant le bitume de ses talons aiguilles. Enfin, elle déversa son corps sur le siège. La Toyota roula à faible allure le long de l’avenue.

— Je veux des renseignements sur Carol Panuula, dit-il.

— Carol… Oui, tout le monde en parle… Personne ne comprend…

Ces phrases toutes simples étonnèrent Jack : il était clair que Carol faisait le tapin.

— Depuis quand traînait-elle dans le secteur ?

— Six mois environ.

— Bizarre que je ne l’ai jamais vue…

— Oh ! Rien d’étonnant à ça ! s’exclama Kirsty en exhalant un parfum coriace dans la voiture. La gamine travaillait le soir et choisissait elle-même ses clients. Une star, quoi ! Elle me faisait penser à moi à l’époque où…

— Passe-moi le temps où ta taille se fournissait dans une ruche. Qui étaient ses clients ?

— Carol aimait surtout les Blancs. Les métis, parfois. Jamais de Polynésiens.

— Pourquoi ?

— J’en sais foutre rien, Fitz !

Il fit claquer son briquet sous une cigarette blonde.

— On les connaît, ces clients ?

— Certains habitués. D’autres moins.

— Qui travaillait avec elle ?