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— Personne. Elle bossait en solo.

— Explique-toi, ordonna-t-il.

Kirsty tordit ses lèvres rouge vif.

— Quand on l’a vue débarquer, on a pas cherché à l’emmerder. Carol ne faisait que des extras mais on savait qu’un mac allait lui tomber dessus. On n’avait pas tort : un jour, Lamotta est venu la voir. Il voulait qu’elle travaille pour lui. Et tu connais Joe, hein ? Il a secoué un peu la petite. Eh ben, tu me croiras si tu veux mais le lendemain, il longeait les murs !

Lamotta, tiens donc.

— Pourquoi ?

— Hey ! Lamotta avait la gueule tellement défoncée qu’on l’a plus vu pendant une semaine ! railla la vieille fille, manifestement peu contrariée par l’épisode.

— Et Carol ? poursuivit Fitzgerald.

— Depuis ce jour, personne n’est jamais venu l’importuner. Elle prenait sa place environ un soir sur deux. Et les clients venaient sans que personne touche sa commission. Nous, on l’avait mauvaise, mais on s’est tues.

— Pourquoi tu ne m’en as jamais parlé ? reprocha-t-il.

— Pour la même raison que Joe Lamotta : je ne tenais pas à me retrouver avec mon beau visage tuméfié…

— Je vois… Carol est-elle venue hier soir ?

— Non. (Kirsty bougea dans la voiture : ses breloques vibrèrent dans un cliquetis de pacotille. Elle ajouta :) On m’a dit qu’elle avait un boulot fixe, c’est vrai ?

— C’est moi qui pose les questions. Il se trouve où, cet abruti ?

— Lamotta ? Oh ! à l’heure qu’il est, tu le trouveras au Corner Bar en train d’embobiner une pauvre fille et quelques Steinlager.

— O.K. Merci, ma poule.

— Je ne caquette pas encore, Fitz.

— Profites-en.

La prostituée écailla son fond de teint dans un grand sourire :

— Ce que j’aime chez toi, c’est ta délicatesse.

— C’est pas de la délicatesse, c’est de l’ethnologie.

— Bah ! C’est pareil ! et elle haussa les épaules en claquant la portière de la Toyota derrière elle.

Kirsty louvoya sur le trottoir brûlant, ses talons hauts s’énervaient au chevet de ses bas. Le taffetas de son ensemble à paillettes commençait à dater.

Jack l’aimait bien.

*

Joe était surnommé Lamotta en raison des six combats livrés sous les drapeaux, ce qui lui valut la flatteuse réputation de champion inter-armées. Joe était un Maori dénaturé depuis quatre générations ; avec le temps et l’alcool, les muscles de ses bras s’étaient enrobés d’une graisse indélébile. Il vivait sur sa réputation et tenait encore le meilleur marché de prostituées de la ville. La police le laissait faire : Lamotta était correct avec les filles et racontait ce qu’il savait quand il le fallait vraiment.

Jack rencontra sa face imbibée à la table du Corner Bar local (on en trouvait un à chaque coin de rue). Lamotta buvait une bière au milieu de types tatoués dont l’amabilité n’avait pas traversé le visage depuis la dernière victoire des Blacks en coupe du monde. Le policier se tenait sur ses gardes : la crosse de son .38 lui paraissait même tiède.

Joe émit un bruit de chaudière depuis ses énormes narines. Fitzgerald observa la scène : les petites frappes restaient tapies dans l’ombre, Lamotta suait sous les spots de leurs regards, l’humain sentait le rance, la frime, la bêtise crasse. Enfin, le Maori fit craquer ses phalanges boudinées, l’œil jaune dans celui, brûlant, du flic attablé face à lui.

— Carol Panuula… posa Jack en guise de préambule.

Joe gloussa en retour :

— Connais pas.

Fitzgerald tira une sorte de pénalité sous la table. Lamotta s’affaissa : son genou gauche n’était pas un ballon. Il serra les dents et avoua dans un grognement mêlé de houblon :

— La fille retrouvée morte. Elle faisait le tapin mais j’ai rien à voir là-dedans.

— Qui t’a, disons, préconisé de ne pas te mêler de ça ?

— Connais pas ce mot. Mais si tu veux dire par là qu’on m’a forcé la main pour laisser la gamine tranquille, tu te trompes. Elle rapportait peu, c’est tout.

Cet imbécile voulait garder la face devant son public. Jack fit son petit numéro.

— Tu te fous de moi encore une fois et je t’humilie devant tes amis. Maintenant écoute-moi bien, Lamotta : ici, j’ai tous les droits. Même celui de t’embarquer. J’attends. Tu as une seconde. Ton temps est passé. Alors ?

Lamotta sentit le danger. Une seconde de plus et il pourrait dire adieu à ses dents de devant, ses préférées.

— Deux types sont venus un soir.

— Quand ?

— Il y a cinq mois environ.

— Signalement.

— Ils m’ont chopé dans une ruelle sombre, et ils portaient des cagoules.

— Quel genre de cagoules ?

— Kaki. On aurait dit des trucs de l’armée. Depuis le temps, je suis pas sûr.

— Et alors ? Ils t’en ont prêté une et vous avez joué à colin-maillard entre crapules ?

— Heu, non… Non. Ils m’ont chopé par-derrière avant de me passer à tabac, rectifia Joe Lamotta en insistant sur le « par-derrière », fierté oblige.

— Alors comme ça, on te manque de respect ?

Jack élabora une moue très impressionnée.

— Ces types ne rigolaient pas, assura le gros Maori. Ils m’ont même enfoncé un flingue dans le nez. J’ai pas pu me moucher pendant une semaine.

— Quel genre de flingue ?

— Je sais pas, j’arrivais pas à faire la mise au point d’aussi près.

En un éclair, Jack dégaina son .38 et le planta dans le nez du truand :

— Un comme ça ?

Les yeux du souteneur louchèrent sur le canon. Il bredouilla :

— Oui… Oui. Ça ressemblait à un .38. Mais pas sûr.

— Une idée de ces types ?

— Aucune. Un grand costaud, une sorte de géant qui grognait, et un râblé, plus petit. C’est lui qui parlait.

— Qu’est-ce qu’il t’a dit au juste ?

— De laisser Carol tranquille, sans quoi on me retrouverait dans la baie avec une torche enflammée dans le cul.

— C’est tout ?

— C’est tout. Dans ces moments-là, on comprend vite. Et j’ai compris qu’il ne fallait pas jouer les cadors avec ce genre de type.

— Le bel euphémisme…

— Connais pas non plus ce type-là.

— Tu le fais exprès ?

— Non, je t’assure, Fitz.

La sueur perlait sur son front bosselé.

— Et en ce qui concerne Carol ? reprit l’officier en rengainant son arme.

— Rien de précis. Tout le monde la laissait faire sa petite affaire.

— Ses clients ?

Lamotta fit la moue.

— Des autochtones. Surtout des Blancs…

— Un de ces types peut avoir fait le coup ?

— Pense pas.

— Pourquoi ?

— Comme ça… Depuis le temps, je reconnais les tarés…

Peut-être mais Lamotta avait toujours peur : Jack le devina à la lueur morte de ses prunelles.

— Depuis combien de temps Carol tapinait-elle ?

— Six mois environ. Elle venait un soir sur deux. Et puis un soir, elle est plus venue du tout…

Son front semblait maintenant pleurer de sueur. Le mâle était solide mais la peur liquide.

— Je trouve que tu as laissé tomber bien vite l’affaire avec Carol, siffla Jack en faisant celui qui pesait le pour et le contre. Jamais personne n’a marché sur tes plates-bandes. Pourquoi tu n’as pas cherché à éliminer ces types ? Tu l’as déjà fait avec d’autres…