– C’est Madame Rosmerta, dit Ron. Je vais chercher les chopes, d’accord ? ajouta-t-il en rougissant un peu.
Harry et Hermione s’avancèrent vers le fond de la salle où ils trouvèrent une petite table libre entre une fenêtre et le splendide sapin de Noël dressé près de la cheminée. Ron revint cinq minutes plus tard avec trois chopes de Bièraubeurre chaude.
– Joyeux Noël, dit-il en levant sa chope.
Harry but une longue gorgée. C’était la chose la plus délicieuse qu’il eût jamais goûtée et il sentait tout son corps se réchauffer de l’intérieur.
Un bref coup de vent lui ébouriffa les cheveux. La porte des Trois Balais venait de s’ouvrir. Par-dessus le bord de sa chope, Harry jeta un coup d’œil aux nouveaux arrivants et faillit s’étrangler.
Dans un tourbillon de neige, les professeurs McGonagall et Flitwick firent leur entrée dans l’auberge, suivis de près par Hagrid, en grande conversation avec un homme trapu coiffé d’un chapeau melon vert et vêtu d’une cape à rayures. C’était Cornelius Fudge, le ministre de la Magie.
En un éclair, Ron et Hermione posèrent les mains sur la tête de Harry et appuyèrent vigoureusement pour le forcer à s’accroupir sous la table. Dégoulinant de Bièraubeurre, sa chope serrée contre lui, Harry, à présent hors de vue, regarda les pieds des nouveaux venus s’avancer vers le bar, s’arrêter, puis repartir dans sa direction.
Au-dessus de lui, il entendit Hermione murmurer : « Mobiliarbus ! »
Aussitôt, le sapin de Noël, près de la cheminée, s’éleva de quelques centimètres, se déplaça latéralement et retomba sans bruit juste devant leur table en les dissimulant aux regards. À travers les branches basses du sapin, Harry vit les pieds de quatre chaises s’écarter de la table voisine, puis il entendit le ministre et les trois professeurs s’asseoir avec des grognements de satisfaction.
Harry distingua ensuite des chaussures à hauts talons qui s’avançaient vers leur table.
– Le jus d’œillet dans un petit verre ? dit une voix de femme.
– Pour moi, répondit la voix du professeur McGonagall.
– Quatre pintes d’hydromel aux épices ?
– Ça, c’est pour moi, Rosmerta, dit Hagrid.
– Sirop de cerise soda avec boule de glace et ombrelle ?
– Miam ! dit le professeur Flitwick avec un claquement de langue.
– Et le rhum groseille, c’est pour vous, Monsieur le Ministre.
– Merci, ma chère Rosmerta, dit la voix de Fudge. Je suis ravi de vous revoir. Vous prendrez bien quelque chose avec nous ? Asseyez-vous donc.
– Merci beaucoup, Monsieur le Ministre.
Harry regarda les talons hauts s’éloigner puis revenir. Il sentait son cœur battre douloureusement dans sa poitrine. Comment avait-il pu oublier que pour les professeurs aussi, c’était le dernier week-end du trimestre ? Combien de temps allaient-ils rester assis là ? Il avait besoin d’un peu de temps pour se glisser dans la cave de Honeydukes s’il voulait être de retour à Poudlard avant la nuit…
– Alors, qu’est-ce qui vous amène dans ce trou perdu, Monsieur le Ministre ? demanda la voix de Madame Rosmerta.
Harry vit le corps de Fudge pivoter sur sa chaise comme s’il regardait autour de lui pour vérifier que personne d’autre que ses interlocuteurs ne pouvait l’entendre. Puis, à voix basse, il répondit :
– Sirius Black, bien entendu, qui d’autre ? J’imagine que vous avez appris ce qui s’est passé à l’école le jour de Halloween ?
– J’en ai vaguement entendu parler, reconnut Madame Rosmerta.
– Vous avez raconté ça dans toute l’auberge, Hagrid ? dit le professeur McGonagall d’un ton exaspéré.
– Vous pensez que Black est toujours dans le coin, Monsieur le Ministre ? chuchota Madame Rosmerta.
– J’en suis certain, répondit brièvement Fudge.
– Vous savez que les Détraqueurs ont fouillé mon auberge deux fois ? reprit Madame Rosmerta, un peu agacée. Tous mes clients sont partis terrifiés… C’est très mauvais pour le commerce, Monsieur le Ministre.
– Ma chère Rosmerta, je n’aime pas plus les Détraqueurs que vous, répondit Fudge, gêné, mais c’est une précaution nécessaire… C’est malheureux, mais c’est comme ça… Je viens d’en voir, ils sont furieux contre Dumbledore parce qu’il refuse de les laisser entrer dans l’enceinte du château.
– Il a bien raison, dit sèchement le professeur McGonagall, comment voulez-vous qu’on donne des cours avec des horreurs pareilles autour de nous ?
– Très juste, très juste, couina le minuscule professeur Flitwick, dont les pieds ne touchaient pas le sol.
– N’oublions tout de même pas qu’ils sont là pour vous protéger d’un danger encore plus grand, objecta Fudge. Nous savons tous de quoi Black est capable…
– Je n’arrive toujours pas à le croire, dit Madame Rosmerta d’un air songeur. Jamais je n’aurais imaginé que Sirius Black prendrait le parti des forces du Mal… Je me souviens quand il était petit, à Poudlard… Si vous m’aviez dit à ce moment-là qu’il deviendrait ce qu’il est aujourd’hui, j’aurais pensé que vous aviez bu trop d’hydromel.
– Vous ne connaissez pas la moitié de l’histoire, Rosmerta, dit Fudge d’un ton abrupt. Les gens ne savent pas le pire.
– Le pire ? dit Madame Rosmerta d’un ton excité par la curiosité. Pire que d’assassiner tous ces malheureux ?
– En effet.
– Je n’arrive pas à le croire. Qu’est-ce qui pourrait être pire ?
– Vous avez dit que vous vous souveniez de lui quand il était à Poudlard, Rosmerta ? murmura le professeur McGonagall. Et vous vous rappelez qui était son meilleur ami ?
– Bien entendu, répondit Madame Rosmerta avec un petit rire. On ne voyait jamais l’un sans l’autre. Je ne compte plus les fois où ils sont venus ici… Ils me faisaient rire ! Ah ça, on peut dire qu’ils faisaient une belle équipe, Sirius Black et James Potter !
Harry lâcha sa chope qui tomba par terre avec un bruit sonore. Ron lui donna un coup de pied.
– Justement, reprit le professeur McGonagall. Black et Potter, les chefs de leur petite bande. Tous les deux très brillants, bien sûr – exceptionnellement brillants, en vérité – mais je crois que jamais aucun élève ne nous a causé autant d’ennuis que ces deux-là.
– Je n’en suis pas sûr, dit Hagrid avec un petit rire. Fred et George Weasley peuvent également prétendre au titre.
– On aurait dit que Black et Potter étaient deux frères ! intervint le professeur Flitwick. Absolument inséparables !
– Sans aucun doute, dit Fudge. Potter avait une confiance absolue en Black. Et c’était toujours vrai quand ils ont quitté l’école. Black était témoin au mariage de James et de Lily. Et c’est lui qui a été le parrain de Harry. Harry ne sait rien de tout cela, bien sûr. Vous imaginez l’effet que ça lui ferait ?
– Parce que Black s’est associé à Vous-Savez-Qui ? chuchota Madame Rosmerta.
– Encore pire, ma chère Rosmerta…
Fudge baissa la voix et poursuivit dans une sorte de marmonnement à peine audible :
– Rares sont ceux qui savent que les Potter étaient parfaitement conscients d’être la cible de Vous-Savez-Qui. Dumbledore, qui luttait sans relâche contre le Mage noir, disposait d’un bon nombre d’espions fort utiles. L’un d’eux l’a mis au courant et Dumbledore a immédiatement averti James et Lily. Il leur a conseillé de se cacher. Mais comme vous vous en doutez, il était difficile de se cacher de Vous-Savez-Qui. Alors, Dumbledore leur a dit que le meilleur moyen, c’était d’avoir recours à un sortilège de Fidelitas.
– Comment ça marche ? demanda Madame Rosmerta qui semblait passionnée.
Le professeur Flitwick s’éclaircit la gorge.