– Et qu’est-ce qu’il a l’intention de faire, à votre avis, maintenant qu’il est libre ? demanda Madame Rosmerta. Mon dieu, Monsieur le Ministre, ne me dites pas qu’il essaye de rejoindre Vous-Savez-Qui ?
– Malheureusement, je crois bien que c’est son… heu… son objectif final, répondit Fudge d’un ton évasif. Mais nous espérons bien le rattraper avant qu’il n’y parvienne. Car je dois vous dire que Vous-Savez-Qui, seul et sans amis, c’est une chose, mais rendez-lui son serviteur le plus dévoué et j’ai bien peur qu’il ne ressurgisse très vite des ténèbres…
Il y eut un petit bruit sur la table. Quelqu’un avait reposé son verre.
– Cornelius, si vous devez dîner avec le directeur, nous ferions bien de reprendre la direction du château, dit le professeur McGonagall.
Harry vit alors les pieds se remettre en mouvement. De longues capes ondulèrent devant lui et les talons hauts de Madame Rosmerta disparurent derrière le bar. La porte des Trois Balais se rouvrit, il y eut un nouveau tourbillon de neige et les professeurs sortirent en compagnie du ministre.
– Harry ?
Les visages de Ron et d’Hermione apparurent sous la table. Tous deux regardèrent Harry en silence, incapables de prononcer un mot.
11. L’É CLAIR DE FEU
Harry ne savait plus très bien comment il avait réussi à retourner dans la cave de Honeydukes, à reprendre le souterrain en sens inverse et à revenir dans le château. La seule chose certaine, c’était que le trajet du retour avait été très rapide et qu’il n’avait pas prêté grande attention à ce qu’il faisait, car seule la conversation qu’il venait d’entendre occupait son esprit.
Pourquoi personne ne lui avait-il jamais rien dit ? Dumbledore, Hagrid, Mr Weasley, Cornelius Fudge… Pourquoi personne n’avait-il jamais mentionné le fait que ses parents étaient morts à cause de la trahison de leur meilleur ami ?
Pendant tout le dîner, Ron et Hermione lancèrent à Harry des regards inquiets, sans oser parler des propos qu’ils avaient surpris, de peur que Percy, assis à côté d’eux, ne les entende. Lorsqu’ils remontèrent dans la salle commune surpeuplée, Fred et George avaient fait exploser une demi-douzaine de Bombabouses pour saluer la fin du trimestre. Harry, qui n’avait pas envie que les jumeaux lui demandent s’il avait réussi à atteindre Pré-au-lard, monta discrètement l’escalier jusqu’au dortoir vide et se précipita sur son armoire, au chevet de son lit. Il repoussa ses livres et trouva rapidement ce qu’il cherchait : l’album à la couverture de cuir que Hagrid lui avait donné deux ans plus tôt et qui était rempli de photos de ses parents. Il s’assit sur son lit, tira les rideaux du baldaquin et tourna les pages, à la recherche de…
Il s’arrêta sur une photo prise le jour du mariage de ses parents. Son père, le visage radieux, les cheveux en bataille – tels qu’il les avait légués à Harry –, lui adressait des signes de la main. Sa mère, au bras de son mari, semblait rayonner de bonheur. Et là… Ce devait être lui… Leur témoin… Harry n’y avait jamais fait attention auparavant.
S’il n’avait pas su que c’était la même personne, jamais il n’aurait deviné qu’il s’agissait de Black. Son visage, aujourd’hui émacié et cireux, était alors rieur et séduisant. S’était-il déjà mis au service de Voldemort lorsque cette photo avait été prise ? Avait-il déjà projeté le meurtre des jeunes mariés ? Avait-il conscience qu’il risquait de passer douze ans à Azkaban, douze ans qui le rendraient méconnaissable ?
Mais lui, les Détraqueurs le laissent indifférent, pensa Harry en contemplant le visage charmeur et souriant de Black, ce n’est pas lui qui entend ma mère hurler quand ils approchent.
Harry referma l’album d’un coup sec et le rangea dans l’armoire. Puis il se déshabilla et se coucha en vérifiant que les rideaux du baldaquin étaient bien tirés autour de lui.
La porte du dortoir s’ouvrit.
– Harry ? dit Ron, d’une voix mal assurée.
Mais Harry fit semblant de dormir. Il entendit Ron sortir et se tourna sur le dos, les yeux grands ouverts.
Une haine telle qu’il n’en avait jamais connue se répandit en lui comme un poison dans ses veines. Il voyait Black rire dans les ténèbres, comme si quelqu’un lui avait collé la photo de l’album sur les yeux. Avec la même précision que s’il avait regardé une séquence de film, il vit Sirius Black foudroyer Peter Pettigrow (qui ressemblait à Neville Londubat), en le réduisant en miettes. Il l’entendit murmurer d’un ton empressé : « Ça y est, Maître, c’est fait. Les Potter m’ont choisi comme Gardien de leur Secret… » Un rire perçant s’élevait alors, le même rire que Harry entendait dans sa tête chaque fois que les Détraqueurs approchaient.
– Harry, tu… tu as une mine épouvantable.
Le soleil était déjà levé lorsque Harry avait enfin réussi à s’endormir. À son réveil, le dortoir était désert. Il s’était habillé puis était descendu dans la salle commune où il n’y avait plus que Ron, qui mangeait un crapaud à la menthe, et Hermione, entourée de livres et de cahiers étalés sur plusieurs tables.
– Où sont passés les autres ? demanda Harry.
– Partis ! C’est le premier jour des vacances, tu l’as oublié ? répondit Ron en observant Harry avec attention. C’est presque l’heure du déjeuner, je m’apprêtais à monter te réveiller.
Harry se laissa tomber sur une chaise auprès du feu. Au-dehors, la neige continuait de tomber. Pattenrond, étendu de tout son long devant la cheminée, avait l’air d’une descente de lit aux teintes orangées.
– Tu sais que tu n’as vraiment pas bonne mine, dit Hermione en le regardant.
– Je vais très bien, assura Harry.
– Harry, écoute-moi, reprit Hermione, qui échangea un regard avec Ron. Tu dois être bouleversé par ce que nous avons entendu hier. Mais il ne faut surtout pas faire de bêtises.
– Comme quoi, par exemple ? demanda Harry.
– Comme d’essayer de retrouver Black, répondit Ron.
Harry était sûr qu’ils avaient répété cette conversation à l’avance pendant qu’il dormait. Il préféra ne rien dire.
– Tu ne feras pas ça, n’est-ce pas, Harry ? insista Hermione.
– Black ne vaut pas la peine qu’on meure à cause de lui, dit Ron.
Harry les regarda. Ils ne semblaient rien comprendre.
– Vous savez ce que j’entends, chaque fois qu’un Détraqueur s’approche de moi ? demanda-t-il.
Ron et Hermione hochèrent la tête, l’air inquiet.
– J’entends ma mère qui hurle et qui supplie Voldemort. Et si vous aviez entendu votre mère crier comme ça, quelques instants avant sa mort, vous ne l’oublieriez pas facilement. Et si vous découvriez que quelqu’un qui était censé être son ami l’avait trahie et livrée à Voldemort…
– Tu n’y peux rien du tout ! s’exclama Hermione, ébranlée. Les Détraqueurs vont capturer Black et il retournera à Azkaban. Bien fait pour lui !