– Si le sortilège se déroule normalement, vous verrez apparaître un Patronus, c’est-à-dire une sorte d’anti-Détraqueur, un protecteur qui jouera le rôle de bouclier entre vous et le Détraqueur.
Harry s’imagina blotti derrière un être de la taille de Hagrid brandissant une énorme massue.
– Le Patronus, poursuivit le professeur Lupin, représente une force positive, une projection de tout ce qui sert de nourriture aux Détraqueurs – l’espoir, le bonheur, le désir de vivre – mais, à l’inverse des humains, le Patronus ne peut pas ressentir de désespoir et le Détraqueur ne peut donc pas lui faire de mal. Je dois cependant vous avertir, Harry, que ce sortilège est peut-être trop complexe pour vous. De nombreux sorciers hautement qualifiés ont des difficultés à le mettre en pratique.
– À quoi ressemble un Patronus ? demanda Harry.
– Chacun est unique. Il change de forme selon le sorcier qui le fait apparaître.
– Et comment le fait-on apparaître ?
– En prononçant une incantation qui ne produira son effet que si vous vous concentrez de toutes vos forces sur un souvenir particulièrement heureux.
Harry chercha les souvenirs les plus heureux de sa vie. De toute évidence, rien de ce qui lui était arrivé chez les Dursley ne pouvait en faire partie. Après un moment de réflexion, il choisit le premier jour où il s’était envolé sur un balai.
– Je suis prêt, dit-il en s’efforçant de se rappeler le plus précisément possible la merveilleuse sensation qu’il avait éprouvée quand il s’était élevé pour la première fois dans les airs.
– Voici l’incantation qu’il faut prononcer.
Lupin s’éclaircit la gorge et dit : Spero patronum !
– Spero patronum, répéta Harry à mi-voix. Spero patronum.
– Vous êtes bien concentré sur votre souvenir ?
– Oh, oui, répondit Harry en ramenant ses pensées sur ce premier vol en balai. Spero patrono… non, patronum, excusez-moi… spero patronum, spero patronum…
Quelque chose jaillit alors de l’extrémité de sa baguette magique, comme une fumée argentée.
– Vous avez vu ? s’exclama Harry, enthousiaste. Ça a marché !
– Très bien, dit Lupin en souriant, vous êtes prêt à essayer sur un Détraqueur ?
– Oui, dit Harry, la main crispée sur sa baguette.
Il essaya de se concentrer sur le vol du balai, mais quelque chose d’autre essayait de détourner son attention… À tout instant, la voix de sa mère pouvait à nouveau retentir dans sa tête… Mais il ne devait surtout pas y penser, sinon, il l’entendrait vraiment et il ne le voulait surtout pas… Ou peut-être qu’il le souhaitait malgré lui ?
Lupin saisit le couvercle de la caisse et le souleva.
Aussitôt, un Détraqueur s’éleva lentement, la tête dissimulée sous une cagoule, une main luisante, putréfiée, serrant sa cape. Les lampes qui éclairaient la classe vacillèrent puis s’éteignirent. Le Détraqueur sortit de la caisse en bois et s’avança lentement vers Harry. Celui-ci entendit le bruit caractéristique de sa respiration, semblable à un râle, tandis qu’une vague glacée se répandait dans tout son corps.
– Spero patronum ! hurla Harry. Spero patronum ! Spero…
Mais le Détraqueur et toute la salle autour de lui semblaient se dissoudre… Harry se sentit une nouvelle fois happé par un brouillard blanc et épais. La voix de sa mère, plus puissante que jamais, résonna dans sa tête…
– Non, pas Harry ! Je vous en supplie… Je ferai ce que vous voudrez…
– Pousse-toi, idiote, allez, pousse-toi…
– Harry !
Harry reprit brusquement conscience. Il était étendu sur le plancher et les lampes s’étaient rallumées dans la classe. Il était inutile de demander ce qui s’était passé.
– Désolé, murmura-t-il en se redressant, le visage ruisselant d’une sueur froide.
– Vous vous sentez bien ? demanda Lupin.
– Oui…
Harry se releva en s’accrochant à l’une des tables et s’appuya dessus pour se maintenir debout.
– Tenez…
Lupin lui donna un Chocogrenouille.
– Mangez ça, ensuite, on recommencera, dit-il. Je ne m’attendais pas à ce que vous réussissiez du premier coup. J’aurais même été stupéfait si ça avait été le cas.
– C’est de pire en pire, marmonna Harry en croquant la tête de la grenouille. Cette fois, j’entendais ma mère encore plus fort… et lui aussi… Voldemort…
Lupin sembla encore plus pâle que d’habitude.
– Harry, si vous préférez arrêter là, je le comprendrai très bien…
– Je veux continuer ! protesta Harry d’un ton féroce en engloutissant le reste du Chocogrenouille. Il le faut ! Qu’est-ce qui se passera si les Détraqueurs arrivent pendant le match contre Serdaigle ? Je ne peux pas me permettre de faire une nouvelle chute. Si nous perdons ce match, nous aurons perdu la coupe !
– Très bien… dans ce cas, dit Lupin, peut-être faudrait-il vous concentrer sur un autre de vos souvenirs heureux ? Celui-ci ne semble pas être suffisamment intense…
Harry réfléchit un moment et décida que le moment où Gryffondor avait remporté la coupe des Quatre Maisons, l’année dernière, était véritablement un très heureux souvenir. Il serra à nouveau les doigts sur sa baguette magique et s’avança au milieu de la salle.
– Prêt ? dit Lupin en posant les mains sur le couvercle de la boîte.
– Prêt, répondit Harry.
Il se concentra sur la victoire de Gryffondor en s’efforçant de chasser de son esprit toutes ses appréhensions sur ce qui se passerait lorsque la caisse s’ouvrirait.
– Allons-y, dit Lupin.
Il souleva le couvercle. Une fois de plus, les lumières s’éteignirent et un froid glacé se répandit dans la salle. Le Détraqueur glissa hors de la caisse. On entendit le râle de sa respiration et une main putréfiée se tendit vers Harry…
– Spero patronum ! hurla Harry. Spero patronum ! Spero pat…
Le brouillard blanc engourdit son esprit… De gigantesques formes aux contours incertains bougeaient autour de lui… Il entendit alors une autre voix, celle d’un homme qui criait, pris de panique…
– Lily ! Prends Harry et va-t’en ! C’est lui ! Va-t’en ! Cours ! Je vais le retenir…
Quelqu’un qui trébuchait… Une porte qui s’ouvrait à la volée… Le gloussement d’un rire suraigu…
– Harry ! Harry… Réveillez-vous…
Lupin tapotait vigoureusement les joues de Harry. Cette fois-ci, Harry mit plus longtemps à comprendre pourquoi il était étendu sur le parquet poussiéreux d’une salle de classe.
– J’ai entendu mon père, bredouilla-t-il. C’est la première fois que j’entends sa voix… Il a essayé d’affronter Voldemort tout seul pour donner le temps à ma mère de s’enfuir…
Harry se rendit soudain compte que des larmes se mêlaient à la sueur qui ruisselait sur son visage. Il se pencha pour s’essuyer avec un pan de sa robe de sorcier en faisant semblant de relacer sa chaussure pour que Lupin ne le voie pas pleurer.
– Vous avez entendu James ? dit Lupin d’une voix étrange.
– Oui… dit Harry en relevant la tête. Pourquoi ? Vous… Vous connaissiez mon père ?
– Oui… Oui, en effet… dit Lupin. Nous étions amis quand nous étions élèves à Poudlard. Harry, je crois que nous ferions bien d’en rester là pour ce soir. Ce sortilège est beaucoup trop complexe… Je n’aurais jamais dû essayer de vous l’apprendre…